Vacarme 88 / Cahier

Mariage, PMA, GPA : faire évoluer l’esprit des lois entretien avec Caroline Mécary

Mariage, PMA, GPA : faire évoluer l’esprit des lois

Caroline Mecary est avocate au barreau de Paris depuis 1991. D’abord spécialisée en droit pénal et en droit des étrangers, elle s’est tournée vers le droit des familles et est devenue l’une des fers de lance de la conquête des droits LGBTQI+ en France. De sa défense du mariage du couple de Bègles à ses prises de positions actuelles sur la GPA, elle retrace dans cet entretien vingt-cinq ans de luttes homosexuelles sur le terrain du droit. Elle rappelle que le droit n’est pas hors du monde, cet ensemble de textes appliqués aux situations humaines, c’est-à-dire toutes les décisions qui sont rendues par les tribunaux, les cours d’appel et la Cour de cassation, le droit donc, n’est pas hors du monde. Il alimente le débat public. Il est une composante du monde, perméable aux faits. C’est pourquoi il est un formidable terrain d’action.

Comment en êtes-vous venue à défendre les droits des personnes LGBTQI+ ?

Dans ma vie, je n’ai pas eu de plan de carrière. C’est à partir des sollicitations des justiciables que je travaille. C’est donc par un concours de circonstances que j’ai été amenée à m’intéresser à la façon dont le droit français appréhende l’homosexualité. En 1996, un homme, qui a la particularité d’être gay, me sollicite dans le cadre de sa procédure de divorce. Il m’explique qu’il a toujours su qu’il était homosexuel, mais qu’il a cherché à lutter contre sa sexualité, donc il s’est marié et il a eu trois enfants ; mais il est évidemment très difficile de lutter contre ce que l’on est profondément et, à un moment, il a décidé d’assumer son homosexualité, ce qui a entraîné un divorce. Dans cette procédure son épouse ne voulait pas qu’il puisse voir leurs enfants en présence de son compagnon. Pour le défendre, j’ai fait des recherches, j’ai regardé la jurisprudence et je me suis rendu compte qu’il existait peu de décisions sur les parents homosexuels. Le jour de l’audience, lorsque nous sommes entrés dans le bureau du juge, j’ai immédiatement senti que la magistrate regardait mon client avec mépris et cela m’a révoltée. Je n’ai d’ailleurs pas eu gain cause : le droit de visite et d’hébergement de mon client a été limité, il ne pouvait pas voir ses enfants de manière libre comme n’importe quel père. Plus de vingt ans plus tard, cette situation est quasi inconcevable : un juge aux affaires familiales n’interdirait jamais à homme de voir ses enfants parce qu’il est gay.

Pour vous, le droit est un outil de combat contre l’arbitraire et l’injustice. C’est ce que vous montrez notamment dans votre livre L’Amour et la loi. Comment cet outil a-t-il permis la conquête de droits LGBTQI+ ?

En France, il y a une vraie histoire politique de la conquête des droits des homosexuel·le·s, qui s’est faite pour partie grâce à des décisions judiciaires que j’ai obtenues. Ces décisions ont systématiquement permis d’alimenter le débat sur la question de l’égalité de traitement entre les personnes hétérosexuelles et les personnes homosexuelles. C’est ce qui a fait qu’un homme politique comme François Hollande ait pu dire : « J’ouvrirais le mariage à tou·te·s si je suis élu ». C’est le fruit de trente années de lutte !

Si l’on trace schématiquement l’évolution des droits des personnes LGBTQI+, la pierre angulaire se situe en 1982, avec la fin de la pénalisation des pratiques homosexuelles pour les personnes âgées de plus de 15 ans. S’en sont suivi dix années que je qualifie de no man’s land : durant cette période l’homosexualité est acceptée tant qu’elle reste privée. Mais l’épidémie du sida, avec la mort de très nombreux gays, a révélé des situations de précarité importantes. Par exemple, le survivant du couple était dans le logement dont le locataire était mort et n’avait pas le droit au maintien dans les lieux, comme cela était autorisé pour la concubine. Cette revendication va être refusée par la Cour de cassation en 1989, car elle ne reconnaît pas le concubinage homosexuel. Comme le concubinage des personnes de même sexe n’existe pas en droit, il n’y a pas de droit au maintien dans les lieux et la famille du de cujus peut vous virer comme un malpropre. À partir de cette injustice-là, vont naître les revendications de contrat de partenariat pour assurer un statut juridique au couple ; elles aboutiront au vote du Pacs en 1999. En ce sens, le Pacs est révolutionnaire : c’est la première institutionnalisation, la première légitimation du couple de personnes de même sexe dans l’ordre juridique français.

