Tensions

« on est en train de régler la situation de M. Kader »

Deux moments de tension : un bras de fer téléphonique entre la préfecture et Samir Baaloudj, une séance du conseil municipal où l’opposition transmet au maire un courrier de Bouge qui Bouge - retranscription partielle d’enregistrements sonores.

Vendredi 6 juillet 2002, sous la tente de Bouge qui Bouge installée au pied de la cité du Bas-Moulin. Depuis le début de l’après-midi, Abdelkader Berrichi, président de l’association Bouge qui Bouge et frère de Mohammed Berrichi, mort le 23 mai, est en garde à vue. Les membres de l’association veulent tenir la fête devant le centre Albert-Schweitzer, sur la place du 8 mai, ce à quoi, par arrêté municipal, le maire s’est opposé. Ils apprennent toutefois que la préfecture de Seine-et-Marne leur propose un autre lieu. Suivent de nombreux échanges téléphoniques entre la préfecture et Samir Baaloudj, entre 17h00 et 19h30.

Samir, en ligne avec une interlocutrice de la préfecture :

Samir « Nous, on a vous téléphoné, on était prêts à négocier. Mais le problème, c’est que le président de l’association, celui qui doit prendre la décision, ils l’ont mis en garde à vue en ce moment même à Dammarie-lès-Lys.

(...)

Samir « On sait pourquoi il est là-bas : pour un outrage qui n’existe même pas. S’il est mis en garde à vue, c’est à cause de la fête de demain. En plus c’est le frère de la victime, ses parents sont sens dessus dessous. Ils essayent de nous mettre la pression. À Dammarie, entre le maire et l’association, c’est la guerre ouverte. Vous le savez de toute façon, vous avez dû en avoir des échos. Aujourd’hui, si la préfecture nous propose quelque chose, c’est bien qu’elle sent bien que finalement on n’est pas ce qu’on a dit de nous(1).

(...)

Samir « On est même prêts à se déplacer, à ouvrir un dialogue avec quelqu’un de la préfecture. Mais aujourd’hui on ne peut pas l’accepter cette proposition, même si elle est intéressante.

(...)

Samir « Essayez de faire passer le message. J’espère que quelqu’un va pouvoir me téléphoner avant 19h, pour éventuellement trouver une porte de sortie pour demain, parce que pour l’instant, nous, on fait la fête à Albert-Schweitzer. Je vous remercie. Au revoir.

Il raccroche.

10 minutes plus tard, la préfecture rappelle

Préfecture : « On vous propose d’aller au stade Auguste-Delaune.

Samir « Le président de l’association est toujours en garde à vue. Alors comment on fait, nous

Préfecture : « D’accord, nous sommes en train de voir cette situation également.

Samir « Vous êtes en train de voir la situation de Kader

Préfecture : « Effectivement, monsieur Cloris est en train de prendre les contacts nécessaires pour faire le point sur cette question de garde à vue.

Samir « D’accord. J’attends alors.

Préfecture : « Par contre, nous vous demandons de pouvoir nous donner une réponse...

Samir « Ah non ! Tant qu’il n’est pas dehors, je ne peux pas vous donner de réponse. Je ne peux pas me permettre de vous donner une réponse tant que Kader Berrichi n’est pas dehors, tant qu’il ne sera pas à côté de moi.

(...)

Préfecture : « On pourra continuer nos négociations pour la libération de cette personne.

Samir « Ah, c’est-à-dire que finalement, vous êtes en train de me poser une condition « je vous dis oui, on le fait à Delaune », et vous continuez les négociations

Préfecture : « Non, vous me disiez tout à l’heure que vous vouliez négocier avec quelqu’un de la préfecture, c’est ce que nous sommes en train de faire. Donc, ce n’est pas exactement la même proposition que je vous ai faite cet après midi. La première proposition qui vous est faite est toujours d’organiser la manifestation au stade Delaune. Par rapport à ce que vous m’avez expliqué tout à l’heure, monsieur Cloris a pris les contacts nécessaires pour faire évoluer la situation de monsieur Kader. Donc, ce que l’on souhaite, c’est d’avoir une sorte d’engagement moral de votre part, de me dire qu’effectivement, si on va jusqu’au bout pour régler la situation de monsieur Kader, la manifestation sera bien déplacée demain au stade Delaune.

(...)

Samir « Mais moi je ne peux vous répondre. Si je vous dis « oui, on la déplace à Delaune », ce sera un mensonge de ma part. Là je vous mentirais. (...) En tout cas, si Kader dort là-bas, je peux vous assurer que demain, il faudra nous évacuer par la force !

Préfecture : « Je vous redis ce que je vous ai déjà dit. Nous sommes en train de faire une proposition. Effectivement, nous sommes en train de prendre des mesures nécessaires pour répondre à la situation de monsieur Kader. Mais il faut bien que vous puissiez nous donner un engagement moral.

