gauches du possible, gauche de l’impossible ?

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Lire, dans les récents résultats électoraux, l’épiphanie des luttes ou les prémices d’une trahison revient à doter la Gauche d’une essence éternelle, tapie sous le boisseau ou vouée à se corrompre. On préfèrera lire ici, sous ce nom, une constellation de problèmes actuels : s’y croisent les formes du gouvernement, le rapport du politique au social et le sens même du « populaire ». Problèmes qui pourraient bien, ailleurs, être les nôtres.

Coups d’Etat, élimination physique de ses cadres et militants, trahisons, infiltrations par la CIA, guerres fratricides : l’histoire de la gauche latino-américaine du début du XXème siècle jusqu’à l’aube des années 2000 semble être celle de l’éternel échec. Pourtant, au cours de ces dernières années, des candidats issus des partis de gauche sont parvenus aux sommets de l’Etat en maints pays du continent latino-américain.

vagues de gauche

Le controversé Hugo Chávez ouvre le bal en 1998 en remportant les élections vénézuéliennes avec plus de 50% des voix. L’année suivante, c’est le socialiste Ricardo Lagos qui, dans le cadre de la « Concertation » - coalition avec les démocrates chrétiens, très conservateurs sur les questions sociétales - gagne la présidentielle au Chili. En 2002, Ignacio « Lula » Da Silva obtient 46% des voix au premier tour et 61% au second tour mais, aspect trop souvent oublié, est très loin d’avoir une majorité : le Parti des travailleurs n’obtient que 20% des sièges législatifs, et le gouvernement de « Lula » est donc quasiment un gouvernement de cohabitation. En Equateur, le général Lucio Gutierrez, qui accède la même année à la tête de l’Etat avec 20% des suffrages au premier tour et 54% au deuxième, bénéficie de l’appui de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE), principale organisation indigène du pays, mais le perd en appliquant des politiques néo-libérales, et, pour finir, est acculé à la démission en 2005. En 2003, Nestor Kirchner, dans un contexte de division des péronistes, dont il représente l’aile gauche, s’impose en Argentine. En 2004, en Uruguay, l’ancien maire de Montevidéo Tabaré Vasquez, candidat du Frente Amplio, gagne les élections dès le premier tour (50,5% des voix). En Bolivie, alors qu’il avait été écarté du pouvoir par le parlement en 2002 par un subterfuge législatif, Evo Morales, candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS), s’impose en 2005 dès le premier tour avec 54% des voix. Enfin, début 2006, c’est la socialiste Michèle Bachelet, qui, toujours dans le cadre de la « Concertation », remporte les présidentielles chiliennes au deuxième tour avec 53,5% des voix.

La « gauche » est donc au pouvoir. Mais de quelle(s) gauche(s) parle-t-on vraiment ? Est-elle l’héritière en ligne directe des partis communistes ou des mouvements de guérilla des années 1960 et 1970, ou bien une nouvelle réalité politique ? Quelles sont ses lignes de clivage internes et quel type de relations entretient-elle avec les mouvements sociaux ?

Populaires ou Populistes

Les rares expériences de gouvernement démocratique de gauche — celles de Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954 et de Salvador Allende au Chili en 1970-1973 — ont été rapidement interrompues et, sous les dictatures, les rangs de leurs mouvements ont été physiquement décimés. En outre, la gauche latino-américaine est marquée par la coexistence parfois forcée, parfois complice, entre les partis communistes d’un côté, les partis dits populistes de l’autre. La naissance des partis communistes dans certains Etats d’Amérique latine fut placée sous une étoile ambiguë : le PC mexicain a été créé par un agent américain ; d’autres par des immigrés européens, faisant du marxisme un greffon étranger au continent latino-américain. Dans de nombreux pays, l’existence des partis communistes - tout comme celle des autres courants de la gauche - est par conséquent resté anecdotique, et elle fut souvent le produit du monopole du champ politique par une classe moyenne « éclairée ». En Colombie et en Uruguay, les ouvriers ont été incorporés dans des « fractions progressistes » de partis oligarchiques [1]. Les cas chilien et, dans une moindre mesure, brésilien, ont constitué ici des exceptions, avec l’existence de partis communistes et socialistes forts et solidement articulés à la classe ouvrière.

