« Jérusalem, la ville de la paix » entretien avec Sylvie Sivann
Diplômée de musicothérapie à la Sorbonne et premier prix de chant à l’Académie Rubin de Jérusalem, Sylvie Sivann a longtemps pratiqué l’art lyrique avant de se tourner vers la musique traditionnelle — avant de renouer avec ses origines. Après avoir travaillé dans différentes compagnies à Paris (Péniche Opéra, Leporello...), elle crée avec Gérard Grobman la compagnie Capharnaüm. Ensemble, ils monteront deux spectacles : Café Mokaet Sam et Léna*. Et puis l’album arrive. Le premier : Elle chante (Playasound). Totalement envoûtant. Rendez-vous autour de l’actualité.
Café de la musique. Porte de Pantin.
Elle a choisi l’endroit pour son calme matinal, son espace, sa chaleur, ses grands fauteuils ronds où elle s’efface un peu.
Seule, ainsi, elle est une phrase de Jacques Dupin. « Une femme en amour devant une fenêtre vide. Des yeux bleu ardent, bleu lanière. »** Un corps arqué sur l’histoire de son nom.
VACARME : Une question que l’on a tout de suite envie de vous poser, Sylvie Sivann : une artiste comme vous est-elle nécessairement engagée ?
S. Sivann : Pas systématiquement, même si je reconnais que, dans le cadre des musiques traditionnelles, l’engagement est plus évident et peut paraître logique. Disons que c’est l’homme en tant que tel qui me touche et me fait réagir ; bien au-delà des débats politiques qui restent incontournables, mais qui sont parfois difficiles à cerner. Dans des cas comme les conflits multi-ethniques en Afrique, par exemple, ce n’est pas toujours évident et cela nécessite un réel investissement. Disons alors que mon engagement se fait nécessairement au quotidien, au fil des rencontres. Et c’est la raison pour laquelle j’aime tant Paris : cette ville est formidablement cosmopolite. On y trouve toujours quelque chose à apprendre, à retenir ou à apporter, le combat le plus vital restant, avant tout, la liberté d’opinion... Une idée qui ne s’exprime pas, c’est une idée qui s’éteint...
VACARME : Vous pensez que c’est une liberté sans limites ?
S. Sivann : Vous me posez là une question extrêmement difficile, car elle touche un problème propre à la démocratie : tolérer des noyaux fascistes en son sein. Ce qui me frappe surtout dans le racisme que l’on rencontre aujourd’hui — en France comme ailleurs —, c’est l’incapacité qu’ont les électeurs des partis d’extrême-droite à se rendre compte qu’ils possèdent individuellement une différence qui peut demain les mettre en tête de liste des gens soi-disant « indésirables »... Il y aura toujours en eux un petit truc qui ne plaira pas à l’un ou à l’autre, parce qu’en ma-tière d’extrémisme, bien évidemment, il n’y a pas de demi-mesure. Ainsi, à trop vouloir éliminer leurs voisins par la guerre, les gens finissent par oublier que la guerre, elle, ne les épargnera pas non plus, et c’est ce qui me paraît aberrant. De surcroît, je suis de plus en plus effrayée par la facilité qu’ils ont désormais à afficher leurs convictions au grand jour. Qu’importe si partout des images rappellent l’horreur des camps ou des massacres de 1961. Eux, ils balancent les pires mots aux oreilles de chacun... Pour répondre à votre question, je pense que la liberté de parole ne peut être abandonnée à tout le monde, dès lors qu’elle met en péril cette même liberté.
VACARME : Dans Elle chante, vous avez choisi les trois langues des grandes communautés juives : l’hébreu, le judéo espagnol, le yiddish. Pourquoi avoir opté pour l’alliance des genres ?
S. Sivann : La musique juive est une musique qui raconte l’exil et la séparation. Mais elle forme aussi l’unité d’une communauté. En se fondant à la fois sur des textes liturgiques et sur des textes plus contemporains, je pense qu’on la rend la plus authentique possible.