Dans votre parcours d’avocate, il y a une affaire qui se distingue, celle du mariage de Bègles, car contrairement aux autres cas, ce ne sont pas les justiciables qui sont venus vous chercher. Comment cela s’est-il passé ?

Le mariage de Bègles a pour point de départ un fait divers terrible, l’agression d’un homosexuel à Nœux-les-Mines en janvier 2004, aspergé d’essence et brûlé vif par plusieurs individus, qui n’ont jamais été retrouvés.

On prend connaissance de cette histoire début février, elle fait un tollé au sein des associations militantes. Parallèlement, Daniel Borrillo et Didier Eribon publient le « Manifeste pour l’égalité des droits » dans Le Monde du 31 mars 2004. Ce texte dit que si on veut lutter contre l’homophobie, il faut d’abord assurer l’égalité des droits. Sinon, on véhicule l’idée, dans ce que l’on peut appeler l’inconscient collectif, que les homosexuel·le·s sont inférieur·e·s, et cela les inscrits dans une hiérarchie implicite qui n’a pas lieu d’être.

Noël Mamère [maire de Bègles appartenant au parti des Verts] annonce alors publiquement que si des Béglais souhaitent se marier, il les mariera. Il y a en effet une interprétation du Code civil qui le permet, car la définition du mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme n’est pas dans le Code civil, elle résulte d’une décision de la Cour de cassation datant de 1903. Sauf que depuis 1903, la France a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la non-discrimination, et a inscrit en préambule de la Constitution de la Ve République la Déclaration des droits de l’homme, à valeur constitutionnelle, qui pose le principe d’égalité de traitement. On pouvait donc parfaitement interpréter le texte issu du Code civil comme permettant l’union d’un homme et d’une femme, mais aussi l’union de deux hommes et de deux femmes.

« La pierre angulaire des droits des LGBTQI+ se situe en 1982, avec la fin de la pénalisation des pratiques homosexuelles. »

Lorsque Stéphane et Bertrand demandent à Noël Mamère de les marier, Noël Mamère me contacte pour me proposer qu’on travaille ensemble : il s’occupera du politique et moi de l’argumentaire juridique. Je pense évidemment à la stratégie judiciaire. Je bâtis un argumentaire qui sera déployé aussi bien devant le TGI [Tribunal de grande instance] de Bordeaux, quand le procureur réclamera l’annulation du mariage, que devant la Cour d’appel de Bordeaux puisque nous interjetterons appel. Notre action est à la fois politique et judiciaire. Nous savons très bien que nous irons jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), c’est peut-être même l’un des objectifs. Si l’on veut faire bouger la loi, il faut utiliser tous les moyens qui s’offrent à nous.

J’ai saisi la CEDH en 2007, elle a rendu sa décision en 2016, soit trois ans après l’ouverture du mariage à tous les couples. La demande était logiquement devenue irrecevable. La CEDH a laissé dormir ce dossier pendant neuf ans, ce qui, pour d’autres juridictions, constitue un délai non raisonnable de traitement. Je pense qu’elle a considéré que c’était au législateur français de régler cette question.

Est-ce qu’il faudrait davantage de cas similaires pour faire avancer le droit ?

Quand les gens viennent me voir, il y a plusieurs stratégies possibles : celles qui permettraient de faire bouger éventuellement le droit, mais elles sont difficiles, et celles qui ont pour unique objet de répondre à leur demande.

