2/ classes populaires, parti populiste ?

Être contre : à propos de la condition ouvrière entretien avec Stéphane Beaud et Frédérique Matonti

Stéphane Beaud, Frédérique Matonti sont sociologues - l’un spécialiste des ouvriers, l’autre du PCF. tous deux participèrent à l’aventure de l’ouvrage collectif La Misère du monde [1]. D’une contribution l’autre, des soubresauts du travail aux émois d’une militante FN, s’y dessinait déjà l’équation dont nous parlons. avec eux, nous avons moins discuté de misère que de monde - ou des ruines d’un monde, celui d’une condition ouvrière désormais « à nu, sans défense » (S. Beaud). « Immonde » signifie, paraît-il, « qui n’est pas de ce monde ». Eh bien, il faut voir.

La croix du sociologue est d’être deux fois inquiet : inquiet de ce qu’il sait, et que l’on n’entend pas ; inquiet de ce qu’il ne sait pas, et qu’on lui demande. De là qu’en cas de crise, le sentiment de vous l’avoir bien dit le dispute à celui de n’avoir pas su voir. Ainsi, si Stéphane Beaud stigmatise le manque, depuis vingt ans, d’enquêtes de terrain à propos du monde ouvrier ou de la vie en cités (« les sciences sociales ont failli, ont manqué de vigilance), Frédérique Matonti souligne tout autant la manière dont La Misère du monde a pu, lors de sa parution en 1993, être lue sans l’être : contestée, ici, du seul point de vue des méthodes mises en oeuvre (« On a accusé Bourdieu de se trahir, explique-t-elle) ; accaparée, là, par des metteurs en scène qui certes reconnaissaient la nécessité d’un tel texte, mais en faisaient un autre objet. « Jamais personne ne s’est demandé, simplement, ce que ce texte racontait de l’état de la France. En bref, non seulement l’éviction intellectuelle et politique de la question ouvrière est, depuis quelques années, patente -mais son objet ne l’a pas attendue, fuyant de tous côtés, retournant au silence, échappant à une sociologie dont on s’était imprudemment habitué à ce qu’elle dispose, en un claquement de doigts, d’un savoir du social. Nos entretiens commencèrent tous deux par l’aveu d’une cartographie lacunaire : « Depuis dix ans, la sociologie du travail étudie la valorisation des compétences, ou le management -mais rien sur Michelin, et rien sur Moulinex (S. Beaud) ; « On ne sait pas bien qui vote : on travaille souvent avec des catégories de sondage, et les échantillons de population ne sont pas identiques d’un institut à l’autre. On peut avoir ici 26 % du groupe ouvrier qui vote FN, et ici 31 %... (F. Matonti).

dispersion

L’objet, ainsi, s’échappe. À cet égard, l’image d’une classe ouvrière passant, avec armes et bagages et comme un seul homme, du vote communiste au vote Front National, est plusieurs fois fautive. Fautive, d’abord, par la manière dont elle oublie la disparité foncière et ancienne de cet ensemble, dont l’unification sous le même mot de « classe tient du mot d’ordre politique et de la parenthèse historique. Comme le rappelle S. Beaud, « Il faut partir de ce que disait Marx : la classe ouvrière est hétérogène, et constituée de sous-groupes (ouvriers non-qualifiés et qualifiés, femmes et hommes, immigrés et Français...). De ce point de vue, et comme le souligne l’ouvrage classique de Noiriel [2], le miracle historique tient à la manière dont, entre 1930 et les années 1960, le groupe ouvrier a pu faire classe. Mais la disparité ouvrière, si elle était masquée par sa représentation politique, existait déjà, et les luttes d’OS des années 1970, si elles sont des luttes contre le capitalisme oppresseur, sont aussi, à l’intérieur des syndicats, des luttes contre les OP, contre le mépris qu’ils témoignaient aux autres. À quoi F. Matonti ajoute plaisamment : « Il y a toujours eu des classes populaires à droite. Si la classe ouvrière avait voté massivement à gauche, nous n’aurions pas connu trente ans de gaullisme.

