un menu de fête pour un Noël pas très joyeux

par

Ce n’est décidément pas la joie dans les familles, en tout cas pas dans la vôtre ni dans celle de votre meilleur ami.

Après les tristounettes déconvenues de l’été (VACARME n° 4/5), vous pensiez repartir gaiement d’un bon pied : par exemple vous remettre sérieusement à votre thèse, écrire plein de beaux articles pour VACARME, enfin et surtout faire beaucoup de bonne cuisine à l’occasion d’une nou-velle, belle, folle et romantique histoire d’amour que, pensiez-vous toujours, vous ne manqueriez pas de vivre au cours de ce bel automne. Que pouic ! Voilà que votre père ou votre mère, qu’il se trouve que vous aimez vraiment, oscille entre la vie et la mort dans un hôpital. Et ça dure, jour par jour depuis des semaines qui font maintenant des mois, ça dure, et il y a eu tous les moments où vous vous disiez que ça ne peut plus durer comme ça, et cependant ça dure quand même, et tant mieux, pourvu justement que ça dure encore — c’est bien à cette condition que peut-être ça finira, pour lui ou pour elle, par aller mieux. Coïncidence : qui son père, qui sa mère, votre meilleur ami est dans semblable situation. Alors vous buvez chaque jour quelques bières ensemble au café qui est à la sortie de l’hôpital, commentez les bonnes ou les mauvaises nouvelles du jour, faites un petit bilan de l’état de vos forces à vous, de vos petits arrangements et autres ruses pour préserver un peu votre vie propre — bref, vous prenez un peu soin l’un de l’autre. Et puis s’il y a vos père et mère malades, il y a aussi vos mère et père valides, qui ne peinent pas moins, on s’en doute, à trouver chacun leurs petits arrangements à eux. Idem enfin pour les éventuels frères, sœurs, amis, petits-enfants, maris... Dans cette durable panade, chacun bricole selon sa vie et comme il peut, invente divers dispositifs pour être seul, pour être à deux ou pour passer une soirée tous ensemble. Chez les uns, chez les autres, on se retrouve assez régulièrement pour dîner et boire, et ça fait du bien de causer de tout et de rien, de dire n’importe quoi, de se raconter des histoires drôles, de rire de ce qui à d’autres moments vous ferait plutôt pleurer. Ce n’est pas la joie, mais on apprend à faire avec.

Or voilà que se profile une période particulièrement délicate à négocier : les fêtes de fin d’année. Quand même on aurait envie de les ignorer, on ne le peut. Noël est dans l’air, s’affiche partout, et bien que tout vous sépare du versant chrétien de l’événement, le réveillon de Noël a quand même toujours été l’occasion, dans vos familles respectives, d’un bon dîner et de cadeaux. Alors comment s’y prendre cette année ? Peut-être sagement renoncer à la grande cérémonie des cadeaux. Mais ne rien faire du tout, rester dans son coin et feindre que le 24 décembre soit un jour comme un autre serait une fausse bonne idée : en fait, le meilleur moyen pour déprimer toute une soirée, où tout crierait l’absence de celui ou de celle que la maladie retient à l’hôpital. À l’inverse, fêter comme si de rien n’était n’est pas davantage possible. Reste donc un bricolage intermédiaire : comme bien d’autres soirs depuis des mois, réunir à la (bonne) fortune du pot la petite société plus familière que familiale qui s’est peu à peu constituée au gré des circonstances. Avec les recettes des uns et des autres vous vous mettrez à plusieurs pour cuisiner en commun un très bon repas, mais sans chichis festifs déplacés. En entrée, il y aura par exemple la sublime tchoutchouka de la grand-mère de votre meilleur ami. En second suivront les célèbres oreilles d’ânes dont votre mère a le secret (que les amis des ânes, dont vous faites partie, se rassurent : ce plat est strictement sans viande, ni d’âne, ni d’autre). Votre meilleur ami s’occupera du saumon en papillote qu’il réussit si bien, et vous vous chargerez, outre de pourvoir à un beau plateau de fromage, du dessert : une délicieuse recette traditionnelle que vous avez rapportée il y quelques années de vos pérégrinations au Danemark — un ris a l’amande med kirsebaersauce. Le frère de votre ami et son mari s’occuperont du choix des vins : ceux que l’on boit chez eux sont toujours fabuleux. Si cette recette pour passer Noël le moins mal possible a tant soit peu réussi, rien ne vous empêche de tenter un dispositif du même genre pour la Saint Sylvestre, avec d’autres recettes des uns et des autres. Et souhaitez-vous mutuellement une meilleure année 1998 : vous en avez tous besoin.