Je vous donne un exemple : il y a quelques années, une personne trans FtoM (female to male) vient me voir, il a subi une mammectomie, mais il a toujours un appareil génital féminin. Sa demande de changement de sexe à l’état civil a été rejetée par le TGI et il souhaite faire appel. Je lui réponds que c’est évidemment possible, mais qu’en l’état du droit, s’il veut vraiment gagner, il faudra qu’il se fasse opérer. Je lui propose alors d’utiliser son cas pour faire bouger les lignes du droit : en effet l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère pas que le transsexualisme implique nécessairement une opération, je peux donc déployer un argumentaire qui démontrera que l’opération est une mutilation qui porte atteinte à l’identité de la personne et donc une atteinte à la vie privée illégitime. Cependant, je le préviens, les chances de gagner devant la Cour d’appel puis devant la Cour de cassation sont de 1%. Qu’a choisi cette personne trans ? L’opération. Il y a peu de militants : les justificiables viennent d’abord pour résoudre une difficulté qui se pose dans leur vie, et c’est normal.

Internet est aujourd’hui le principal théâtre d’expression de l’homophobie : insultes, diffamation, harcèlement, propos menaçants, appels au meurtre, etc. Est-ce que le droit peut être également une arme sur ce terrain ?

Au début de cet été, le gouvernement, pour montrer qu’il fait quelque chose sur ce terrain, a envisagé une réforme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il souhaite que les poursuites pénales pour diffamation et injure ne soient plus encadrées par la loi de 1881, très protectrice de la liberté d’expression, mais par des textes généraux dont l’application est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression de chacun. Mais dans ce cas-là, il s’agit d’un pas supplémentaire vers un régime de plus en plus autoritaire et non d’une réponse appropriée.

Pour commencer, il faudrait donner de réels moyens à la justice. Si vous prenez le TGI de Paris, seule une dizaine de magistrats ont en charge ces questions, c’est largement insuffisant ! Le discours politique qui consiste à dire qu’on lutte contre la haine, c’est de l’affichage. L’autre problème, ce sont les plateformes qui ne jouent pas le jeu. Prenons Twitter : pour connaître l’adresse IP d’un utilisateur et identifier le titulaire d’un compte, il faut faire une démarche auprès du TGI de Paris, obtenir une ordonnance, puis la faire signifier par huissier à Twitter… en Irlande. C’est absolument irréaliste. Ce problème de coopération des plateformes ne peut être résolu qu’à un niveau étatique, et c’est extrêmement difficile parce que ces plateformes appartiennent à des entités internationales parfois plus puissantes que les États.

Dans votre travail, vous faites une distinction entre le fait et le droit, et montrez qu’il y a des inégalités qui sont transcrites dans la loi. Vous parlez alors de discrimination légale. Qu’entendez-vous exactement par-là ?

Une discrimination légale, c’est une discrimination qui est instituée par la loi. En France, avant 2013, la définition du mariage comme l’union d’une femme et d’un homme était légale mais clairement discriminatoire, puisqu’elle excluait de l’universalité d’un statut une catégorie de personnes en raison de leur orientation sexuelle. Depuis l’ouverture du mariage à tous les couples, cette homophobie d’État n’est plus. La conquête des droits pour les personnes LGBTQI+ n’est pas terminée : il y a la question de l’accès à la PMA pour les couples de femmes et la question de la GPA, plus complexe, parce que dans ce cas, nous ne sommes pas sur une différence de traitement juridique puisque la GPA est interdite à tous les couples. C’est une question de choix politique : quelle société voulons-nous demain ?

Venons-en justement au projet de loi du gouvernement, qui va ouvrir la PMA à toutes les femmes. Avez-vous des critiques à son égard ?

Le projet présenté au Conseil des ministres, à la suite de l’avis du Conseil d’État du 18 juillet 2019, crée une discrimination. En effet, il propose de mettre en place un régime spécifique d’établissement de la filiation pour les seuls couples de lesbiennes : elles devront effectuer une déclaration anticipée de volonté devant un notaire. Par cette déclaration, le couple de femmes s’engage, à l’avance, à être les parents de l’enfant qui va être conçu grâce à un tiers donneur. Aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et le donneur. Ce choix du gouvernement crée une discrimination entre les enfants conçus par don en fonction de la seule orientation sexuelle du couple qui les a désirés. Pour les futurs parents hétérosexuels, le projet maintient le statu quo : ils pourront continuer à faire comme s’ils étaient les « vrais » parents — comme s’il y avait des vrais et des faux parents. Le respect du principe d’égalité de traitement, qu’est-ce que c’est ? À situation de fait similaire (être conçu grâce à un tiers donneur), traitement juridique similaire (une déclaration anticipée de volonté). Sinon, il y a une discrimination. Tous les enfants conçus grâce à un tiers donneur devraient avoir des parents qui effectuent cette déclaration anticipée de volonté et pas uniquement les enfants désirés par les lesbiennes. La déclaration anticipée sécurise la situation de l’enfant avant sa naissance. Elle lui permet parallèlement un accès à son histoire puisque la déclaration sera mentionnée en marge de la copie intégrale de l’acte de naissance, comme lorsque l’enfant est adopté. Alors, l’État, à qui le couple demande une aide pour fonder une famille grâce à un don, garantirait à la partie qui n’a rien demandé et qui est la plus vulnérable l’enfant, un accès à son histoire, indépendamment de la volonté de ses parents, quelle que soit leur orientation sexuelle.

