Vacarme 89 / Habiter Marseille

« sillonner les failles de la transmission »

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« sillonner les failles de la transmission »

Du sillon creusé par un premier terrain, à son développement fructueux grâce à une rencontre décisive avec le fondateur des Mémoires des sexualités, Renaud Chantraine retrace son parcours de recherche orienté par la question de la transmission des mémoires des minorités sexuelles et ses enjeux. Si pour l’auteur, la figure de Christian de Leusse auquel il rend hommage, a été décisive dans la constitution des archives, le « pari » est celui de leur appropriation diverse et vivante par les personnes concernées, condition de possibilité de leur transmission effective.

« Sillonner, verbe transitif. Premier sens : tracer des sillons dans la terre. Synonyme : labourer. Deuxième sens : parcourir, traverser d’un bout à l’autre ou en tous sens. »
— Centre national de ressources textuelles et lexicales (cnrtl.org)

Au troisième étage du 52 de la rue d’Aix à Marseille, un appartement pavé de tomettes d’une soixantaine de mètres carrés. Les volets roulants sont encore abaissés, le lieu repose paisiblement dans la pénombre tandis que le jardin sur lequel donnent les fenêtres s’épanouit de nouvelles branches — saison des raisins. La pièce principale est structurée géométriquement dans la hauteur de son mur du fond par d’imposantes étagères en bois qui supportent une bonne centaine de boîtes d’archives. Diverses informations et écritures au feutre noir se lisent sur leur tranche : titres de revue, années, provenance parfois. Ces strates de passés accumulés forment la collection de Mémoire des sexualités.

Son fondateur, Christian de Leusse, rassemble depuis plus de quarante ans archives et documentation sur le militantisme LGBT, dont il a lui-même été — et continue d’être — un acteur très impliqué, à Marseille et au-delà. De temps à autre, il arrive qu’on lui propose de récupérer des cartons pleins de documents, des morceaux de vie dont on sait qu’il saura prendre soin. Ceux qui donnent sont par exemple les copains du GLH [Groupe de libération homosexuelle] de Marseille : l’un déménage ou cherche à gagner un peu de place, les quelques affiches, tracts, revues et autres souvenirs qu’il gardait dans un coin de la cave, il sait qu’il peut les donner à Christian. Parfois, celui-ci va provoquer les contacts, comme lorsqu’il écrit à un ancien militant d’Arcadie, dont il décide de réaliser un entretien filmé. Histoire orale. Ici, la relation qui se construit n’est pas tout à fait la même puisque Christian, 74 ans, n’est plus le pair mais le plus jeune, de plus de vingt ans. Une transmission, de génération en génération. Dans d’autres situations, plus tragiques, c’est à la suite d’un décès qu’on fait appel à Mémoire des sexualités. Le conjoint restant, c’est souvent lui, propose de confier, dans l’urgence de l’héritage, tel ou tel fragment de vie — comme l’importante bibliothèque, des photos.

J’ai rencontré Christian il y a six ans, à l’occasion d’un stage effectué pendant l’Europride à Marseille, expérience éprouvante mais qui m’a offert une première « prise » sur la question des archives, puisque Mémoire des sexualités organisait alors sur le sujet un grand débat (houleux) aux Archives départementales. Cette première entrée en lien avec le sujet complexe et passionnant des archives, avec une personne, Christian, et avec le lieu qu’il anime, Mémoire des sexualités, n’a cessé de me travailler par la suite. Un attachement, sinueux, s’est produit. Entre des choses — appelons-les « archives » —, des personnes — disons « nous » —, dans l’espace d’un lieu.

Le revers de cet attachement est un engagement lui aussi multiple, indissolublement pratique, scientifique et politique. La figure convoquée du sillonneur — dans son double sens de parcourir en tous sens et de labourer pour tenter de rendre plus fertile — vise à rendre compte de l’expérience spécifique du « terrain », développée dans le cadre de ma recherche et des actions qui s’y relient.