VACARME : Vous écrivez à l’intérieur de la pochette du disque : « Comment être soi et rencontrer les autres ? Comment se situer par rapport aux origines dans une liberté qui va vers l’avenir ? » C’est une question d’actualité.
S. Sivann : La question des origines est évidemment intrinsèque à la population juive, ce n’est pas nouveau. L’histoire lui a appris à craindre l’autre, à se sentir rejetée et à avoir peur de perdre l’essentiel de sa culture. Et il en est ainsi pour tous les peuples à la quête d’une stabilité, d’une reconnaissance. Ils sont un peu « à cheval » entre tradition et modernité. Mais, vous savez, Israël est un pays à peine plus grand que trois départements français. Les territoires mis en jeu sont petits et tout cela s’articule dans un mouchoir de poche. Dans ce qui se passe aujourd’hui en Israël et en Palestine les torts sont partagés, alors même que la solution est commune. Le terro-risme peut, pour une part, s’expliquer par un désespoir des Palestiniens, et, à cette souffrance, il faut trouver des solutions. Mais il y a aussi tout simplement une internationale terroriste islamiste dans le monde qui s’attaque à tout ce qui est femme, juif, laïc ou occidental et démocratique. C’est pourquoi lorsqu’on essaie de trouver une logique dans les attentats palestiniens, on ne la trouve pas toujours : une fois on explique que c’est pour saboter le processus de paix, l’autre fois on explique a contrario que c’est parce que le processus de paix n’avance pas.
VACARME :À dix sept ans, vous quittez la Belgique, votre terre natale, et décidez de partir vivre en Israël, un pays que vous ne connaissez pas. Vous y restez huit ans avant de revenir travailler à Paris. Parlez-moi de votre rencontre avec Jérusalem...
S. Sivann : Cela a été un coup de foudre. Il ne pouvait absolument pas en être autrement. Jérusalem dévoile à celui qui y entre une beauté à part, cousue de lumière, de douceur, de fragilité qui séduit à coup sûr... J’affectionne les pays méditerranéens. Ils facilitent la proximité, la chaleur, le contact entre les gens. Vous rentrez chez quelqu’un presque sans le connaître, et c’est déjà comme si vous faisiez partie de la famille.
Je suis convaincue que cette ville ne peut que devenir la ville de la paix. D’abord parce que c’est la signification de son nom en hébreu, mais aussi parce qu’elle possède tous les atouts pour embellir chaque peuple. L’union de trois religions monothéistes, de trois communautés : l’avenir se joue là. Seulement, cela demande du temps. Et il n’y a certainement rien de plus difficile que de combattre les langues de bois et de sortir de l’image évasée que l’on a de l’autre. C’est d’autant plus dur si pendant ce temps-là, la terreur se répand de tous les côtés...
VACARME
: Revenons à votre album : comment choisit-on de passer de l’art lyrique à la musique traditionnelle ?S. Sivann : En fait, ce n’est pas complètement moi qui ai choisi. J’ai toujours eu des goûts musicaux très éclectiques. Mais, au fond du fond, c’est le public qui m’a guidée. Après les concerts, c’est quelque chose qui revenait souvent : on me demandait de chanter des chansons juives. Je ne sais pas vraiment pourquoi... Les gens devaient sentir que c’était ancré quelque part en moi. Alors, j’y suis venue peu à peu, avec beaucoup de plaisir.
VACARME : N’est-ce pas trop difficile d’accorder sa voix sur de nouvelles bases ?
S. Sivann : Dès lors que l’émission vocale est proche des langues européennes, cela reste tout à fait accessible. Et puis, le plus souvent, qui peut le plus peut le moins. En revanche, je n’irais pas chanter de la musique indienne, par exemple, même si j’adore ça, parce que ce serait totalement hors de ma portée.
*L’histoire d’une chanteuse lyrique, brisée par la guerre qui lui interdit de chanter, et de son mari commerçant. L’incompréhension de l’un envers l’autre. La place de l’art dans une vie : elle poursuivra le chant, seule, chez elle. À suivre au prochain Festival d’Avignon.
** Jacques Dupin, Gravir,{}1963, Gallimard.