Vacarme 12 / Vacarme 12

a better tomorrow ?

par

Bruce Willis, psychanalyste mort ruminant un échec thérapeutique, se promène dans Philadelphie avec ses camarades zombies, vaincus revanchards, victimes sans humour aucun. Ils font une peur bleue aux petits enfants. Christopher Walken, guerrier prussien à moitié décomposé, sort furieux de sa tombe pour couper la tête des paysans moyens riches des environs. Et Nicolas Cage voit Lazare ressusciter dans Hell’s Kitchen. Le cinéma néo-gothique américain confirme le diagnostic que faisait il y a quelques années le dramaturge allemand Heiner Müller : « Quand le doute croît quant à la possibilité de changer le monde, le désir se renforce d’entrer en contact avec les morts. Les films d’horreur prennent la place du réalisme socialiste. » Quand on en a vraiment assez de la mélancolie européenne et de regarder les anciens révolutionnaires auto-déclarés entretenir leurs géraniums, on peut toujours aller au cinéma et croire Hollywood : les cadavres sont têtus et rancuniers - on ne se débarrasse pas si facilement des victimes. Pas du tout prêts à être morts pour rien, les morts ne peuvent s’offrir le luxe de pardonner et de se réconcilier avec l’ennemi. On ne leur en a pas laissé la possibilité. Et comme dirait Walter Benjamin, on ne fait pas la révolution pour le bien de nos petits-enfants, mais pour les cadavres de nos grands-pères.

Il y a un autre film américain que certains d’entre nous aiment vraiment beaucoup. Ça s’appelle Starship Troopers et c’est réalisé par un marxiste hollandais du nom de Paul Verhoeven (il a fait Basic Instinct aussi). Qu’il soit arrivé à détourner des dizaines de millions de dollars pour faire un film d’une violence inouïe contre la souveraineté impériale en faisant croire à diverses multi-nationales que ça ressemblerait à Star Trek ne nous étonne pas du tout. Nous savons la capacité infinie de créativité et de ruse de la multitude. Dans Starship Troopers, une espèce de fédération mondiale A WORLD THAT WORKS peuplée de figurants pour sitcoms US lobotomisés dès leur plus jeune âge JOIN AND SAVE THE WORLD /SERVICE GARANTIES CITIZENSHIP tente de venir à bout des derniers îlots de résistance. Mais les araignées passent ` la contre-attaque. Un reporter de CNN (pardon, du Federal Network, sorte d’Internet tranformé en show télévisé, EXECUTION AT 18:30 PM ALL NETS ALL CHANNELS/DO YOU WANT TO KNOW MORE ?) est dépêché sur la planète "Big K". « Une planète affreuse, hostile, grouillante », dit le reporter. « TCHAK », dit l’araignée. Plus de reporter. Le cameraman continue à filmer. « TCHAK », dit l’araignée. Plus de caméra plus d’image plus rien. Malheureusement, les forces de la Fédération, commandées par une sorte de clone du Dr Goebbels A GOOD BUG IS A DEAD BUG, gagnent la bataille grâce aux nouvelles techniques de guerre psychologique TO FIGHT THE BUG WE MUST UNDERSTAND THE BUG. Heureusement, les petites bêtes sont très intelligentes elles aussi et si elles ont perdu une bataille, elles n’ont pas perdu la guerre. Verhoeven s’identifie à fond à ses bestioles, c’est très réjouissant. « Ses araignées sont drôlement mieux que les dinosaures de Spielberg. », résumait Jacques Rivette dans un entretien. Nous, on a choisi notre camp. Les dinosaures de Spielberg ne nous font pas peur. On peut s’inventer pas mal de planètes à nous, avec tous nos ami(e)s, les araignées les cloportes les larves les scarabées et les libellules.

Retour aux morts. Genet, qui s’amusait pourtant beaucoup de voir l’Odéon transformé en champ de bataille pendant les représentations des Paravents, voulait, comme Müller, déplacer les théâtres dans les cimetières. Ça n’a peut-être plus rien à voir, mais, en feuilletant des témoignages sur la mise en scène de Roger Blin, je pense avoir trouvé quelque chose qui aurait pu peut-être faire office d’éditorial à ce numéro de Vacarme, et comme ça, moi, je serais partie en vacances à Zeugma Beach avec les araignées de Klendathu. La comédienne Maria Casares parle de Genet : « À moins d’être fabriqué en stuc, il était difficile pour celui qui l’approchait de ne pas se sentir, avec lui, concerné, ou brûler de faire corps avec lui, et c’est pourquoi une insulte qui m’est parvenue de la salle, un soir où je me sentais particulièrement emportée par le texte et la rage de Genet, m’a comblée au-delà des plus grands compliments que l’on aurait pu me prodiguer. Quelqu’un perdu dans le public a crié à mon adresse : « Pédé ! »