Recettes pour 5-6 personnes

Tchoutchouka

3 poivrons rouges et 2 verts, 4 tomates moyennes, 1 gousse d’ail, un peu d’huile.

Grillez les poivrons au four ou sur la flamme du gaz afin de les peler (bien griller toutes les faces — la peau doit noircir par larges plaques pour se peler facilement). Videz-les puis coupez-les en petits morceaux. Ébouillantez, pelez et épépinez les tomates, coupez-les également en petit morceaux. Dans une casserole avec un peu
d’huile, mettez à mijoter 15 à 20 mn les morceaux de tomate, de poivron et la gousse d’ail hachée menu. Salez et poivrez modérément. Servez froid accompagné de pain de type fougasse.

Oreilles d’âne

Pour la pâte : 125 g. de farine, 1 œuf, sel, eau ; pour la garniture : 500 g. d’épinards en branches (surgelés), 300 g. de fromage frais de vache (tomme égouttée), noix de muscade râpée, sel, poivre ; pour le gratinage : force crème fraîche liquide et un peu de gruyère râpé.

Préparez la pâte en mélangeant la farine, un peu de sel, l’œuf et un peu d’eau — la pâte doit être souple, mais pas trop collante. Laissez reposer une ou deux heures. Dans une sauteuse, faites dégeler les épinards et laissez bouillir à feu doux jusqu’à ce que toute leur eau se soit évaporée (prenez garde sur la fin à les remuer fréquemment pour qu’ils n’attachent pas !). Toujours à feu doux, ajoutez et incorporez bien la tomme égouttée aux épinards, salez (goûtez pour tenir compte du fromage frais, souvent assez salé), poivrez, ajoutez une pointe de muscade, réservez hors du feu. À partir de là, le mieux est d’être deux, voire trois : un atelier de roulage, un de pochage, et éventuellement un d’oreillage. Si vous avez la chance d’être la rouleuse, étalez sur une planche bien farinée la pâte en feuilles très fines : moins d’1 mm (pour cela, procédez en plusieurs fois, à partir de petites quantités de pâte). Coupez les feuilles en morceaux de forme grossièrement triangulaire de 10 à 15 cm de côté, et faites-les passer au fur et à mesure à l’infortunée pocheuse. Si vous êtes cette malheureuse, mettez 2 ou 3 litres d’eau à bouillir dans un grand faitout, avec une cuillère à soupe de gros sel et une autre d’huile. Pochez deux par deux ou trois par trois — pas plus à la fois — les triangles de pâte préparés par votre consœur. Les désagréments surviennent au sortir du bouillon : repêchez un à un les morceaux avec une écumoire et déposez-les sur une assiette. S’ils sont plus ou moins repliés sur eux-même — ce qui est presque toujours le cas — déployez-les délicatement et surtout immédiatement, sans égard pour vos phalanges de la sorte ébouillantées, car si vous tardez, très vite les surfaces en contact se collent, et alors vous déchirerez tout en essayant de redéplier une si fine pâte. Au fur et à me-sure du pochage, passez les morceaux pochés (et dépliés) à votre collègue oreilleuse — ou si vous cumulez les fonctions : confectionnez et disposez les « oreilles » dans un plat à gratin préalablement beurré. Une oreille est un triangle de pâte garni d’un peu d’épinard en son centre et dont on rabat les pointes en direction du côté opposé pour enfermer la garni-ture dans un sorte de raviole ainsi formée par simple pliage. Rangez les oreilles bien serrées les unes contre les autres dans le plat, au fur et à mesure de leur confection. Un fois le plat entièrement garni, arrosez généreusement de crème fraîche liquide — les oreilles doivent pouvoir mijoter dans la crème — et parsemez le plat de gruyère râpé. Tout ce qui précède peut naturellement se préparer assez longtemps à l’avance. Avant de servir, mettez le plat à cuire au four à 180° pendant une demi-heure environ (si le dessus dore trop vite, protégez avec du papier d’aluminium).