(...)

Préfecture : « Je crois que nous vous faisons une proposition qui me semble tout à fait adéquate.

Samir « Non, elle n’est pas adéquate. Vous savez, c’est quand même le frère de la victime qu’on a mis en garde à vue. Là on est en train de massacrer la famille, petit à petit. On met le frère de la victime en garde à vue et en contrepartie on nous propose des choses.

(...)

Samir « Nous, on apprécie d’avoir un interlocuteur, c’est ce qu’on voulait. De ce côté-là, je pense, que ça soit pour vous ou pour nous, on est contents. C’est déjà un point positif, qu’on soit au téléphone et qu’on se parle. (...) Rappelez-moi dans 10 minutes et je vous donne une réponse. Merci.

Peu de temps après.

Samir « Allo

Sous-préfet « Oui, bonjour, c’est la préfecture de Melun. Je suis en mesure de vous annoncer que Monsieur Berrichi sera libéré ce soir, la garde à vue sera levée ce soir.

Samir « C’est sûr et certain

Sous-préfet « Oui, dans les heures qui viennent.

Samir « Donc c’est une affirmation ce que vous êtes en train de me dire

Sous-préfet « Oui, oui, oui. Je suis le sous-préfet, je ne vous raconte pas de conneries. Moi je vous le dis Monsieur Berrichi sera libéré ce soir.

Samir « D’accord, ça c’est une chose. Maintenant, nous allons passer à une seconde chose, au plat de résistance. Comment on fait pour le lieu de demain

Sous-préfet « Ecoutez, la mairie de Dammarie vous propose donc ce stade Delaune, qui sera à votre disposition si vous l’acceptez.

Samir « D’accord. Mais moi j’ai deux choses à vous dire. On vient de visiter le stade Delaune, on allait accepter la proposition, mais il se trouve qu’on ne peut pas l’accepter. C’est rempli d’eau, à cause des intempéries. Deuxième chose, nous on voudrait savoir pourquoi Monsieur Mignon a appelé tous les médias cet après-midi pour dire « on leur a proposé Delaune. » Donc, dès l’après-midi, il savait avant nous que vous alliez nous proposer ce stade. Pourquoi lui s’est-il permis d’appeler les médias pour leur annoncer ça

Sous-préfet « Écoutez. Je ne suis pas responsable de ce que fait Monsieur Mignon.

Samir « Oui, mais Monsieur Mignon, il est en train de créer une discorde au sein de Dammarie qui est énorme. C’est à vous de lui dire : « Peut-être tu ferais bien d’y aller un peu plus doucement. » Par exemple, avec le local de Bouge qui Bouge. Vous êtes au courant, non Y’a quand même eu une expulsion. Les raisons de l’expulsion, elles sont discutables, Monsieur le Préfet. On n’expulse pas une association comme cela. Deuxième chose nous, on a lancé un cri d’alarme. Ça fait un mois aujourd’hui. Ça veut dire que cela fait un mois qu’on cherche des interlocuteurs à qui parler. Pourquoi aujourd’hui, on fait attention à nous On n’arrive pas à comprendre. Pourquoi simplement aujourd’hui, on a des relations avec la préfecture On a demandé cela depuis longtemps, depuis que Mohammed Berrichi est mort, Dieu ait son âme. Nous, on demande justement à discuter avec des gens, à leur expliquer comment on vit, ce qui se passe dans nos quartiers. Bouge qui Bouge est un interlocuteur indispensable du quartier. On vient de se priver d’un outil indispensable du quartier du Bas-Moulin avec le local. On fait du soutien scolaire, on...

Sous-préfetÉcoutez, moi j’interviens sur un point précis, qui est de proposer une solution alternative pour que la fête qui était projetée sur Dammarie-lès-Lys ait lieu.

Samir« Oui, mais il y a deux choses. Nous, on veut organiser demain un débat public avec des animations pour jeunes, de 9 à 13 ans, et on ne va pas pouvoir les faire. On vient de visiter le stade Delaune. Il est rempli de flotte. On ne peut pas installer nos tentes, on ne peut pas faire de l’animation pour les jeunes. C’est impossible. Pourquoi vous ne nous laissez pas Schweitzer Vous verrez qu’on est de toute confiance. Si on vous dit qu’il n’y aura pas de problème, il n’y aura pas de débordement. On vous l’a prouvé à plusieurs reprises. Laissez-nous faire à Schweitzer et nous, on s’engage, je vous le dis bien, on s’engage à ouvrir un vrai dialogue avec vous. Laissez-nous faire ce que nous voulons faire demain et à partir de lundi, on s’engage. Vraiment. En plus, le message qu’on veut transmettre, on veut le faire passer principalement aux habitants. À Delaune, ils ne nous verront pas. On ne veut pas parler qu’aux jeunes. Notre combat est aussi avec les habitants du quartier. On veut ré-instaurer un vrai dialogue avec eux. Pourquoi vous ne voulez pas nous donner un coup de main Pourquoi vous voulez nous mettre à l’écart, au stade Delaune, là-bas. On sait que personne viendra.

