itinéraires militants

autoportraits - 1/ Abdelkader Berrichi

Ce portrait ainsi que les trois autres [1] qui l’accompagnent sont des itinéraires militants, dits à la première personne du singulier, à visage découvert.

Ils ne « redonnent » pas « la parole » à des gens « prives de parole ». Les quatre personnes dont il s’agit n’ont au contraire cessé, durant les mois qui ont suivi les deux décès de mai 2002, voire durant les années qui ont suivi la mort d’Abdelkader Bouziane, de se saisir de toutes les occasions de parole publique. Ces portraits prolongent donc, sous la forme autobiographique, le pari de leurs interventions publiques : faire du « je » la force de leur engagement.

Abdelkader Berrichi, né en 1975, a grandi à la cité du Bas-moulin, Dammarie-lès-Lys.

Avant la mort d’Abdelkader Bouziane, en 1997, je travaillais comme bénévole au centre Albert-Schweitzer, c’était encore une association de Dammarie-Animation. En 1996, j’avais 21 ans, j’ai commencé à me prendre en main. Parce que mon parcours, c’est quoi ? En 1995, j’ai eu un accident de voiture, j’ai fait trois semaines de coma, tout ça. Après, je me suis isolé, je me suis refermé sur moi-même. Six mois après, je commençais à revenir dans le quartier, mais je galérais, ils m’ont démissionné de l’école. J’avais plus de situation, je ne travaillais pas. Il y avait un projet qui me tenait à coeur, c’était la création d’un atelier hip-hop. Je leur ai donc proposé. Ils ne me payaient pas, ils me prêtaient juste une salle, c’était bénévole et j’animais. Ils ont vu que sur ce projet, il y avait une forte fréquentation (je peux le prouver, il y avait une salle, tout ça). Le projet, il était super beau. Ils ne l’ont pas récupéré tout de suite ; ils m’ont récupéré moi. Ils m’ont proposé des contrats vacataires, jusqu’à une période d’été à plein-temps. À la rentrée, ils m’ont proposé un CDD Dammarie-Animation, jusqu’au drame en 1997.

Suite aux événements de 1997, ils ont recruté des animateurs, des personnes soit-disant maghrébines, soit-disant blacks, soit-disant ceci, soit-disant cela... Ils ont calmé beaucoup de jeunes en leur donnant un boulot. Bon, c’est bien, on le sait qu’il y a un gros problème de chômage. Alors évidemment, quand tu regardes les bilans de Dammarie-Animation, tu as toujours l’impression qu’énormément a été fait, mais quand tu regardes dans le fond... Je le sais, j’ai été à Dammarie-Animation, je peux le dire. Le service animation a été récupéré par la mairie. Moi, j’étais à la fois associatif par rapport à mes contrats, mais j’étais « Mairie » au niveau de mon travail quotidien. Après ça, ils ont vu que j’avais participé aux manifestations de 1997, que j’avais créé Bouge qui Bouge. Ils ont creusé le fossé, ils se sont mis en retrait de Bouge qui Bouge, mais quand ils avaient besoin de nous pour les animations, les stands, et tout, ils nous appelaient.

Mais de toutes façons, moi, je ne rentrais plus dans leur politique et j’ai été déçu de tout ça et j’ai laissé tomber l’atelier hip-hop et ça s’est ressenti par rapport aux jeunes. Mais je leur ai dit, en parallèle, il y a Bouge qui Bouge qui existe on peut remettre ça entre nous, même si on s’entraîne dans les garages d’Intermarché, c’est vrai qu’on s’est entraînés dans les sous-sols. Parce que c’est vrai que c’était indépendant, c’était les heures qui correspondaient aux jeunes, pas les heures qui correspondaient à la municipalité. Parce qu’il faut savoir que le centre Schweitzer, la soit-disant superstructure qui a permis d’inviter Balladur à l’inauguration, elle est exploitée de 9 heures 30 voire 10 heures, le début des activités, jusqu’à 19 heures, maximum, terminé, plus rien, voire 17 heures pour les fonctionnaires maintenant. Alors les jeunes, le temps qu’ils arrivent, qu’ils rentrent de l’école, le temps qu’ils déchargent, ça ne fait plus qu’une heure et demie. Nous, au Bas-Moulin, on s’est organisés à plein-temps il n’y a eu que des bénévoles, il y en a aucun qui a été salarié à Bouge qui Bouge, c’est que du bénévolat. Et on en est fiers aujourd’hui, on en est fiers, même si c’est pas l’image qui est donnée dans les médias, dans la presse, dans les communiqués de M. Mignon. On est fiers. Et ça se ressent.

Et puis un jour, du jour au lendemain, je me suis fait licencier, sans motif valable. J’ai pas engagé des poursuites, parce que ça m’intéresse pas. De toutes façons, j’étais à l’écart de mon projet et j’avais mal au coeur. Le projet a été récupéré, je me fais licencier. En 2002, il y a les événements. On se fait lourder. Sans aucun motif valable. L’association se retrouve SDF. Voilà la politique de la Ville.

Après 1997, ils ont endormi tout le monde avec une super-activité sur Dammarie-lès-Lys. Ils ont invité le RAID-Aventures. Le RAID-Aventures, c’est la police. Au début, on était tous bénévoles, on avait tous des t-shirts RAID-Aventures, des blousons RAID-Aventures, des casquettes RAID-Aventures... Même moi, je le dis, parce que je les ai mis... Bon, j’étais jeune je me relance un peu la faute. Je m’étais pas assez impliqué politiquement. Et puis j’avais confiance. Ce n’est qu’après qu’on s’est rendu compte qu’ils sont venus seulement après la mort d’Abdelkader, le RAID-Aventures. Ils ne sont pas venus avant. Alors là, il y a eu un premier contact qui s’est fait avec la police. Bon, c’est vrai, c’était la police, on voyait, ils faisaient de la descente en rappel, ils faisaient du saut à l’élastique, c’était bien, c’était la première fois... Mais avec du recul aujourd’hui... Normalement, ils devaient revenir en 2002, le 22 juin lors de la fête annuelle. Ils sont venus deux fois depuis 1997. La première fois, c’était en 1997, la présentation. La deuxième fois, ils sont venus pour du recrutement, le recrutement de certains jeunes bien choisis, hop ! Et après on les a plus revus. Et en 2002, ils voulaient revenir soit-disant à la fête et nous, on leur a envoyé un communiqué pour refuser. On a rencontré la personne responsable de RAID-Aventures, on lui a demandé de ne pas être présente, parce que ça incitait aux débordements. On n’acceptait pas qu’ils tentent de nous endormir avec du spectacle. Il faut savoir, maintenant, qu’ils sont peut-être pas venus le lundi 22. Mais ils sont venus le 24 cagoulés !

Notes