La suite logique est donc la levée de l’anonymat du donneur (ou de la donneuse puisqu’il y a aussi des dons d’ovocytes) ?

Je suis pour un régime qui implique que l’homme ou la femme qui fait un don soit informé·e que l’enfant conçu à partir de son don pourra, à sa majorité, avoir accès à des informations identifiantes ou non, s’il le souhaite. Il s’agit ensuite de savoir quel est le périmètre des informations qui seront communiquées : est-ce que ce sont des informations uniquement biographiques ou des informations identifiantes, avec nom, prénom, etc. ? Dans tous les cas, le donneur reste un donneur, la loi ne prévoit aucun lien de filiation possible, car il n’est pas un père et si c’est une donneuse d’ovocytes, elle n’est pas davantage une mère. Par ailleurs je suis favorable à ce que les dons dirigés soient légalisés : un couple pourrait ainsi venir avec la personne qui souhaite faire un don de gamètes. Une telle démarche est rendue possible par la levée de l’anonymat.

« On pourrait faire remonter la maternité pour autrui à Abraham qui, avec sa femme Sarah, a recours aux services de leur servante Agar. »

Lorsque les enfants ont besoin d’avoir des informations, c’est souvent parce qu’une partie de leur histoire a été amputée. Chez les couples hétérosexuels, cela a pu parfois être caché car certains avaient honte d’être stériles, mais c’est moins le cas aujourd’hui. Il est intéressant de constater que cette question de la levée du secret ne concerne quasiment pas les couples de femmes qui ont eu recours à la PMA. Car les enfants, dans ces familles, savent qu’ils ont été conçus par don et sont très rarement demandeurs d’informations. En tout état de cause c’est l’intérêt de l’enfant qui doit prévaloir, et non celui des adultes. Dès lors que les adultes demandent une aide aux pouvoirs publics pour avoir des enfants, alors ces pouvoirs publics ont un devoir vis-à-vis des différents protagonistes et ils doivent au premier chef protéger le plus faible, l’enfant, qui n’a rien demandé, en lui garantissant un accès à son histoire, indépendamment de l’orientation sexuelle des parents.

Ce qui nous amène à l’épineuse question de la GPA, la gestation pour autrui où une femme porte l’enfant d’un autre couple. Vous aimez rappeler que c’est une pratique séculaire…

Dans toutes les sociétés humaines, on constate qu’il y a comme une nécessité de se reproduire pour assurer une continuité de l’espèce. Les sociétés humaines ont toujours trouvé des arrangements pour permettre aux couples infertiles d’avoir des enfants. On pourrait faire remonter la maternité pour autrui à Abraham qui, avec sa femme Sarah, a recours aux services de leur servante Agar, qui leur donnera un fils. Chez les Romains, le patricien pouvait « prêter » sa femme à un autre patricien pour qu’il puisse avoir une descendance, c’est ce qu’on a appelé le ventrem locare, la location de ventre. Cette pratique était admise dans toutes les classes de la société romaine, parce qu’il fallait pallier l’absence de descendance. Ces pratiques ont continué à être admises sous diverses formes en France au moins jusqu’au XVIIIe siècle.

Les exemples que vous citez sont des exemples de sociétés patriarcales où l’homme veut s’assurer une descendance, peu importe ce que pensent les femmes…

C’est exact, nous ne sommes plus dans ces sociétés et aujourd’hui les femmes disposent d’une liberté de procréation avec la contraception qui leur assure une maîtrise sur le désir ou non de maternité. Depuis le début des années 1970, les techniques médicales ont permis de dissocier la sexualité de la procréation. Puis, on a distingué la fécondation de l’engendrement.

