manières : avant-propos
Pour traiter des multiples manières de pratiquer la politique non gouvernementale, peut-être faut-il rappeler que celle-ci suppose l’existence et l’entretien d’un rapport plus ou moins tendu entre gouvernants et gouvernés ; rapport politique, qui peut comporter une part de violence et des formes de collaboration parfois étroite, mais qui exclut par principe tant la rupture que l’ajustement des deux termes — pour autant que cette rupture et cet ajustement soient même imaginables. Rappeler ce qui peut passer pour une évidence permet de mieux appréhender le singulier dispositif dont dépend l’activisme non gouvernemental. En sorte de conjurer les nuisances que ce dernier est susceptible de leur causer, les gouvernants tiennent en effet un double discours. D’une part ils se drapent dans leur dignité de responsables pour dénier aux gouvernés le droit de leur demander des comptes — déni fondé tantôt sur les privilèges régaliens qu’ils s’arrogent et tantôt sur la pure technicité dont ils parent les mesures qu’ils veulent soustraire aux regards indiscrets. Mais d’autre part ces mêmes gouvernants, en particulier lorsqu’ils se targuent d’être des démocrates, protestent au contraire de la parfaite identité entre leurs préoccupations et celles des gouvernés et affectent par conséquent de s’offenser du soupçon infondé dont ils sont l’objet.
Aussi est-ce bien par rapport aux deux versants de cette stratégie que les gouvernés entrés en politique vont élaborer leurs manières de faire. D’un côté il s’agira pour eux de se réclamer de l’affinité que les gouvernants prétendent avoir avec leurs soucis pour exiger le droit de regard qu’on leur refuse, tandis que de l’autre ils exhiberont les secrets et les fins de non recevoir qu’on leur oppose pour mettre en cause les prétentions démocratiques des gouvernants. La gamme des possibilités enveloppées dans cette double riposte est évidemment fort large. S’y jouent notamment, comme en attestent les textes rassemblés dans cette section, les modes d’institutionnalisation choisis par les associations de gouvernés, les rapports que celles-ci nouent avec le droit — en tant qu’interface des deux discours gouvernementaux — mais aussi avec la performance et la dérision qui caractérisent souvent leur action. Autre évidence qu’il convient pourtant de rappeler, la politique non gouvernementale est aussi un art.