Il est généralement d’usage de différencier les postures scientifiques de l’archiviste, de l’historien·ne, et de l’anthropologue dans leur relation aux archives. Pour simplifier, les premier·es seraient des technicien·nes de l’archive, expert·es des méthodes de conservation, de description et de classement ; les second·es instruiraient, par leur regard porté sur le document devenant « source », une conversion de la mémoire en histoire ; les dernier·es enfin, le nez dans la boue des pratiques, s’intéresseraient davantage aux processus et aux quotidiens des personnes produisant l’archive, ou qui en prennent soin.

Ma position — loin d’être exceptionnelle — est plus hybride : pour reconstituer les trajectoires des différents fonds composant aujourd’hui le corps de Mémoire des sexualités, pour en comprendre l’origine et les développements, j’ai rapidement été conduit à recourir à l’examen de documents, pour la plupart inédits, issus d’un certain nombre de fonds qui constituent la collection de Christian. Or, ces fonds n’étaient pas tous — loin s’en faut — organisés et facilement consultables. Nous avons donc décidé, avec d’autres membres de l’association, de nous former aux rudiments de l’archivage, afin de rendre ces documents accessibles. Nous avons en quelque sorte troublé le paisible repos de ces archives dormantes pour les activer, et nous poursuivons, petit à petit, dans ce sens : en organisant l’espace, en classant, triant les doublons, en enrichissant les collections, nous faisons vivre ce lieu. Nous faisons l’expérience de fabrication et de transformation progressive, d’animation d’un lieu, d’un collectif, de la vie d’une collection, autrement dit, nous participons à une expérience très concrète de transmission. En mettant en œuvre ces pratiques et en discutant avec Christian, entre nous, comme en dehors, de leurs sens, de leur opportunité, de leurs effets, nous forgeons aussi, ainsi, des savoirs, des savoir-faire et des subjectivités militantes et politiques en lien avec les archives.

Cette expérience collective, qui touche au cœur même des mécanismes de la transmission et où nos relations et nos dialogues avec Christian comptent pour beaucoup, ouvre une série de questionnements : qu’est-ce que transmettre ? Comment transmet-on ? Qu’est-ce qui est transmis ? Et le revers : comment et de quoi hérite-t-on ? À cette suite d’interrogations s’en ajoute une autre : il existerait, dans l’histoire récente et présente, une série de crises, auxquels renvoient manifestement des discours sur les pertes, les silences, des impossibilités, autant de failles venant sillonner — cette fois dans le sens de fissurer, d’entailler — les processus de transmission des mémoires LGBTQI. Qu’en est-il ?

Trois mouvements permettront d’évoquer ces nœuds de la transmission, où se révèlent et entrent en dialogue différentes conceptions de l’archive et de leurs potentialités.

1. fonder un dispositif de transmission

Dans le 54e numéro du Gai Pied, daté du 29 janvier 1983, à la rubrique « Télex », on pouvait lire un court article intitulé « La fondation Jean-Louis Bory se lance » :

« Lors de la première Université d’été homosexuelle [UEH] de Marseille en 1979, Paris-Match publiait en double page la photo de Christian de Leusse dansant avec un garçon. Christian avait subi des préjudices, porté plainte, et vient de gagner 10 000 francs contre l’hebdomadaire. Il a décidé que cet argent appartenait aux homosexuels, et l’investit donc dans un projet de fondation qui devrait à la fois recueillir tous les documents homosexuels détenus par certains et menacés lorsque la mort survient et que le pouvoir familial fait comme bon lui semble (en général tout passe à la poubelle). Cette déperdition de notre patrimoine doit cesser. […] Cela vous intéresse ? Contacter Christian de Leusse, 17 rue des Phocéens, 13002 Marseille. »

Tout part d’une danse à l’Alhambra, d’une photo en noir et blanc où l’on voit Christian, en débardeur blanc et les yeux presque clos, enlacer tendrement le corps d’un autre jeune homme. L’article est titré, en grosses lettres « LE PHÉNOMÈNE HOMO ». À plusieurs reprises, Christian est revenu sur les conséquences néfastes, les « préjudices » de cette publication, de cette exposition, de cet outing. Issu d’un milieu bourgeois et catholique, sa mère est une lectrice de Paris-Match : la découverte de l’article viendra troubler, altérer les relations familiales.

Qu’est-ce que transmettre ? Comment transmet-on ? Qu’est-ce qui est transmis ? Et le revers : comment et de quoi hérite-t-on ?