Gare aux illusions rétrospectives : la métaphore de l’éclatement de la classe ouvrière, par l’unité qu’elle suppose après-coup, vient masquer une série de transformations plus complexe et feuilletée. Car d’un certain point de vue, le groupe ouvrier est moins différencié aujourd’hui qu’il ne l’était hier : l’apparition du statut d’opérateur - recruté au niveau bac ou CAP, et dont l’avantage essentiel est d’être adapatable -, a remis en question l’échelle des grades et des fonctions, arasé le monde ouvrier de son élite (les ouvriers qualifiés, détenteurs de la fierté, de la parole, de la culture militantes), et finalement homogénéisé la condition ouvrière. Ce qui ne signe pas, bien entendu, la fin des clivages, mais entraîne leur déplacement : déplacement du côté des secteurs, entre le public et le privé (S. Beaud nous invite à relativiser l’idée, souvent invoquée en 1995, d’une « grève par procuration : « C’était une victoire, mais simultanément, la retraite des ouvriers du privé prenait quatre ans de plus...). Déplacement, mais à une autre échelle, dans l’intensification des rapports de concurrence entre individus, érodant peu à peu la morale d’atelier : « La recherche de la productivité dans les entreprises est passée, malheureusement, par une course aux primes, à la qualité, etc., course qu’intensifie la stagnation, depuis vingt ans, du pouvoir d’achat des ouvriers. Ce processus a remis en cause toute une morale de classe : nous avons vu s’effondrer le mécanisme par lequel, dans les ateliers, les délégués syndicaux faisaient l’analyse morale du groupe, distinguant copains et fayots. Nous avons vu d’anciens grévistes de 1989, deux ans plus tard, devenir non-grévistes et presques fayots... On ne dira pas, pour autant, que les ouvriers sont une fois pour toutes « passés à droite », rangés sous la bannière du salarié tertiarisé, avant tout soucieux de satisfaire les clients et de tenir les délais : ce serait faire peu de cas, estime Stéphane Beaud, de la persistance d’une expoitation à l’ancienne - des opérateurs, deux ou trois chefs d’équipe, deux ou trois cadres, et pas de syndicats, comme cela se pratique dans la sous-traitance automobile. En bref, les contraires coexistent - dire « les ouvriers, cela n’a pas grand sens.

On en dirait autant, au moins en un premier temps, du vote Front National, vote dont la consistance semble fuir à mesure qu’on l’approche. Frédérique Matonti explique : « S’agit-il des agents de maîtrise, des OS, des intérimaires ? Ou des personnels de service, classés par l’INSEE dans d’autres catégories mais dans des situations parfois bien plus précaires que certains ouvriers ? Tout cela, on le connaît mal. De plus, le noyau des électeurs FN varie selon les élections. En 1995, ce vote était plutôt ouvrier, et c’était le cas encore, apparemment, le 21 avril dernier. Mais entretemps, en 1997, le vote FN semble être repassé du côté de catégories plus traditionnellement d’extrême-droite, la boutique, les petits commerçants. Il y a donc des effets d’opportunité : les gens qui s’emparent du vote FN sont différents d’une élection à l’autre, et suivant la configuration politique du moment. La distinction entre vote « de conviction et vote « protestataire est impuissante, souligne-t-elle, à rendre de telles fluctuations : plutôt que ce balancement binaire, mieux vaudrait reconnaître l’existence « de multiples usages du vote, qui du point de vue de l’observateur fortement politisé apparaissent illégitimes, mais qui dans la tête de l’électeur sont tout aussi légitimes, compliquant l’idée d’un bulletin dont seraient assignables, à la fois, la cause et le motif, le sens et la trajectoire.