Par ailleurs, les partis issus de révolutions et/ou de tendances « populistes », comme le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR) en Bolivie et le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) au Mexique, se sont caractérisés par une grande capacité d’inclusion politique des secteurs populaires ainsi que par la mise en place de réformes sociales. Autant d’éléments qui ont alimenté la faiblesse chronique des composantes partisanes de gauche. Le MNR, lors de la « révolution » de 1952, abolit le servage dans les grandes haciendas, confère des droits de suffrage limités aux « illettrés » et appuie certaines revendications indigènes de récupération de terres spoliées. Au Mexique, le PRI, entre 1936 et 1940, poursuit la réforme agraire interrompue après la Révolution de 1910, nationalise le pétrole et met en place les grandes « corporations » ouvrières et paysannes. Les organisations « populistes », qui disposaient d’une ample participation militante, ont dès lors laissé peu de place aux mobilisations par les partis de gauche proprement dits. Corollaire de cette situation, l’Amérique latine n’a pas connu de réelle expérience sociale-démocrate dans les deux premiers tiers du XXe siècle. Enfin, à rebours de toute vision romantique, le développement des guérillas — le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) au Chili, les Montoneros en Argentine, les Tupamaros en Uruguay — dans les années 1970 a essentiellement été le fruit de la radicalisation d’une fraction des classes moyennes. Rares furent les guérilleros n’ayant pas suivi d’études universitaires, et rares les guérillas réellement implantées dans les campagnes et les quartiers populaires.

Les régimes autoritaires des années 1960 et 1970 ont par surcroît redessiné en partie la cartographie partisane de la gauche en Amérique latine. Le clivage historique fondateur entre « populistes » et communistes s’en est trouvé brouillé — avec, bien sûr, des configurations variées à l’échelle du continent, des continuités ou des rémanences partisanes dans certains cas, l’émergence de champs politiques post-dictatoriaux radicalement nouveaux dans d’autres. Dans certains cas, les régimes autoritaires et semi-autoritaires ont débouché sur une véritable disparition des militants de gauche. Disparition par suite d’élimination physique, comme en Argentine. Disparition aussi par absence de renouvellement militant spontané - le coût de l’engagement étant devenu trop élevé en situation de répression extrême. Disparition, enfin, par suite de la cooptation par les partis dominants, comme au Mexique. Savoir-faire militants, mémoires partisanes et bastions historiques de gauche disparaissent alors.

Un autre processus implique aussi un glissement, et parfois un effacement, de tradition militante : la lutte contre la dictature cristallise des alliances qui affectent le positionnement idéologique de certains partis. Ainsi, la mobilisation contre les violations des droits de l’homme sous Pinochet (1973-1988), puis la possibilité de mettre fin au régime viale référendum de 1988, scelle l’alliance toujours actuelle entre le Parti socialiste chilien (PSC) et les démocrates-chrétiens. Ricardo Lagos, président issu du PSC, a dû ainsi composer avec des secteurs politiques très conservateurs : il n’a obtenu la relégalisation du divorce, interdit sous la dictature, qu’au prix de longues négociations. De plus, cette gauche entretient un rapport complexe à sa mémoire militante. Lors de son élection à la présidence en 2000, Lagos a ainsi déclaré qu’il ne voulait pas être « le deuxième président socialiste, mais le troisième de la Concertation » (après deux démocrates-chrétiens) : manière de refuser une filiation restreignant par trop son bassin de soutiens potentiels. Certains membres de son équipe gouvernementale n’ont pourtant pas caché leur appartenance à des mouvements de guérilla sous la dictature... L’héritage d’Allende semble donc plus difficile à assumer que celui de l’entrée en guérilla, assimilée à un simple péché de jeunesse.

Enfin, l’exil massif dans les pays où les régimes ont été les plus répressifs a tendu à créer une gauche qui s’est rapprochée des partis sociaux-démocrates européens. Les exilés du cône sud ont en effet tissé des liens forts avec ces derniers. L’Internationale socialiste a alors organisé un vaste réseau de solidarité, et ce faisant façonné ceux qui deviendront les élites des « transitions ». Mais « l’internationale libérale » en a fait autant : nombre d’exilés ayant trouvé refuge dans les bureaucraties des organisations internationales ont accompagné le virage néo-libéral de ces dernières et se sont réapproprié pleinement le discours emphatique de la « bonne gouvernance ». Les expériences des dictatures ont ainsi eu pour effet de former une gauche cosmopolite, issue généralement des classes moyennes intellectuelles (universitaires, professions libérales), fortement transnationalisée et en partie acquise au néo-libéralisme, qu’elle entend réformer mais non plus mettre à bas. L’expérience de l’exil a in fineforgé une forme de social-démocratie « à la latino ». Dans ce contexte, les modes opératoires venus de la tradition « populiste » n’en ont été et n’en restent que plus stigmatisés.

