Vacarme 11 / Vacarme 11

Victor Hugo ne parle pas français

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Ce jour-là, un frémissement formidable courut sur tous les bancs de la Chambre.

8 mars 1871. Depuis un mois, jour pour jour, la République s’est dotée d’une Assemblée. Elle siège provisoirement à Bordeaux : Paris est en surchauffe depuis la capitulation — encore dix jours et la ville fera sécession.

Le député Victor Hugo se prépare à défendre Paris contre la droite, qui se cherche une capitale. On parle de Versailles. Mais la séance est interrompue par la lecture d’un rapport sur l’élection d’Alger. Garibaldi vient d’en gagner le siège à une belle majorité, et devrait rejoindre Bordeaux d’ici quelques jours.

Hugo et Garibaldi se connaissent. Il y a huit ans, une lettre était partie de Caprera pour Guernesey — « J’ai besoin d’un autre million de fusils pour les Italiens ». Prudent, le poète avait promis « un million de cœurs, et la grande levée des peuples. » Et quand les troupes françaises alliées aux zouaves pontificaux avaient arrêté les ambitions de Garibaldi sur Rome, Hugo lui avait dédié un long poème où le pape n’était pas plus ménagé que le petit Napoléon. L’Italien en fut si touché qu’il répondit par un autre poème en alexandrins. D’autres se chargèrent de signifier aux acteurs du Théâtre français et de l’Odéon, qui s’apprêtaient à reprendre Ruy Blaset Hernani, que les répétitions étaient suspendues.

8 mars 1871. Une majorité de députés propose l’annulation de l’élection de Garibaldi à l’Assemblée. Hugo demande la parole, on la lui donne. Il eût sans doute aimé qu’il y eût un frisson, un silence. Mais les minutes officielles relèvent des mouvements divers : sourires ironiques à droite. — Très bien ! à gauche.

Hugo rappelle comment, après Sedan, Garibaldi a offert ses secours à la République française. « Son épée avait déjà délivré un peuple. Et cette épée pouvait en sauver un autre. » Le trimètre vient à Hugo comme il respire : « Il l’a pensé ; il est venu, il a combattu. » Il ajoute, sous de bruyantes réclamations, que Garibaldi est, de tous les généraux, « le seul qui n’ait pas été vaincu ».

Plusieurs membres à droite. — À l’ordre ! À l’ordre !

M. DE JOUVENEL. — Je prie M. le Président d’inviter l’orateur à retirer une parole qui est anti-française. [...]

(Plusieurs membres se lèvent et interpellent vivement M. Victor Hugo.)

M. RICHIER. — Un Français ne peut pas entendre des paroles semblables à celles qui viennent d’être prononcées. (Agitation générale.)

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. — L’Assemblée refuse la parole à M. Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français.

C’est ensuite un indescriptible brouhaha. Hugo ne peut reprendre la parole que pour donner sa démission.

Si Hugo « ne parle pas français », c’est parce qu’ici parler français est une disposition politique.

Jouer avec l’histoire, risquer l’anachronisme et mettre d’autres mots.

Savoir qu’à VACARME, on ne parle pas toujours français. Ni ceux que nous aimons.