Vacarme 11 / chroniques

Mes rêves entraînent des cataclysmes

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Il n’est à présent plus douteux qu’une partie non négligeable de l’univers est déjà sur le point de s’être ordonnée selon une logique nouvelle : ma rate en lieu et place de telle planète et les anneaux de mes viscères formant en bourrelet un cône siliceux traversant une partie de la galaxie concernée... Je n’expliquerai pas encore l’origine des étoiles filantes, mais je dirai deux mots à propos des comètes. Il s’agit d’expectorations que j’ai eues, malade il y a longtemps. Désormais guéri, certaines circulent encore pour le moment, boulets composés de salives et de bactéries.

Quant à l’équilibre global, il dépend de mon sommeil et je ne puis donner aucune garantie. Mes rêves sont parfois destructeurs (j’ai peu de pouvoir sur eux ; ils sont, de l’univers, la part obscure, incontrôlable. Je suis parvenu, d’année en année, à établir des corrélations, rien de plus).

Un matin, je rêvais que je marchais dans le désert, après un orage terrible. Le sable était très dur, j’y laissais cependant des empreintes caractéristiques. Soudain, un gecko, surgi d’un petit arbuste, me saute à l’épaule et me mord. Je saigne abondamment, mais je n’ai pas mal. Conséquences : plusieurs constellations englouties, de nombreuses collisions-marasmes. Dans certaines zones reculées de l’univers, l’expansion s’est interrompue ; des myriades d’électrons furent désorbitées. À la chaîne, cela signifie une désagrégation, l’émiettement, sur plusieurs années-lumière, de nombreux systèmes solaires.

Durant deux ou trois jours, j’entamai des restaurations. Mais le désordre subi était tel que je dus abandonner. Le désastre se propagea encore un peu (sur quelques nébuleuses voisines), et je dus créer une barrière de météorites très épaisse pour enrayer la contagion.

Après, j’allais traîner en ville. Ma nostalgie ne fit toutefois que croître malgré l’alcool. Je regardais le ciel à travers les vitres des bars. Il était gris, sans étoile. Je parcourais les visages bouffis de mes voisins de comptoir. (Ils ignoraient tout de ce qui s’était produit aux confins de l’univers, les télescopes, semblables en cela à des jumelles de théâtre, permettaient au mieux d’épier l’appartement d’en face.)

À plusieurs reprises, j’ai dû m’exiler dans des failles à cause d’un rêve ayant entraîné, à la surface de la terre, des déluges, des guerres sans fin, des secousses. Quelques siècles plus tard, je pus enfin rebâtir un monde acceptable. L’actuel me convient plus ou moins (certains cauchemars l’ont partiellement défiguré et il n’est plus très fidèle à mon projet initial).

J’ai peur qu’il soit bientôt fichu, hors d’usage. Un énorme travail m’attend. Une énième genèse, avec ce que cela suppose de sueur, d’indécision, de lutte avec l’accidentel, de souci. Le moment venu, il sera toujours temps d’élaborer un plan à la va-vite. Mes programmes les mieux étudiés furent souvent ceux dont l’exécution fut la plus laborieuse et les résultats les plus décevants...J’envisage de nouveau des dinosaures. Des mastodontes, non, les mammifères m’ont écœuré.

À moins que je ne me cantonne à de petites exécutions. Il y a de la ressource chez les insectes, les crustacés...

Parfois, j’imagine un monde de ganglions ou de crevettes. Pourquoi pas ! Quoi qu’il en soit, j’éviterai toute évolution. Je désire un monde stable, fixé une fois pour toutes. Ce ne sera pas évident, à cause de mes rêves (mes insomnies sont un répit ; le monde est alors assuré, rivé, chevillé à ma conscience). Peut-être pourrais-je faire l’effort de rester éveillé quelques millénaires. C’est ce que je fis jadis, d’où la stabilité du tertiaire. Mais, soudain, lors d’un bref assoupissement, un cauchemar répugnant a eu pour conséquence : des glissements de terrain, de la glace partout, de terribles bousculades...