Comment interpréter le généreux geste de Christian, qui décide de mettre la somme d’argent gagnée lors de son procès contre le magazine au service d’une cause commune, celle des homosexuels ? Qu’est censé recouvrir le terme « patrimoine », « notre patrimoine » qui apparaît une première fois dans l’article du Gai Pied, associée à l’idée d’une déperdition ? La référence à cette notion est à nouveau convoquée dans le titre d’un tract, « Pour une Fondation du Patrimoine Homosexuel », rédigé quelques mois plus tard en vue d’une présentation publique aux troisièmes UEH [1] ; extraits :

« Plus que toute autre, la trace laissée par les homosexuels et les lesbiennes dans l’histoire collective est éphémère. Leurs biens, les objets qu’ils aiment, leurs productions intellectuelles et artistiques ne sont pas couverts par le système de protection juridique mis en place par la société. Soit les familles dissimulent ou dilapident ce patrimoine, soit l’isolement des personnes conduit à sa perte ou à sa disparition.

Une mémoire des homosexualités n’a jamais pu être constituée en France, faute d’un grand centre de documentation et d’archives. De multiples écrits, des collections, des objets, des œuvres d’art et des documents audiovisuels se trouvent dispersés et souvent inaccessibles. Ce qui constitue un obstacle majeur à la création, aux recherches, à la connaissance de l’histoire et de la culture homosexuelle. C’est pourquoi nous proposons la création d’une Fondation du patrimoine homosexuel. »

Avant d’aller plus loin, il faut revenir légèrement en arrière, et préciser le rôle joué par Jean Le Bitoux dans la mise en place de ces initiatives. Quand il gagne son procès, Christian demande conseil au fondateur et rédacteur en chef de Gai Pied. Que faire de cet argent ? Comment peut-il être utile à la cause ? Le Bitoux répond, se remémore Christian : « S’il y a un truc qu’il faut faire : documenter, archives, documentation ». Par chance, cela parle à Christian. Depuis des années, il rassemblait déjà des documents sur divers sujets, hors homosexualité. Le Bitoux propose de réunir, stratégiquement, quelques personnes autour du projet. Les statuts de l’association Mémoire des homosexualités sont déposés à la préfecture de police de Paris le 23 février 1984 [2]. Son objet est la création et la mise en place de la fondation « Mémoire des homosexualités ».

Revenons maintenant sur deux mots utilisés dans les textes que j’ai cités : mémoire et patrimoine. Le terme « patrimoine » s’écoute. On l’entend venir de pater, du droit romain, où il désignait la transmission notariale des biens des pères aux fils. Le mot s’ouvre à la Révolution française d’un nouveau sens, celui d’une propriété morale collective, liée à la Nation, à la patrie, pérennisée dans le temps par des dispositifs de protection. Or Christian n’est-il pas justement mis à l’écart par le pouvoir familial ? Les biens, objets qu’ils aiment, productions intellectuelles et artistiques des homosexuels ne sont-ils pas justement, comme le disent ces textes, exclus du système de protection des institutions étatiques ? Ces deux racines rendent alors un peu étonnant l’usage du terme par cette fondation, et expliquent peut-être qu’il soit rapidement abandonné, au profit de celui de « mémoire ». Celle-ci pourrait s’entendre comme une capacité d’un groupe à se reproduire dans le temps et qui tient à la préservation et à l’actualisation de traces des événements, des représentations, des récits, ayant marqué son passé. Finalement qu’importe : l’un et l’autre termes renvoient à la transmission, outil nécessaire à la construction au présent et au futur d’autres récits, de nos identités individuelles et collectives, de nos imaginaires et de nos politiques.

Cet élan, qui se voulait, pour reprendre les termes de Christian, « annonciateur », s’est assez rapidement épuisé, faute d’une réelle dynamique de groupe. L’élément central d’explication est l’arrivée du sida qui canalise et ainsi en quelque sorte détourne les énergies militantes [3]. De Marseille, Christian se détache progressivement du petit groupe parisien. Il décide en 1989 de reformer une nouvelle association, une antenne locale de Mémoire des sexualités [4]. Le terme de « fondation » disparaît.

