les fécondations artificielles, le droit et la nature

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Les lois bioéthiques semblent avoir adopté à l’égard des techniques de procréation artificielle une position paradoxale. Elles n’interdissent d’emblée aucune des techniques procréatives présentes ou futures (hormis les maternités de substitution et l’ectogénèse). Elles ont le souci de faire croire que les enfants nés par cette voie sont conçus par la voie sexuelle ; que la nature n’a pas été troublée.

Ce paradoxe pourrait être interprété, à première vue, comme témoignant d’une certaine dévalorisation des techniques procréatives. En effet, pourquoi vouloir nier le fait qu’un enfant a été fabriqué dans une éprouvette si ce n’est parce que ces techniques ne sont pas été vraiment assumées et qu’il faudrait donc les cacher, tout en profitant d’elles ? Leur caractère exceptionnel, transgressif et purement orthopédique, l’idée qu’elles seraient, en quelque sorte, un moindre mal, justifieraient une telle position du législateur.
Or on s’aperçoit assez vite que ce paradoxe n’est qu’apparent et qu’il est précisément ce qui permet que l’ouverture à ces techniques puisse devenir illimitée, tout en laissant au droit le pouvoir de s’inféoder leurs puissances et de les utiliser selon ses propres buts. Il s’agit donc de voir comment ces jeux institutionnels sont devenus possibles.

le montage juridique de l’Assistance Médicale à la Procréation

Les lois bioéthiques définissent l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) comme « l’ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryon et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent permettant la conception en dehors du processus naturel ». Mais, malgré la reconnaissance du fait que la fécondation va s’opérer en dehors du processus naturel, la loi a voulu limiter et régler l’accès à ces techniques en respectant une certaine idée de nature. L’AMP « a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » et/ou « d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité ». Même si cet acte se déroule en dehors du processus naturel il ne doit avoir pour but que de « corriger » la nature ; les fécondations artificielles ne doivent avoir lieu que lorsqu’un acte sexuel fécond aurait pu avoir lieu si des erreurs, relatives à la fertilité de l’acte comme à la santé de l’enfant à naître, n’avaient pas interrompu ou perturbé la chaîne de la causalité biologique.

Les conditions d’accès à l’AMP s’inscrivent dans cette même rationalité : lorsqu’un acte sexuel fécond « aurait pu avoir lieu » entre deux personnes, il peut y avoir lieu une fécondation artificielle. Pour cette raison, « l’AMP est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple » et les personnes seules sont d’emblée exclues. La loi définit ensuite quels sont les couples susceptibles d’articuler une demande parentale : « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentants préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. »
Pour avoir accès à l’AMP les lois bioéthiques exigent deux protagonistes : un homme et une femme, parce que les couples homosexuels ne peuvent avoir de relations sexuelles fécondes. Ce couple doit être marié ou vivre ensemble depuis deux ans (pour la médecine, un couple ne peut être réputé stérile qu’au terme de deux ans de relations sexuelles non suivies d’une grossesse). L’AMP n’aura lieu que pour corriger les rapports de causalité engendrés par ces actes sexuels, eux-mêmes existants. La loi exige aussi que les deux membres du couple soient vivants : l’insémination et le transfert d’embryons post mortem sont interdits parce que dans ces cas de figure un acte sexuel reproductif ne peut pas avoir eu lieu. La femme doit être, par ailleurs, en âge de procréer parce que dans la nature il n’y a pas pour les hommes aucune limite d’âge pour procréer.

Une autre condition d’accès, qui ne figure pas parmi les conditions générales, peut être déduite de la prohibition de la maternité de substitution. La conception in vitro, le transfert d’embryon ainsi que toute technique d’effet équivalent qui pourra être créée dans le futur doivent aboutir à faire coïncider l’accouchement et la maternité légale. L’AMP ne sera donc applicable qu’à certains cas d’infertilité féminine. La mère aura ainsi un rapport charnel avec l’enfant par opposition à celui du père, abstrait et intellectuel ; et la loi continuera ainsi à imiter l’image qu’elle se fait de la nature.

Le consentement à l’insémination ou à l’implantation est la dernière des conditions d’accès à l’AMP et sans doute le plus important dans la dynamique de ce montage juridique. Seul le consentement à l’insémination ou à l’implantation des embryons permettra de consommer la fécondation artificielle. Si, avant que ce consentement ait été donné, le couple se sépare, si l’un des membres meurt, ou si la demande parentale n’est pas maintenue, l’insémination ou l’implantation de l’embryon ne peuvent pas avoir lieu. Cette condition peut s’expliquer aussi par la volonté de la loi d’imiter le plus loin possible l’acte sexuel reproductif, la rencontre secrète et féconde entre deux corps. L’implantation consentie se substitue au contact des corps, mais l’homme et la femme doivent pouvoir en apparence se confondre dans un acte sexuel reproductif. Ce geste d’imitation de la nature ne s’accomplit toutefois qu’au moment où le corps de la femme est effectivement fécondé. L’homme donne son consentement à la place de son corps et la femme son consentement en même temps que son corps.