Sous l’unité d’un vote, se dispersent des positions, des usages. Ici, « les zones ouvrières en deshérence, la Moselle, la Lorraine, la Loire - tout un monde ouvrier qui a été laminé ; un vote donc de paupérisation, et d’une génération qui arrive sans parvenir à trouver sa place. Là, « un vote comme à Sochaux, lié tout autant à ce qui se passe dans le quartier que dans le travail (S. Beaud). Dans le quartier, ou juste à côté : le vote de l’Oise, celui de l’Eure renvoient aux ouvriers qui ont fui la Seine-Saint-Denis. Effet d’aura ou de halo, vote de bords ou de frontières : sous le vote FN, Stéphane Beaud diagnostique le coût de l’accession à la propriété individuelle - ce qu’elle suppose de ruptures vis-à-vis des réseaux d’entraide et de soutien efficaces dans la cité, ce qu’elle impose d’augmentation des frais de transport ou de scolarité. Le coût de la vie, en somme ; le prix du pavillon, et la peur qu’il suscite de voir revenir chez soi les problèmes de la cité, via le tube cathodique. Une incise : Julien Dray en appelle à « raser les ghettos. Que veut-il à la place - des pavillons ?

rivalités

On croyait tenir le peuple, et celui-ci part en lambeaux. Mais les lambeaux ont leur cohérence : simplement, celle-ci est moins substantielle (« la classe ouvrière, la « France d’en-bas) que relationnelle ; la cartographie du vote Front National est celle d’une condition ouvrière distendue, c’est-à-dire défaite mais tout autant tendue par et contre ce qui la défait. Ne plus rien supporter, c’est déjà quelque chose, c’est ne pas être rien - quand menace le risque pur et simple de disparaître, et l’effacement de tout ce à quoi l’on a tenu. Stéphane Beaud évoque ainsi diverses zones de friction, qui coïncident toutes avec la défaite d’une identité, d’un espoir, d’une possibilité, mais qui par là même importent à ceux qui les subissent, par l’occasion qu’elles offrent d’« être contre. Vieux ouvriers / jeunes ouvriers : crise de la fierté, de l’identité subjective du groupe. « Dans le cours ordinaire du travail, les vieux ouvriers témoignent du sentiment que cette génération leur échappe, ne serait-ce que culturellement. Voir un jeune travailler avec un walkman, par exemple, leur paraît aberrant : le walkman, parfois le shit, revient à se couper des autres, de tout ce qui faisait la vie dans l’atelier. C’est aussi considérer que l’on est dans une relation purement instrumentale au travail, lorsque les ouvriers de Renault, de Peugeot, se vivaient avant tout comme producteurs, comme travailleurs - exploités, mais produisant une plus-value qui contribuait à la richesse collective. Mais aussi bien, ouvriers / intérimaires : crise de l’embauche, de l’acquisition objective du statut. « Lorsque, vers 20, 22 ans, les jeunes ont envie de se ranger, l’usine n’en offre plus la possibilité. L’embauche des intérimaires, c’est difficile : à Sochaux, il y avait 5 000 intérimaires l’année dernière, et sur l’année 2000-2001, ils en ont recruté 200. Évidemment, ce sont les ouvriers les plus malléables, les plus adaptés, conformes : les jeunes un peu rebelles ne sont jamais pris. Mais encore, ouvriers / jeunes immigrés, sur les deux plans : face à ceux qui veulent en être - ne jamais oublier, martèle S. Beaud, que la première émeute urbaine eut lieu à Vénissieux, en 1979, précisément au moment où la deuxième génération arrivait sur le marché du travail et se trouvait barrée. Face à ceux qui ne veulent pas, qui ont connu les classes de SEGPA, ne sont même pas parvenus au BEP, et tiennent les murs. « Le vrai point de fixation de ces ouvriers qui ne sont pas tous racistes, c’est : les jeunes font chier.

