Vacarme 12 / chroniques

sequelles

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Le plan de coupe de ton cerveau. Les ravages qui s’exercent à sa surface, le nombre de rayures qui peut être dénombré en elle. L’assèchement de la faculté de découvrir. La restitution du moyeu au moyeu, de la pierre à la pierre, de la clavicule à la clavicule, du satrape à la compagnie du satrape : commodités engendrées par les ans, par la faillite de l’engouement, celle de la joie, tandis que ces rayures que tu croyais bénignes se creusent de plus belle. Incessamment elles obnubileront tes facultés d’inquiétude. Rayé, le cerveau est moins fécond, il cherche à tâtons une complaisance qui lui seye encore.

Rayé le cerveau ? Quelle histoire ! Les sens sont rayés, les diamètres possibles sont rayés, les prestances ainsi que les envolées. Tel est le broiement qu’orchestre M. X de façon sourcilleuse, personne d’autre que lui ! Il se rencontre à la tombée de la nuit, quand les champs se dispersent dans l’ombre, et aussi bien lorsqu’il fait grand soleil. X a pour lui la mansuétude de la création. Il glisse dans ton ventre des goûts de miel et des fadeurs, il dulcifie le peu que ta charpente recèle encore que l’on puisse dire abrupt. M. X est si mélodieux que son étreinte passa pour insensible lorsqu’il commença à disposer de toi.

X peut (de petits esprits auraient du moins la force de franchir ce pas) se nommer Abréchet dans le pays où nous sommes. Apparemment, il est de ceux qui n’occasionnent jamais le moindre "embarras". (Mot issu du mot "embara-sikko" appartenant à ce dialecte africain dérivé du Peul, qui n’est plus parlé aujourd’hui, véritablement plus, depuis la mort de quelques vieilles femmes dans l’aire géographique embrassant le Mali et le Congo. - Disparition qui suivit de très loin leur incapacité à récolter ou broyer le manioc, et qui fut de beaucoup antérieure à la visite de Georges Maule, le premier anthropologue qui s’avisa de sauvegarder le dialecte en question. Au demeurant, de longues années d’indigence, d’acroupissement sur sa simple personne physique avaient déjà pris place entre l’abandon de toute activité agricole et le décès de ces patriarches. La variante du Peul que M. Maule s’était fixé pour but de transcrire est donc morte dans leur bouche bien avant que les villageois procèdent à leurs funérailles, étagées dans le temps. Ce fait, anecdotique, n’est d’ailleurs rapporté que dans la biographie de l’explorateur, dont la disparition n’a éveillé en aucun de ses contemporains le désir de poursuivre ses recherches.)

X est de ceux qui cherchent à t’entreprendre, le seul qui cherche à t’entreprendre ; eux tous, ce sont lui, sous le rapport éternel de ce que tu nommes "tentative de rencontre" de la part de X, avec ta personne. Si tu sais qui est M. Abréchet en ce jour où, pour la première fois, il se place devant toi avec une force qui anéantit la tentation d’ignorer cette présence — tentation à laquelle aucun autre que lui n’aurait pu te faire résister — si tu le sais ! il faut t’en prendre à toi et à toi seul. Et lorsque tu plisses les yeux afin de lui renvoyer l’image d’une sagacité condescendante mais que ton visage exprime simplement l’inanité de ton quant-à-soi, le règne auquel tu croyais te soustraire a commencé.

Comme M. Abréchet te prend par le coude, comme il t’entraîne sur les quais, le long des façades mauves qui bordent la courbe du fleuve, comme de toute manière il te montre la surface de l’eau avec son bras tendu qui s’arrête au poignet, d’une façon si éclatante que, à ton sens, sa main doit être trop auguste pour supporter le contact de l’air, comme, ton regard s’étant uni au sien, tu dénombres avec lui les reflets qui se nourrissent de la pente des vagues — comme il pose son bras sur tes épaules avant de te faire face et que son visage muet, sa bouche béante attirent et rassemblent ces reflets déposés derrière lui — comme sur un signe qu’il a fait tu te redresses, et sans t’arrêter à ses joues luisantes cherches les yeux de M. Abréchet, pour ne pas les trouver, il apparaît que le fleuve coule à travers ce visage et que tu te penches. Que la main de M. Abréchet, cette main unique monte le long de ton cou ; son pouce écrase ta pomme d’Adam ; que cette mâchoire plus ancienne que les berges, cette double rangée de dents, se pose sur tes lèvres et les arrache.