Saumon en papillote

Un saumon entier, quelques tomates (prévoir une 1/2 par personne), quelques citrons non traités, du vin blanc, des aromates, ail et persil.

Confectionnez avec du papier d’aluminium une grande papillote à la taille du saumon. Disposez au fond un lit d’aromates et de quelques tranches de citron, puis le saumon dont l’intérieur aura été salé, poivré et également garni de quelques aromates et de tranches de citron. Sur le dessus du saumon, disposez, outre les aromates et le citron, les tomates coupées par moitiés et garnies d’un hachis d’ail et de persil. Mouillez de vin blanc et fermez hermétiquement la papillote. Cuisez à four chaud selon les indications de temps données par votre poissonnier en fonction de la taille et de l’épaisseur de la bête. Servez accompagné simplement de haricots verts au beurre salé et de quelques petites pommes vapeur.

Ris a l’amande med Kirsebaersauce

(« Riz à l’amande » et sa sauce aux griottes)

Pour le riz à l’amande : 60 g. de riz à grain rond, 1 dl. d’eau, 4 dl. de lait, 1/2 gousse de vanille, 1/2 cuillère à soupe de sucre, 20 amandes, 3 dl. de crème fraîche liquide, un peu de sucre glace ; pour la sauce : 200 g. de griottes (surgelées), 150 g. de sucre, fé-cule de pomme de terre, vinaigre, eau.

La veille : dans une casserole à fond épais, portez à ébullition l’eau et le riz, laissez cuire env. 2 mn en remuant sans arrêt.

Ajoutez le lait et la gousse de vanille, portez jusqu’à ébullition et réduisez pour cuire ensuite à feu doux pendant environ 35 mn, en remuant très fréquemment (à la fin de la cuisson, tout le liquide a été absorbé, mais les grains restent un petit peu fermes). Laissez refroidir et reposer jusqu’au lendemain matin. Retirez alors la vanille, pelez les amandes (très aisé après les avoir ébouillantées une demi-minute) et hachez-les assez finement, mais pas en poudre. Incorporez la 1/2 cuillère à soupe de sucre et les amandes hachées au riz. Battez la crème fraîche en chantilly avec un peu de sucre glace, et incorporez-la délicatement au riz, jusqu’à ce que le mélange soit homogène, de belle consistance mousseuse. Le verser alors dans le saladier ou la coupe de service et mettre à rafraîchir plusieurs heures au moins avant de servir, afin qu’il s’affermisse (attention à bien protéger hermétiquement le plat pendant son séjour au réfrigérateur, car cette préparation à base de chantilly a une grande propension à absorber toutes les odeurs avoisinantes). Pour la sauce : dans une casserole, à feu doux, mettez à dégeler les griottes avec le sucre, 5 cuillerées à soupe de vinaigre et autant d’eau. Cuisez doucement jusqu’à atteindre le point d’ébullition et retirez du feu. Laissez complètement refroidir. Dénoyautez alors les griottes. Reportez à ébullition, retirez et réservez les griottes. Délayez 4 cuillères à café rases de fécule de pomme de terre dans 20 cl d’eau
froide. Ajoutez la fécule ainsi délayée au jus des griottes pour l’épaissir et le lier à feu très doux, toujours en-deçà du point d’ébullition, jusqu’à ce qu’il ait pris une consistance sirupeuse. Retirez du feu et rajoutez les griottes. Le ris a l’amande se déguste nappé de cette sauce aux griottes chaude, que vous servirez en saucière. L’idéal est de préparer cette sauce la veille et de la réchauffer à feu doux juste avant de servir, en veillant bien à ne pas la faire bouillir.