Sous-préfet« Moi je note une chose, c’est qu’on vous a fait une proposition. Je note que vous n’en voulez pas.

Samir« Non, ce n’est pas cela. Nous, on veut savoir si vous êtes un véritable interlocuteur. Si ce soir, après avoir raccroché, on pourra éventuellement se rencontrer pour parler des problèmes des quartiers. On veut ouvrir le dialogue, on veut parler des problèmes du quartier, on veut résoudre ce qui se passe ici. On ne veut pas de violence, d’ailleurs on l’a prouvé. On a prouvé qu’on n’était pas violents.

Sous-préfet« Il y a deux choses. Il y a un point ponctuel, qui était l’organisation de cette fête ...

Samir« Mais je vous le dis, on s’est organisés en fonction de Schweitzer, on ne peut pas en deux heures tout basculer à Delaune.

Sous-préfet« Bon, vous prenez vos responsabilités. C’est tout. On avait réussi à négocier, cela n’a pas été facile pour qu’il y ait un lieu pour vous...

Samir« Vous-même vous l’admettez que cela n’a pas été facile de négocier avec Mignon, vous voyez.

Sous-préfet« Mais avec tout le monde. Ce n’est pas facile de négocier avec vous non plus (...). Ce que je peux simplement vous dire, c’est que pour l’instant, l’objet de la négociation, c’est uniquement d’aller au stade Delaune. Moi, je n’ai pas d’autres propositions à vous faire. Vous m’avez dit que Monsieur Berrichi était en garde à vue. Nous sommes arrivés à convaincre les gens qu’il fallait mettre un terme à cette garde à vue. Les autorités, toutes confondues, ont décidé de mettre fin à cette garde à vue. Maintenant, on en est avec une garde à vue qui est terminée, une proposition qui est toujours faite d’aller au stade Delaune. Maintenant la balle est dans votre camp. Voilà pour le court terme. Pour le long terme, il y a des tas d’acteurs sur la Plaine-du-Lys. Il faut retisser du lien social sur la Plaine-du-Lys. Moi a priori, dans l’avenir, je n’exclue personne dans la discussion. Tous les gens qui veulent conforter du lien social, lutter contre la délinquance et faire en sorte de mieux vivre dans ce quartier-là, seront les bienvenus dans la discussion.

Samir« Mais c’est ce qu’on fait. On n’a jamais fait le contraire. Écoutez, il y a eu deux descentes de police à Dammarie-lès-Lys. Une de deux cents fonctionnaires pour un barbecue, le jour de l’anniversaire du défunt ; on voulait organiser un repas gratuit à l’Abbaye et on nous a amené un arrêté municipal pour l’interdire. On est partis, on a fait le barbecue ailleurs. On a eu quatre cents fonctionnaires de police le 24 juin dernier, pour faire une réquisition dans un local de 10 m2. Quatre cents fonctionnaires de police avec toutes les exactions qui ont eu lieu, dont vous n’êtes certainement pas au courant. Pour nous, c’est stratégique d’aller au stade Schweitzer. On ne peut pas aller ailleurs. Nous, on veut vous prouver qu’on est capable d’organiser un truc tout seuls, sans l’aide de personne. Nous, on veut du dialogue. Quand on nous dit qu’on ne veut parler avec personne, c’est complètement faux. Aujourd’hui, on nous a fermé le local. On a mis fin à toutes les activités du local. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas un rapport de forces qui se crée Comment voulez-vous qu’on garde notre sang-froid par rapport à toutes les injustices qui ont été commises jusqu’à aujourd’hui Moi je vous propose quelque chose.

Sous-préfet« Écoutez, on peut résoudre le problème maintenant.

Samir« Mais non, on ne peut pas.

Sous-préfet« Écoutez, soit vous prenez Delaune, soit vous ne le prenez pas, je vous laisse réfléchir. Si vous êtes d’accord, vous me le faites savoir. C’est tout, moi je ne peux pas aller plus loin ce soir.

Samir« Je vous le ferai savoir quand je verrai Kader en face de moi. D’accord ?

Sous-préfet« D’accord. Vous nous le faites savoir et puis pour l’avenir, on verra comment des relations pourront se construire.

Samir« Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. N’oubliez pas ce que vous venez de me dire, car je vous le répéterai.

Sous-préfet« Voilà.

Samir« Merci, au revoir.

Sous-préfet« Au revoir, bonne soirée.

Fin de la discussion aux alentours de 19h45.

Abdelkader Berrichi sera relâché vers 20h00.