Pourtant, force est de constater que dans certaines configurations nationales, aujourd’hui comme hier, l’articulation au politique des classes populaires, et notamment des populations indigènes, se fait principalement sous la bannière dite « populiste ». Et cela qu’il s’agisse, dans certains cas, de l’accès à des programmes sociaux, ou, dans d’autres, d’une présence comme législateurs, maires ou membres de l’exécutif. Si bien que parfois, le clivage entre gauche dite « populiste » et gauche « sociale-démocrate » cache une vraie guerre de classes. Dans ce contexte, le populaire est taxé de « populiste » : la manière de s’exprimer et bien sûr certaines formes de mobilisation politique des plus pauvres sont stigmatisées comme nourrissant des pratiques clientélistes, de même que certaines politiques publiques de type redistributif [2] sont délégitimées au motif de leur instrumentalisation factionnelle.

des partis fortement articulés aux mouvements sociaux

Cependant, certaines trajectoires politiques nationales ont favorisé l’émergence de partis hybrides, caractérisés par une véritable insertion dans les mouvements sociaux et une meilleure capacité de représentation des secteurs populaires.

Dans le cas du Mexique comme du Brésil, les mobilisations populaires ont apporté leur pierre aux changements de régime [3], contrairement à une vision souvent répandue. De ces mobilisations ont émergé des partis fortement articulés à des mouvements sociaux : le Parti des travailleurs (PT, créé en 1979) au Brésil et le Parti de la révolution démocratique (PRD, créé en 1989) au Mexique. En effet, lorsque les partis de gauche ont été frappés d’anathème, nombre de leurs militants ont opté pour la clandestinité et un travail discret de politisation des secteurs populaires à travers les actions menées par des associations locales : cours d’alphabétisation, gestion de dispensaires, occupation de terres et revendication du droit aux services de base (eau, électricité, tout-à-l’égout). Progressivement, l’action clandestine a perdu de son intensité au profit de ce travail d’aide sociale. Dans le cas du Brésil, le PT s’est formé autour de petits groupes de gauche, de communautés ecclésiastiques de base et d’un syndicat de la métallurgie implanté principalement à Sao Paulo. À sa fondation, le PT est donc profondément intriqué à des mouvements sociaux locaux.

Dans le cas du Mexique, c’est après le tremblement de terre de Mexico, en 1985, que le processus de transition s’accélère. En effet, face à l’incapacité du gouvernement à assumer ses responsabilités dans une situation d’urgence, la demande d’aide immédiate des victimes se transforme rapidement en un vaste mouvement de contestation du régime. Les anciens militants des guérillas ou de groupes bannis par le pouvoir mobilisent alors les réseaux associatifs qu’ils ont tissés pendant leurs années de clandestinité, et deviennent les principaux acteurs de ce que l’on appelle le Mouvement urbain populaire (MUP). Par leur intermédiaire, celui-ci passe du stade des revendications matérielles à celui de la lutte contre le régime de parti unique. En 1989, de nombreuses organisations du MUP participent activement à la création du PRD, composé des plusieurs petits partis de gauche, de mouvements paysans et étudiants, ainsi que de la gauche du PRI. La trajectoire de Marco Rascón illustre la destinée de cette génération (voir ci-dessous).

Le cycle de mobilisations qui a accompagné la mise en cause et la chute des régimes autoritaires et semi-autoritaires a ainsi prafois débouché sur le passage au politique, ou le retour au militantisme partisan, de toute une génération, et sur la politisation de populations défavorisées. Des représentants de ces dernières ont alors accédé à des fonctions électives, comme le prouvent les cas du PT et du PRD.

Mais une fois la « lutte pour la démocratie formelle » terminée, autrement dit au terme de ce cycle de mobilisations, la déconnexion de ces partis d’avec les mouvements sociaux émergents, mais aussi d’avec les revendications dont ils sont porteurs, est d’autant plus critiquée que l’imbrication avait été forte auparavant. Le PT de gouvernement et le Mouvement des sans terre entretiennent une relation complexe. Le divorce est également plus que consommé entre le PRD et l’EZLN [4], qui se font concurrence pour le monopole du label d’authentique mouvement de gauche. En août 2005, un an avant l’élection présidentielle, alors que le candidat du PRD, Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO) [5], était en tête dans les sondages, l’EZLN a lancé le projet d’une campagne parallèle : « l’autre campagne », pour donner la parole aux « sans voix », et notamment aux peuples indigènes. A partir de janvier 2006, le sous-commandant Marcos, qui s’est lui-même rebaptisé « délégué zéro », a sillonné le Mexique à moto, à l’instar des principaux candidats (qui le parcourent, le plus souvent, eux, en bus). « L’autre campagne », si elle représente bien une critique générale de la classe politique mexicaine, fait en effet du PRD sa principale cible, comme le remarque l’intellectuel pro-zapatiste Octavio Rodríguez Araujo [6]. Et de souligner les propos acerbes de Marcos à l’encontre du PRD lors de conférences de presse de l’été 2005 : « on va les réduire en miettes », « on va leur casser la gueule ».

