dégustation stratigraphique j’ai mangé la carrière Bronzo Perasso
par Collectif Safi
Les Dégustations stratigraphiques sont des invitations à goûter le paysage. Une succession de « poudre de paysage » rythme et illustre la lecture d’un texte. Les sensations procurées par l’ingestion symbolique de ces « strates » de paysage proposent de « comprendre les lieux » dans le sens étymologique de « tenir en soi » et par un jeu de dehors-dedans, invitent à manger le paysage pour s’y accorder. Le texte présenté ici est un extrait issu de J’ai mangé la carrière, dégustation stratigraphique #3, présenté par le collectif SAFI en 2018.
Poudre paysage no 1
La pierre de la mer
Crithmum maritimum, Crangon crangon, sodium chloride.
Les pierres sont d’abord des astres liquides qui émergent du magma ancestral. Elles viennent du premier temps géologique de la terre ; l’Hadéen, l’âge des enfers, où la terre, bombardée de météorites et encore liquide, se refroidit doucement. Elle se combine aux éléments qui l’entourent au gré d’événements favorables et forme un socle, composé de particules de son époque, sur lequel nous nous tenons.
Notre pierre se forme au crétacé, il y a entre 145 et 65 millions d’années. Dans une atmosphère torride où règnent les dinosaures, une mer tropicale recouvre une partie de la Provence. Dans cette eau chaude, peu profonde et peuplée d’animaux marins et de crevettes géantes, pullulent les rudistes. Les rudistes sont des moules géantes qui vivent en colonie et meurent dans les fonds marins. À travers le temps, leurs coquilles désertées se recouvrent de sédiments marins, de poussières de pierres qui strate après strate, se calcifient pour former lentement les roches calcaires. Les rudistes ont disparu, mais leur souvenir est sédimenté à jamais sous vos pieds.
Poudre paysage no 2
L’élévation des pierres
Capsicum frutescens, Saccarum officinarum, Acer saccharum.
Poussés par les éruptions magmatiques des dorsales sous-marines, les continents se rencontrent, s’entrechoquent, se recouvrent et se soulèvent. De ces violents sévices tectoniques, naissent les montagnes qui côtoient les nuages. À Marseille une couronne de calcaire parfois émaillée de fossiles de rudistes s’érige et encercle la ville. Depuis longtemps cette chaîne de calcaire sert de points de vues, de vie, où les hommes s’établissent, laissant glisser sous leurs pieds ce que le temps, le vent et l’eau emportent de fragments qui comblent les vallées et donnent naissance aux plaines alluviales fertiles.
Poudre paysage no 3
L’effondrement des pierres
Acmella oleracea.
Un jour dans la vallée, plus vite, plus fort, les machines aussi mangent la pierre. Elles découpent la roche calcaire en banquette à l’explosif, la transforment en pierre à bâtir, en moellons, en bordure, en différents types de graves : des gravillons au mélange pour sable à béton. Petit à petit, sous les mâchoires de fer, chauffée, broyée, la carrière consomme la montagne. La montagne disparaît. Elle ne nourrit plus la terre, mais réapparaît plus loin en élévation de béton, en extension urbaine. Dans ce grand mouvement de siphon, l’exploitation de la montagne devient routes, trottoirs et immeubles… Qui parfois, par d’autres systèmes d’exploitation, s’effondrent à leur tour.
Post-scriptum
SAFI — Du sens, de l’audace de la fantaisie et de l’imagination — est un collectif d’artistes plasticiens fondé en 2001 par Stéphane Brisset et Dalila Ladjal puis rejoint par de nombreux compagnons de route. Safi travaille, apprend rêve, partage, imagine, transmet à partir du végétal. Non pas la nature conservée, ni la nature domestiquée, mais celle plus complexe des espaces en friche, des frontières de la ville, là où le jeu reste possible tout en posant les enjeux du devenir urbain. https://collectifsafi.com/nous.
Photo en tête d’article : « Pierres calcaires, roche sédimentaire » par le Collectif Safi.