La fécondation de la femme marque un tournant dans le déroulement de l’AMP. À ce moment précis, un sujet de droit potentiel est créé et dès lors la loi se substitue littéralement à la nature. Car c’est la loi qui féconde à la place de l’acte sexuel, ou elle produit au moins les mêmes effets que celui-ci. Ce qui mérite quelques explications supplémentaires.

La filiation biologique classique et la filiation adoptive lient une ou deux personnes à une troisième, l’enfant, par des règles qui statuent qu’étant donné une réalité génétique, sociale ou une volonté manifestée dans certaines conditions, il doit exister un lien de filiation. L’AMP, en revanche, inscrit un enfant dans une généalogie en même temps qu’il le produit biologiquement. L’« aurait pu » initial qui nous a servi pour décrire les conditions d’accès cède sa place à une presque vérité qui marque un tournant dans l’AMP. Désormais, la falsification de la fécondation hors-nature ne sera plus assumée en tant que telle (ceci étant la caractéristique des fictions juridiques), et on affirmera d’une manière implicite qu’un acte sexuel a effectivement eu lieu.
Ce quasi-mensonge deviendra vrai par les preuves que le législateur a eu le souci de fabriquer depuis le début de l’AMP. Preuves positives d’une vraisemblance : par la rupture qui se produit à partir de la fécondation de la mère, les conditions d’accès deviennent rétroactivement des preuves et des indices d’un acte sexuel inexistant. Une fois niée l’imposture initiale, les conditions d’accès, c’est-à-dire un couple composé d’un homme et d’une femme, en âge de procréer, vivants, mariés ou vivant ensemble depuis deux ans, ayant eu des rapports sexuels, consentants au moment de l’insémination ou de l’implantation, la femme réputée mère et enceinte à la suite de cette fécondation, seront autant d’indices et des preuves visant à renforcer l’avènement d’un acte sexuel reproductif qui n’a jamais eu lieu. Preuves négatives, qui permettront d’effacer les traces du passage de l’artifice : à cette fin, ces lois ont organisé l’AMP en forme de secret. Les donneurs de gamètes deviennent non-identifiables. Le principe de l’anonymat impose un double secret : donneur et receveur ne peuvent pas connaître leurs identités respectives. Le même principe se trouve à l’œuvre dans le cas de don d’embryon. Les règles établies par le C.C concernant la filiation en cas de procréations médicalement assistées sont cohérentes avec ces principes. Aucun lien de filiation ne pourra être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation ; aucune action de responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur . Le secret qui entoure l’acte l’AMP est absolu ; il concerne autant les donneurs que l’acte lui-même.

La double opération de supposition d’un acte absent (l’acte sexuel procréatif) et de négation de cette falsification initiale font que ces règles abolissent rétroactivement l’existence des procréations artificielles. L’AMP est un dispositif qui s’abolit lui-même une fois qu’il a été consommé, qui n’existe que pour faire disparaître toute trace de son passage. Une fois gommées les traces de l’artifice, tout ce qui reste, ce sont la vraisemblance de l’acte, les preuves, les indices préfabriqués qui deviennent ainsi, rétroactivement, la seule vérité, les seuls faits qui ne soient pas supprimés.

civiliser les techniques

L’AMP n’est pas structurée comme une fiction parce la fiction juridique suppose qu’on assume une falsification des faits afin de tirer de celle-ci des conséquences juridiques. Un exemple de fiction légale est celle qui pose que l’enfant mort né n’a jamais existé. La loi assume que cette supposition est fausse et tire de celle-ci des conséquences juridiques. L’AMP n’est pas structurée comme une fiction, car l’acte sexuel posé comme une falsification initiale lorsque la loi énumère les conditions d’accès n’est plus assumé comme falsification après la fécondation.

Ce dispositif nous oblige à nous interroger sur le type d’emprise du droit sur le monde des faits qu’il institue. Ce n’est plus un rapport d’imitation de la nature par le droit, la reconnaissance d’un certain registre de la réalité qui ne peut pas être altérée par ses fictions. Dans l’AMP le monde des faits n’impose plus d’interdits aux manipulations du droit et ce qui est plus important encore : la puissance de la loi est si absolue, ses moyens d’action si sournois qu’elle arrive à cacher ses propres mécanismes en les attribuant à une instance tierce, la nature, qui n’est autre chose que la loi elle-même armée de la puissance des biotechnologies. Ainsi, si l’on a pu prétendre, avant la promulgation des lois bioéthiques que celles-ci devaient mettre un frein à la voracité des biotechnologies (confrontant de ce fait, dans un rapport de pure extériorité, la loi à la technique), ce que l’on a eu, en vérité, est une loi armée de la puissance de ces techniques.