Le tableau tracé par nos interlocuteurs se précise peu à peu : en lieu et place de la « classe populaire politiquement unie dans une même conscience, ou des « couches populaires objectivement rassemblées sous la même condition, une répartition de positions en concurrence, et le sentiment trouble de n’avoir pour unité que celle dont on vous prive. Au centre du cyclone, Stéphane Beaud et Frédérique Matonti situent d’une même voix l’école - moins comme coupable que comme lieu de toutes les tensions et de toutes les déceptions. Parce que l’école, d’abord, est devenue dans les faits le vecteur d’une perte d’autonomie symbolique du monde ouvrier : allez produire et re-produire une culture en marge de la domination, allez dire : « on n’a pas besoin de vous, lorsque l’institution affirme quotidiennement l’égale capacité de tous à accéder à la même instruction, c’est-à-dire celle des autres. Parce qu’aussi, d’un même geste, l’école rejette régulièrement ceux qu’elle a fait mine de promouvoir, et déçoit l’espoir du « bac+2 auquel aspirent nombre de familles d’OS ou d’OP, touchées par le dégoût de la vie d’usine. Ne pas sous-estimer l’impact de cette double contrainte : la compétition scolaire est un jeu dangereux, si elle commence par couper culturellement les parents de leurs enfants, pour priver ensuite les enfants d’un avenir auquel leurs parents pensaient, contre leur propre histoire, les faire accéder. « On voit bien, précise S. Beaud, l’impact d’une telle compétition ; certains enfants d’immigrés réussissent mieux que les enfants des familles françaises, et celles-ci disent : on n’a pas été aidés, il y a du soutien scolaire dans les cités, des grandes soeurs, des grands frères... Il y a tant de raison de détester ces familles : parce qu’elles font trop d’enfants, ressemblant ainsi trop à ce que furent les familles ouvrières, mais pas assez à ce qu’elles se sont efforcées de devenir. Parce qu’elles réussissent mieux à l’école, et que cela handicape les enfants d’ouvriers. Ou parce qu’elles ne réussissent pas à l’école, et que cela influence les enfants d’ouvrier. La difficulté se relance du côté des lycéens, lorsque la relégation scolaire s’identifie à la cohabitation avec d’autres plantés, relégués et rivaux. « Ces jeunes blancs, comme ils disent parfois, ont été minoritaires, quand ils ont atterri en LEP - dans des « classes d’arabes », et emmerdés dans le préau. Ceux qui sont en échec scolaire subissent un double échec, vis-à-vis des attentes des parents et par leur relégation dans des classes où les autres, tout aussi humiliés d’être là, sont dans des logiques de groupes, de cités. Face à ces derniers, ils apparaissent comme des « pavillonnaires », qui ont plus d’argent, des scooters, etc., et attisent ainsi la rivalité.

fracture(s ?)

Dans ces conditions, entre la poussière des conflits et l’expression d’une hostilité d’ensemble, il est bien difficile de dire de quelle unité paradoxale se soutient le vote Front National. Il y a crise, mais où exactement ? La Misère du monde, déjà, dissolvait de facto l’unité de la domination en un nuage de points de friction, mais ne cessait en même temps d’invoquer une cassure, une « distance culturelle irréversible entre peuple et élites. De même, aujourd’hui, l’invocation raffarinesque d’une « France d’en-bas masque la véritable difficulté : celle de savoir si le vote FN fait fonds sur une crise de l’appartenance, de la sociabilité, ou de la représentation et de l’espace public - crise du haut et du bas, ou bien du côte-à-côte. Celle de comprendre, du coup, si ce vote témoigne d’une décomposition, à la manière d’un symptôme, ou s’il recompose une identité politique en déshérence.

À première vue, le diagnostic paraît simple : crise de l’encadrement social, érosion des structures aptes à contenir et à intégrer, en bref anomie. En témoigne, comme le note Frédérique Matonti, le niveau encore faible du vote FN dans l’Ouest - là où, bien qu’en perte de vitesse, le catholicisme fabrique encore du lien social ; là surtout où le maillage associatif est le plus dense. Il faudrait alors rechercher l’origine du problème dans la manière dont les syndicats ne médiatisent plus l’inscription des ouvriers dans le travail. Stéphane Beaud : « Lorsqu’on était ouvrier, soit l’on venait d’une famille fortement politisée et l’on adhérait très vite au syndicat, soit l’on venait d’une famille rurale, ou de droite, et les conflits de travail permettait d’entrer en douceur dans la syndicalisation - ce que permettait aussi l’existence d’une CFDT ouvrière aujourd’hui disparue.