2. sida : la transmission perdue ?

Le livre de Bernard Paillard, L’épidémie, carnets d’un sociologue, publié en 1994, rend compte d’une enquête menée à Marseille à partir de 1988. Un chapitre, « Des hommes entre eux », aborde l’état du milieu homosexuel marseillais en pleine crise du sida ; l’analyse est sévère, Christian y fait une ou deux apparitions. Le sociologue, parlant des associations homosexuelles, écrit d’abord que celles-ci « brillent par leur absence. » Que « petit à petit, [il] découvre un milieu atomisé en petits groupes qui n’ont guère de rapports entre eux. » Il parle aussi d’une « vitalité militante perdue », regrettée notamment par des anciens militants du GLH ; désormais, et, en dépit ou en raison du sida qui est évidemment « l’une des urgences auxquelles le milieu est confronté », il a la sensation que « chacun se débat, souvent seul, dans son coin [5]. »

Pour que l’appropriation s’opère, pour qu’elle ouvre à d’autres futurs, il faudra essayer de bouturer nos propres mémoires.

Depuis juin 2017, au Mucem, j’organise avec d’autres une série de concertations en préparation d’une exposition sur le sida qui devrait ouvrir d’ici deux ans. En octobre 2017, Christian se positionne rétrospectivement :

« Je ne veux pas avoir la prétention d’avoir des choses à dire là-dessus, je me suis peu engagé sur le [sida], j’ai été essentiellement, moi, dans la bataille des homosexuels se battant pour leurs propres libertés et leurs propres droits. […] Je n’ai pas grand-chose à dire si ce n’est que… si vous voulez, en quarante ans d’accumulation de documents non pas intensive, mais plutôt extensive — c’est-à-dire que je n’ai jamais été professionnel, j’avais autre chose à faire, donc je n’ai pas été ratisseur systématique —, j’ai plutôt rassemblé beaucoup de documentation en particulier sur la vie LGBT à Marseille, à partir de mon militantisme et à partir de toute une série de lieux, d’associations, auxquelles j’ai participé. Au bout de 40 ans, ça fait beaucoup de matière ! Du coup se pose la question pour moi, à moi, que ça devienne autre chose. […] Le moment est venu pour moi de passer à l’étape supérieure… »

La figure du ratisseur, ici un peu dilettante, pas vraiment acharné, mais néanmoins constant, invite, sans doute, à reconsidérer l’idée d’une crise de la transmission au sein du milieu homosexuel au moment du sida. Plus exactement, le précieux et interrompu travail de rassemblement d’archives et de documentation mené par Christian — mais aussi par d’autres dont il a hérité des fonds —, à partir de 1989 jusqu’à aujourd’hui, constitue une mémoire [6] à transmettre. Mémoire forcément liée à sa personnalité militante, constituée principalement à partir des espaces qu’il a fréquentés, mémoire inévitablement traversée et marquée par la lutte contre le sida.

3. le pari de la transmission renouvelée

Une semaine après la rencontre au Mucem d’octobre 2017, un article sur Mémoire des sexualités paraît dans La Provence. Christian y annonce : « Aujourd’hui, la question se pose d’organiser l’avenir de ce fonds documentaire […]. Ici se trouve un panel très riche de réflexions, analyses, témoignages. » Plus loin dans l’article, il parle de « trouver des solutions pour dynamiser le lieu et le site internet » pour qu’il soit « serein le jour où [il] ne pourr[a] plus. »

Avouons-le, c’est à partir de là que nos rencontres avec Christian deviennent plus fréquentes — ma place devenant progressivement celle d’une sorte de médiateur. Nous décidons d’organiser en avril 2018 un week-end de débats et d’ateliers au Théâtre de l’Œuvre. Pour « organiser l’avenir », pour explorer « des solutions », pour poursuivre et renouveler le processus de transmission. L’option est posée clairement en préalable de ces débats et porte sur l’avenir du lieu de Mémoire des sexualités : soit les archives sont remises à une institution publique ; soit le lieu qui existe aujourd’hui est aménagé afin de devenir un espace commun, accessible et plus vivant.

