Vacarme 34 / motifs

motifs : avant propos

Entrer en politique non gouvernementale nécessite d’être sérieusement motivé ; non seulement parce qu’il s’agit d’un engagement qui requiert de l’énergie et du dévouement mais surtout parce que l’efficacité d’un tel activisme dépend largement de son calibrage. Ainsi sait-on que si le repli sur une expertise étroite facilite l’accès aux gouvernants, elle compromet aussi la portée politique d’une intervention ; à l’inverse, la posture de conscience universelle, gratifiante et parfois capable d’intimider ceux qu’elle fustige, ne confine pas moins aisément à l’usurpation arrogante. D’une manière générale, l’exercice de la politique non gouvernementale s’avère largement tributaire du positionnement de ses praticiens et des attendus de leur action. Plus qu’une simple affaire de rhétorique, le travail de motivation requis des activistes relève de la production de soi : il s’agit véritablement de se construire une légitimité, une efficacité et même une intégrité, qu’à eux seuls la sincérité, le courage et le désintéressement ne parviennent pas à garantir. En outre, un pareil effort de construction n’est jamais donné une fois pour toutes ; si l’expérience permet peu à peu d’en fixer l’allure, il doit néanmoins sans cesse se renégocier dans les rapports que les activistes non gouvernementaux entretiennent avec les gouvernants, mais aussi avec les tiers auxquels leurs actions sont destinées — bénéficiaires, bailleurs de fonds, médias, public...

Pour les militants engagés dans l’action humanitaire, dans la défense des droits humains, dans la responsabilisation sociale des entreprises, et enfin dans la protection des consommateurs et des patients — cas étudiés dans cette section —, se constituer en activiste non gouvernemental est un exercice toujours bordé d’écueils : la neutralité et la solidarité avec les victimes enveloppent toutes deux leurs formes d’aveuglement, la complicité et la défiance de principe à l’égard des gouvernants comportent chacune leurs pièges et leurs compromissions. Si les études et entretiens qui suivent exposent une large variété de motifs, ils permettent au moins d’affirmer qu’il n’y a pas de politique non gouvernementale sans ethos.