Reste que rapidement, tout se complique : car cette crise de l’appartenance ne saurait être dissociée de celle de la représentation - parce qu’en son centre, la question du déclin du PCF mêle les deux dimensions. On l’a vu dans l’exemple de Lille : si ce ne sont pas les électeurs PC qui passent dans l’autre camp (F. Matonti souligne qu’un tel cas est bien rare - « tous les journalistes en cherchent, et n’en trouvent pas), c’est bien là où le maillage PCF était le plus dense que Le Pen réalise certains de ses scores les plus élevés. Or, sur ce point, nos interlocuteurs rappellent après Bernard Pudal [3] la nécessité de comprendre ce que fut le « stalinisme vu d’en bas (S. Beaud) : tout à la fois machine à intégrer (les immigrés, notamment) à la nation française, machine à reformuler les attentes sous une forme politique, et machine à produire des représentants strictement identiques à leurs représentés : des ouvriers, issus de la base, contournant du même coup l’illégitimité d’une telle position dans l’espace public. Le vote FN fait ainsi fonds sur un double effondrement : ce n’est pas que les querelles de voisinage trouvent une traduction illusoire dans l’espace politique, ni (à l’inverse) qu’une classe étroitement soudée dise son fait aux élites : c’est d’abord que s’efface la structure où, jusqu’aux années 1970, la fabrique du social et la dynamique de la représentation trouvaient à se coordonner.

On ne réduira pas, toutefois, le vote FN à l’absence de ce qui le précédait : ce serait ignorer, souligne Frédérique Matonti, la consistance d’un tel vote par-delà ses fluctuations. Ceux qui votent ont beau n’être pas toujours les mêmes, « on ne sait pas quelle catégorie de discours ou d’action permettrait d’endiguer ce comportement électoral. Martine Aubry en fit l’expérience, qui s’essaya au porte-à-porte et aux cages d’escalier, vit (elle et ses militants) environ 40 000 électeurs, et finit par arracher la mairie de justesse. Impossible, donc, de traiter le FN comme le symptôme d’un manque d’appartenance ou de représentation - à tout le moins, le symptôme résiste, et disqualifie ceux qui voudraient s’essayer à retourner au terrain. Mais impossible, tout autant, d’affirmer que le FN satisfait positivement des aspirations autrefois prises en charge par le PCF : il ne vient ni combler les fissures dans l’ordre de la sociabilité, ni combler la fracture dans l’élément de la représentation, en assurant l’identité représentants-représentés. D’un côté, et passé le cercle restreint des militants (entre 30 et 50 000), le FN n’offre guère de lieux de sociabilité, et ne paraît pas (du moins pour l’instant) se prolonger en structures de type syndical, mouvements de jeunes, etc. Un parti « ni de masse, ni de nombre, résume F. Matonti. Mais elle ajoute que, de l’autre côté, la logique de la représentation mise en oeuvre par le parti de Le Pen est strictement inverse de cette circulation, de bas en haut et de haut en bas, décrite par Pudal. « L’une des particularités du FN tient à ce que ses leaders se construisent et se présentent comme radicalement différents du peuple en tant que tel. Les conseils donnés aux militants qui passent à la télévision sont très clairs : costume-cravate, vocabulaire mesuré, etc. En bref, une volonté troublante de se présenter comme des notables ; on semble assister au retour d’un rapport au politique très ancien, où le représentant est éloigné au maximum, physiquement, socialement, de celui qu’il représente.

Nous retrouvons ici, en somme, l’énigme de départ : celle du silence et de l’insaisissable - d’une curieuse adhésion communautaire, qui ne fait pas communauté ; d’une curieuse représentation, qui ne s’affiche pas. « À Montbéliard, raconte S. Beaud, le candidat du MNR aux municipales n’était pas un représentant ouvrier, mais un étudiant en AES, de Besançon. Et il a fait 12 %... » On peut y voir, certes, la pesée d’appareils syndicaux qui résistent encore. On peut y voir aussi, mais sans savoir qu’en faire, un paradoxe qui en somme complète le tableau : une classe qui n’existe pas vote, avec une relative constance, pour un parti qui ne la représente pas. Vous avez dit fantômes ?

Notes

[1La Misère du monde, sous la direction de Pierre Bourdieu, Paris, Seuil, 1993.

[2Gérard Noiriel, Les Ouvriers dans la société française XIXème-XXème siècles, Paris, Seuil, 1986.

[3Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989.