C’est ce dernier sillon que nous avons choisi de suivre. Le processus de transmission qu’il engage pour notre communauté n’est pas dénué d’embûches et j’aimerais pour finir en pointer quelques-uns des enjeux.

Une des participantes [7] du week-end d’avril a très justement fait remarquer que pour nous, celles et ceux à qui s’ouvrait la perspective d’hériter de cette collection et du lieu qui l’accueille, et qui à l’époque se connaissaient très peu, pour nous donc, elle avait la sensation que « ça commen[çait] un peu à l’envers ». Le geste du faire-passer caractéristique de la transmission, implique bien une passation, une antériorité de projet, mais aussi l’invention collective d’un faire, et plus exactement d’un faire-ensemble. Faire ensemble, dont il n’existe aucun mode d’emploi disponible. La transmission est une chaîne qui se fabrique, qui s’invente et se réinvente dans le dialogue, dans le travail de signification, parfois étrange, des générations, qui s’actualise en fonction des contextes, des désirs, des énergies disponibles. Et l’énergie aujourd’hui est grande. Mémoire des sexualités est assez largement façonnée par la trajectoire militante de Christian. La question qui se pose dès lors est aussi celle d’un pari, d’un jeu qui sans doute en vaut la chandelle : pour que la transmission se poursuive, pour que l’appropriation, nécessaire, s’opère, pour qu’elle ouvre à d’autres futurs, il faudra essayer, sans urgence, de bouturer nos propres mémoires, trans, pédé, gouine par exemple, dans le jardin de Mémoire des sexualités.

Post-scriptum

Renaud Chantraine est doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille. Il prépare une thèse sur la patrimonialisation des minorités LGBTQI et de la lutte contre le sida. Il milite aussi au collectif Archives LGBTQI à Paris et à Mémoires des sexualités.

Photo en tête d’article : « Billy explore et range le carton des fanzines. C’est sa première fois. » Photo R. Chantraine.

Notes

[1« Vivre gai en Méditerranée », 10-17 juillet 1983, Marseille.

[2Les Archives, recherches et cultures lesbiennes (ARCL) sont créées en décembre 1983 à Paris. Celles-ci « se veulent un lieu de lutte et de résistance. Parmi d’autres, en effet, ce lieu peut contribuer aux prises de conscience, à notre affirmation de lesbiennes, à la construction de liens et de solidarités, au soutien des initiatives et des projets lesbiens. » (bulletin de juin 1984).

[3Dans ce contexte, un travail de collecte d’archives et de documents, pour Christian, n’avait rien d’évident : « il y a eu surtout le fait que, alors que ça n’avait jamais été dit entre nous, nous apparaissions un petit peu comme des rapaces qui allaient chercher des documents abandonnés par les gars qui mourraient du sida. » (entretien, 28 mai 2015).

[4Notons au passage qu’« Homosexualités » devient « Sexualités », signe d’une « alliance avec les hétéros », qui semblait inévitable, selon Christian, dans le contexte de crise associative du mouvement gay.

[5Bernard Paillard, L’Épidémie, carnets d’un sociologue, Le Seuil, 1994. Christian participera néanmoins à diverses tentatives de remobilisation inter-associatives, notamment en 1993 avec la création du collectif gay marseillais, qui cherchait à « renforcer le mouvement associatif homosexuel en lui donnant visibilité et reconnaissance ». Paillard attribue à la volonté de Christian de voir naître ce collectif à la fois la priorité accordée au rassemblement des gays et de ne pas enfermer la militance homosexuelle dans la seule lutte contre le sida. Dans l’article de La Provence, Christian dit aussi : « Il y avait d’autres priorités, les gens mourraient. Le sida a fait exploser en vol les associations existantes dès 1985. »

[6Une comparaison avec l’exceptionnel travail de préservation d’archives LGBTQI et de la lutte contre le sida mené par Phan Bigotte en région parisienne, débuté lui aussi à partir de 1989, moment où il découvre sa séropositivité, comme des initiatives institutionnelles (Sida-mémoires, Musée des arts et traditions populaires, Archives nationales) permettrait aussi de complexifier cette autre lecture de l’histoire sociale du sida, en lien avec les problématiques de mémoire et d’archives.

[7Nous étions une quinzaine, principalement des habitant·e·s de Marseille.