Le Mouvement vers le socialisme (MAS) de Bolivie [7], lui aussi directement né d’un mouvement social, peut-il échapper à cette règle de l’inexorable éloignement entre partis de gauche devenus partis de gouvernement et mouvements sociaux ?

À la fin des années 1980, de nombreuses mines sont fermées. Les mineurs, fortement organisés par la Centrale ouvrière bolivienne (COB), se reconvertissent dans deux principaux secteurs d’activités : le petit commerce, surtout à La Paz et à Cochabamba (troisième ville du pays), et la culture de la{}coca. Cette dernière se développe par conséquent dans des zones minières qui n’étaient pas traditionnellement ses foyers endémiques, et la production est encadrée par de puissantes structures syndicales. Malgré l’évolution de leur statut professionnel, nombre d’anciens mineurs et de nouveaux producteurs de coca restent membres de la COB. Par ailleurs, au début des années 1990, l’organisation d’une campagne transnationale autour de la commémoration de la « découverte » de l’Amérique latine, intitulée « 500 ans de résistance », contribue à cristalliser les revendications indigènes. La défense de la culture de la coca devient alors un symbole de la défense de l’identité des indigènes de Bolivie. En 1994 est organisée la « marche pour la vie, la coca et la souveraineté nationale », marquant l’affirmation du mouvement des producteurs de coca (les cocaleros) sur la scène politique nationale. La gauche (Izquierda Unidad, Gauche unie) opte pour une alliance avec les cocaleros : en 1997, 10 mairies (sur 314) sont conquises et 2 députés élus, dont Evo Morales, l’actuel président bolivien. Ce dernier, syndicaliste de la COB, crée alors l’Instrument pour la souveraineté populaire des peuples (Instrumento político par la soberanía de los pueblos,IPSP), qui devient en 1998 le Mouvement vers le socialisme (MAS-IPSP). Le MAS s’inscrit dans une tradition bolivienne, rare en Amérique latine, de fusion du marxisme et du discours indigéniste de type communautaire [8]. L’adhésion militante au MAS est essentiellement collective : ce dernier se présente comme une « fédération de mouvements sociaux » ou comme un « bras politique des mouvements sociaux ». Bien souvent, les sections syndicales font office de structures locales du parti, tout comme ce fut le cas pour le mouvement urbain Assamblea de Barrios vis-à-vis du PRD. « A Cochabamba, par exemple, les locaux du MAS se trouvent dans les bâtiments de la Coordination des six fédérations cocaleras du Tropique [9]. » Cependant, lors de la « guerre de l’eau » qui s’ouvre à Cochabamba en 2000 puis à La Paz en 2003 - un mouvement de protestation contre la privatisation du service des eaux - des tensions apparaissent entre le MAS et les leaders de ce mouvement, tensions qui sont ravivées lors de la campagne électorale et qui n’iront sans doute qu’en augmentant.

L’arrivée au pouvoir de nombreux partis de gauche — à l’échelle nationale ou dans les métropoles — débouche sur une recomposition très classique entre extrême gauche et gauche de gouvernement. Dans la phase des « transitions démocratiques », l’intrication des partis avec les mouvements sociaux a permis une certaine mixité sociale des personnels dirigeants et une meilleure prise en compte publique des demandes sociales des populations défavorisées. Mais une fois parvenus au pouvoir, les partis de gauche, quelles que soient leurs tendances, éprouvent les embarras de l’alternance : il leur faut apprendre à connaître et gérer la machine de gouvernement, affronter l’hostilité des grands médias, et surmonter la résistance que les pouvoirs oligarchiques opposent à leur action, du dehors comme au sein de l’Etat. Face à ces difficultés, la scène internationale devient, pour les ténors de la gauche latino-américaine, un espace de réaffirmation de leur identité idéologique, mais aussi de lutte entre des modèles de « gauche » concurrents. Ainsi s’opposent, au niveau régional, l’anti-américanisme virulent de Hugo Chávez et d’Evo Morales d’une part, et la diplomatie tournée vers les pays du Sud d’Ignacio « Lula » da Silva de l’autre. Autant de facteurs qui ont conduit d’une part à une mise entre parenthèses du projet américain de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et, de l’autre, à la fragile affirmation de groupes de pays du Sud (G3, G20) revendiquant une plus grande place dans les organismes multilatéraux.


