Vacarme 10 / arsenal

interdiction de penser et de l’écrire sur les murs de Paris

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Prenez une réforme législative en apparence anodine, votée sous Giscard d’Estaing, réforme normalement destinée à réguler dans les villes l’usage des murs des immeubles comme support de publicités. Motif ? L’environnement. Vous êtes contre l’amélioration de l’environnement ? Non, bien sûr.

Prenez le mot publicité, interrogez-vous sur son sens, et déduisez que l’on peut démocratiquement estimer qu’il existe d’autres supports que les murs de l’immeuble du voisin pour vanter les mérites des soupes en boîtes, même s’il s’agit de soupes Campbell.

Vous admettez donc que d’autres produits soient visés, des produits qui se vendent aussi par voie d’affiche, mais qui sont culturels, plus encore que les soupes : les concerts, les spectacles à petit budget, tout ce qui n’a pas les moyens de se payer les colonnes Morris. Passe, impair et manque, la culture minoritaire, les jeunes, le jazz, les petits théâtres privés, trouveront d’autres moyens de communiquer. Rien à dire, apparemment, c’est bien la publicité, qui les faisait vivre, certes, mais qui salissait.

Mais, l’auriez-vous imaginé, la publicité visée par la loi n’a pas besoin de vendre pour être publicité. Toute information destinée au public est désormais interdite sur les murs de nos villes. Votre conscience s’éveille-t-elle comme un petit matin blême à Paris ?

Je vous aide. Imaginez que le très démocrate Jean Tiberi ait pris un arrêté en application de cette législation, comme, croit-il, elle le lui permet (car le débat est ouvert), pour permettre à ses agents de désafficher à des prix défiant toute concurrence, c’est-à-dire évidemment très cher — le désaffichage étant confié à des entreprises privées — et d’adresser la facture à l’afficheur, par la voie de la recette générale des impôts, puis d’un huissier si l’impétrant récalcitre.

Savez-vous qui est en charge des poursuites, à la Mairie ? Le très respectable service de l’environnement, bien sûr. Et le désaffichage est décidé dans une logique qui apparemment n’appartient qu’à la mairie, puisque certaines associations ont vu leurs affiches enlevées à tour de bras à certaines époques de l’année, et rester des semaines collées sur le murs à d’autres moments.

Quelle merveille, on pourra maintenant évoquer les jolis petits murs de Paris. Voilà donc interdite, dans la capitale, toute communication politique, associative, toute possibilité d’appel à manifestation, à réunion, toute campagne d’information ou de prévention contre le sida, et ce ne sont que des exemples.

Et ce par la seule grâce d’une décision de poursuivre totalement arbitraire, un principe d’opportunité qui régit d’habitude la chasse aux délinquants, et qui est appliqué ici à la chasse aux affiches qui permettent aux partis ou aux associations de s’exprimer.

Que les associations et partis concernés n’aient pas encore porté à la connaissance de la Cour Européenne des Droits de l’Homme cette réglementation manifestement contraire aux articles 8, 9 et 10 qui érigent en principes inviolables par les États les libertés d’opinion, de réunion, de manifestation, d’expression, et autres libertés de penser, me semble suffisamment mystérieux pour que je lance un appel à victime.

Comment faites-vous ?

Payez-vous les additions de Monsieur Tiberi sans barguigner ? Avez-vous, comme Act Up-Paris, des douloureuses qui s’accumulent sur le bureau du comptable inquiet ?

Qui aura le cran de porter ce dossier, après épuisement des voies de recours en France, devant la cour européenne de Strasbourg, à moins que nous ne réussissions à faire retirer cette réglementation totalitaire qui ne dit pas son nom ?

Post-scriptum

Agnès Tricoire est avocate au Barreau de Paris.