Êtes-vous pour une légalisation de la GPA ?

Chaque État a sa propre conception de la GPA. Le droit est toujours façonné par les cultures et les histoires nationales. Je suis favorable à la légalisation de la GPA en France, selon nos principes de respect de la dignité de chacun. Cette réflexion doit s’inscrire dans un processus de délibération de la société, sans être d’emblée frappée d’anathème du type « location de ventre », « marchandisation du corps », qui sont autant d’assertions visant à empêcher toute discussion.

L’accès à la GPA devrait être ouvert aux couples hétérosexuels et homosexuels. Ensuite, il faut un cadre strict. Aux États-Unis, les agences de GPA reçoivent en moyenne 500 candidatures par mois de femmes qui veulent devenir des femmes porteuses. Au final, seuls 5 % pourront le faire parce les critères sont extrêmement rigoureux, il faut déjà avoir eu des enfants pour savoir comment on réagit à la maternité, il y a des critères de santé, d’hérédité, d’équilibre psychologique. La logique est de tenter d’éliminer tous les risques possibles en amont.

Il ne s’agit pas de plaquer ce qui se fait ailleurs, mais d’élaborer un cadre à partir de ce que nous pensons être acceptable pour notre société.

Faudrait-il que ce soit gratuit ?

Rien n’est gratuit. Il y a toujours quelqu’un qui paye. En France, l’accouchement est pris en charge par notre système de santé ; dans d’autres pays ce n’est pas le cas, il faut alors compenser les dépenses de santé par une indemnisation de la femme porteuse. Françoise Dolto considérait elle-même qu’il était impensable qu’il n’y ait pas de contrepartie (on rémunère bien les assistantes maternelles pour leur travail). Selon le cadre, il faut au minimum pouvoir compenser les pertes que peut subir la femme porteuse. Donc, il y a de l’argent qui circule et c’est normal, c’est même nécessaire, sinon c’est une dette infinie pour les parents d’intention. Lorsqu’il y a don, il faut qu’il y ait contre-don. La question est de savoir de quoi est constitué ce contre-don.

Les femmes porteuses qui sont dans des processus avec un don d’ovocytes savent très bien pourquoi elles le font, elles le font parce qu’elles veulent aider un couple à avoir des enfants. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’argent n’est jamais la motivation première. Ce sont souvent des femmes qui ont été confrontées à l’infertilité ou qui ont dans leur entourage des personnes confrontées à l’infertilité. Leur geste est plutôt du côté de ce que l’on qualifie d’altruisme.

Après, il faut définir les modalités d’établissement du lien de filiation. On peut imaginer une déclaration anticipée de volonté, remise à l’officier d’état civil au moment de la rédaction de l’acte de naissance qui établit le lien de filiation entre l’enfant qui vient de naître et les parents qui l’ont désiré. Cette déclaration ferait l’objet d’une mention en marge de la copie intégrale de l’acte de naissance afin que l’enfant ait la garantie d’avoir accès à sa propre histoire, indépendamment de ses parents.

Est-ce que, dans votre pratique d’avocate, vous avez voulu porter ce sujet de la GPA et pousser à une modification de la législation et si oui, quelle fut votre stratégie ?

Je n’ai pas de stratégie qui vise à faire changer la loi sur la GPA. Ma position est une position pragmatique nourrie de ma pratique professionnelle, fondée sur les sollicitations des justiciables. Depuis plus de dix ans, je reçois des couples qui ont eu un ou des enfants grâce à la GPA et je me suis forgé une opinion : je pense qu’il serait plus cohérent de légaliser la GPA en France selon nos valeurs, nos principes et nos critères, si l’on veut lutter contre les départs à l’étranger dans les pays qui ont légalisé la GPA et dont nous ne partageons pas les valeurs et les références culturelles.

« Le travail de l’avocat, c’est d’écouter la demande du justiciable, la comprendre, la reformuler et la transmettre au juge pour qu’il soit à même de l’accueillir. »

Parce qu’on ne peut pas empêcher les couples d’aller à l’étranger pour faire une GPA et que leur enfant sera reconnu en France par la transcription de son état civil ?