trajectoire militante

Leader étudiant dans les années 1970 dans le nord du Mexique, Marco Rascón ne tarde pas à s’engager dans une guérilla marxiste : la Ligue communiste du 23 septembre. Il multiplie les occupations de terres puis est emprisonné pour avoir dévalisé une banque. Après sa libération, il quitte le nord pour Mexico, où il participe à la revue Point critique [10], et commence à travailler dans les quartiers périphériques de la capitale. Après le tremblement de terre de 1985, il fonde, avec d’autres membres de la revue, l’Assemblée des quartiers (AB, Asamblea de barrios), qui devient l’organisation phare du Mouvement urbain populaire. Son porte-parole Super Barrio (Super Quartier), catcheur masqué - dont le père intellectuel, Rascón, endosse parfois le déguisement - est le défenseur des pauvres et de la démocratie : il marche en tête des manifestations massives organisées en faveur des sinistrés, orchestre les réunions de AB et « affronte » les dirigeants du PRI ou l’État lui-même dans des parodies de combat de catch. Et bien sûr il a toujours le dessus ! Il déclare même qu’il est candidat à l’élection présidentielle de 1988 mais cède sa place à Cuauhtémoc Cárdenas. Rascón participe activement à la campagne du candidat. Quand le PRD est créé, en 1989, il fait partie du premier Comité exécutif national. Tout en conservant son rôle à la tête de AB, il devient président du PRD à Mexico en 1991. Dès le soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994, AB, Super Barrio et Marco Rascón se solidarisent de la révolte zapatiste. A côté du mouvement étudiant, ils deviennent l’un des principaux piliers du « zapatisme civil », axant une partie de leurs activités autour de l’agenda du mouvement zapatiste. En 1994, Rascón est élu député fédéral et utilise l’art de la parodie comme une arme politique au sein du Congrès. En 1997, il est nommé conseiller de Cárdenas, le maire de Mexico. Candidat malheureux à la présidence du PRD à Mexico en 1999, il se retire des instances dirigeantes du parti. Aujourd’hui, il apparaît comme un des rares dirigeants du PRD qui trouve encore grâce aux yeux du sous-commandant Marcos.

Notes

[1Collier R., Collier D., Shaping the Political Arena. Critical Junctures, the Labor Movement and Regime Dynamics in Latin America, Princeton, Princeton University Press, 1991.

[2A l’instar de la création d’une retraite universelle pour les personnes âgées par le maire (2000-2006) du Parti de la révolution démocratique à Mexico.

[3Dans le cas du Brésil, le retour à un gouvernement civil a lieu en 1985. Au Mexique, la « transition » s’échelonne sur plus de 10 ans : de 1988 à 2000 avec pour la première fois depuis plus de 70 ans une alternance remportée par le parti de droite (le Parti action nationale).

[4Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte : 1) le refus des zapatistes d’accepter des militants du PRD dans leur « bras civil » (le Front zapatiste de libération nationale) créé en 1997, 2) la gestion du mouvement étudiant de l’Université nationale autonome du Mexique en 1998-1999 par le PRD alors au pouvoir à Mexico, 3) le vote, en 2001, par le groupe parlementaire du PRD au Sénat, de la loi indigène désapprouvée par les zapatistes.

[5Maire de Mexico entre 2000 et 2005.

[6Il est l’auteur de gauche et gauchisme, Paris, l’atalante, 2004.

[7Pour une vision générale du MAS voir : Do Alto H., Entre mouvement social et organisation partisane : le MAS bolivien, Mémoire de DEA de l’IEP d’Aix, 2004.

[8Le Parti ouvrier socialiste, créé en 1921, demandait déjà la reconnaissance des communautés indigènes. Lee Van Cott D., « Party system development and indigenous populations in Latin America », Party Politics,{}vol. 6, n° 2, p. 164.

[9Do Alto H., Entre mouvement social et organisation partisane : le MAS bolivien, Mémoire de DEA de l’IEP d’Aix, 2004, p.46.

[10Il s’agit d’une petite revue de gauche à faible tirage mais qui a eu un rayonnement intellectuel important.