Chaque année, des centaines de couples français se rendent à l’étranger pour fonder une famille grâce à la GPA. Dans les arrêts Foulon, Bouvet et Laborie, la CEDH reconnaît que la France a le droit d’interdire la GPA sur son territoire, mais la France ne peut pas interdire aux autres pays d’avoir légalisé la GPA.

La légalisation de la GPA en France n’empêcherait pas les gens d’aller à l’étranger, mais elle diminuerait très sensiblement le flux.

En Ukraine par exemple, on peut choisir le sexe de son enfant. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Aujourd’hui le législateur français ne permet pas de choisir le sexe de l’enfant conçu via les techniques médicales : est-ce une revendication ? Je n’en ai pas connaissance. En revanche, je sais que depuis des décennies, les centres d’études et de conservation du sperme humain (CECOS) font déjà des sélections génétiques pour obtenir des embryons dont les caractéristiques plaisent aux parents hétérosexuels. Ainsi le donneur est choisi de telle manière que l’enfant ait les mêmes yeux bleus que le père ou la même couleur de cheveux… Pour ma part, je pense qu’il vaut mieux laisser faire le hasard, parce qu’il permet un équilibre entre la naissance des filles et des garçons et que cet équilibre est important pour la perpétuation de l’humanité.

Comment décririez-vous la dynamique entre les évolutions de la société et celles du droit ?

La société vient nourrir les juges au travers des procès et les procès viennent nourrir la réflexion du législateur sur les possibles évolutions de la législation. Dans le droit des familles, l’évolution sociologique vient réinterroger les règles, qui doivent être appliquées à de nouvelles situations. Quand on a ouvert le mariage à tous les couples, on a ouvert aussi le divorce. Le juge aux affaires familiales, lorsqu’il a deux épouses, également mères et qu’il y a un conflit sur la résidence, ne peut plus voir la situation comme pour un couple hétérosexuel. Par exemple une mère biologique ne veut pas de résidence alternée, alors que la mère sociale la demande. Comme il y a deux mères, le juge ne peut pas analyser la situation comme il le ferait avec un couple hétérosexuel. Sa perspective se modifie, il va ordonner une résidence alternée à titre provisoire, c’est-à-dire à l’essai, ce qu’il n’aurait pas fait pour un couple hétérosexuel. Le fait que le couple soit un couple de femmes modifie la perception de la parenté ; en retour cela peut changer la perception qu’aura le juge pour un couple hétérosexuel en désaccord sur une résidence alternée ; et peut-être que ceci alimentera une modification de la loi, qui posera le principe d’une résidence alternée lorsqu’elle est demandée, à charge pour le parent qui s’y oppose de démontrer en quoi elle serait néfaste, etc.

Finalement le droit est quelque chose de profondément humain, les décisions sont celles d’hommes et de femmes pris·e·s dans une époque ; les cas, ce sont les vies des justiciables…

Le justiciable est au cœur du droit et de son application. Le droit est fait pour les citoyens et je plaide toujours pour les gens, pas pour une cause. Le travail de l’avocat, c’est d’écouter la demande du justiciable, la comprendre, la reformuler et la transmettre au juge pour qu’il soit à même de l’accueillir. C’est un travail de passeur et de traducteur ; c’est à la fois raconter une histoire, l’articuler aux règles et aux principes du droit ainsi qu’à la jurisprudence pour transmettre une histoire et une demande afin d’obtenir un résultat, si possible celui attendu par le justiciable.

Quand je plaide, je sais que j’ai une partie importante de la vie des gens entre « mes mains ». Si le juge me donne raison, le jugement va instituer quelque chose pour ceux que je défends et qui change leur vie. On ne se rend pas compte à quel point l’application du droit, grâce à des décisions judiciaires, a des effets instituants pour ceux qui demandent justice. Il y a toujours un avant et un après la décision de justice.

Post-scriptum

Caroline Mécary a publié en 2019 aux PUF dans la collection « Que sais-Je ? », PMA et GPA des clés pour comprendre et, avec Daniel Borillo, L’homophobie.

Caroline Mécary est photographiée par Sébastien Dolidon.