Alors, si elle n’est pas structurée comme une fiction, l’AMP serait-elle un pur mensonge, une imposture légale visant à tromper, à cacher la vérité de l’avènement d’une fécondation artificielle ?
Peut-être faudrait-il voir dans ce montage juridique quelque chose de plus intéressant qu’un simple mensonge, comme certains juristes l’ont pensé, et trouver d’autres explications visant précisément à rendre compte du tournant produit par ces lois dans les rapports que le droit entretient avec les réalités qui lui sont extérieures.

Une réponse possible à cette question ne pourrait toutefois être proposée sans faire appel à une hypothèse secondaire concernant l’avenir des fécondations artificielles.

Vouées à l’origine à pallier la stérilité des couples, les techniques de procréation artificielles sont devenues depuis quelques années des procédés efficaces pour contrôler la santé des enfants à naître. Le choix des gamètes et le tri d’embryons in vitro sont à l’heure actuelle des moyens plus rationnels et moins violents pour maîtriser l’hérédité génétique que d’autres qui opèrent directement sur les géniteurs, comme l’avortement thérapeutique. Le nouvel horizon qu’ouvrent les techniques de fécondation artificielle permet de penser que dans un avenir plus ou moins proche ces procédés deviendront le moyen privilégié pour la production d’enfants. Ce qui revient à dire que les techniques de procréation artificielle condamnent l’acte sexuel comme procédé technique de fabrication d’enfants à une mort lente, quoique certaine. Désormais, la nature ne peut pas être ordonnée par la loi comme instance extérieure, comme fondement ou comme limite des règles concernant la reproduction biologique. La loi a la charge de construire tant les règles de filiation que celles de fabrication d’enfants ; elle doit agir dans un épouvantable vide. Les êtres humains eux-mêmes naîtront littéralement des institutions, toute extériorité entre droit et nature étant ainsi abolie.
Dans le droit, la référence à la nature a souvent été utilisée pour renforcer sa puissance d’une manière indirecte, la nature étant ce que la volonté humaine ne peut pas modifier et ce qui, de ce fait, rend légitimes certaines institutions et certaines règles. La structure de l’AMP paraît répondre à cette nécessité du droit de se doter d’une nature, d’une forme d’extériorité, bien qu’elle soit falsifiée et préfabriquée. Les manœuvres institutionnelles opérées dans l’AMP permettent de penser qu’un acte sexuel s’est imposé au droit, et non pas que le droit l’a monté de toutes pièces. L’AMP constitue une tentative pour faire croire qu’il existe encore une extériorité au droit, et que ces choix ne sont pas arbitraires, dans le vide. Mais l’on peut penser aussi que cette possibilité de feindre un acte sexuel est une convention, certes contestable, qui permet de résoudre des problèmes nouveaux concernant les techniques d’intervention sur la vie que l’AMP rend possibles. En effet, dans la logique des lois bioéthiques, la quête de la santé peut mener à brouiller les frontières entre l’humain et le non-humain du point de vue biologique. La référence à l’acte sexuel pourra servir comme convention d’« humanité », feignant que tous les enfants nés de procédés hétéroclites et ayant fait l’objet d’interventions génétiques avaient tous la même origine : un acte sexuel fécond. À cet égard, il est intéressant de rappeler la décision apparemment paradoxale du conseil constitutionnel à propos des lois bioéthiques, lorsqu’il a statué dans le même temps qu’il n’existe aucune disposition, ni aucun principe à valeur constitutionnelle concernant la protection du patrimoine génétique de l’humanité, tout en rappelant le principe de l’intégrité de l’espèce humaine. Comment peut-on, en effet, « affirmer que l’intégrité de l’espèce humaine n’est pas adéquate à son patrimoine génétique alors qu’il en est sa condition même ? » Une telle distinction montre ce passage entre un modèle d’humanité extérieur au droit et un autre produit par ses mécanismes de fabrication et de jugement.
On pourrait penser qu’on ne se trouve pas avec l’AMP face à une institution qui limite les affaires humaines, mais qui se limite elle-même à travers ce procédé de simulation d’un acte sexuel fécond. Ceci s’avère d’autant plus nécessaire dès lors que le droit crée par ce procédé l’espace de ses propres interventions, qu’il devient, pour paraphraser certains poètes, le cri et l’écho, l’épée et la blessure, dès lors qu’il a pour tâche de créer le monde sur lequel il va intervenir. En ce sens, si contestable puisse-t-il paraître, il n’empêche que ce modèle constitue une voie possible de civilisation des techniques, de les « naturaliser » si l’on ose dire, de les subsumer dans ce rituel mis en place par l’AMP sous l’acte auquel elles se substituent, brouillant de ce fait les frontières entre nature et artifice dans l’hybride de cet accouplement sexuel falsifié.

Il est certain que le modèle choisi par les lois bioéthiques est aussi ouvert aux techniques qu’il est fermé aux conditions sociales de la parentalité. En ce sens, la référence à l’acte sexuel procréatif prend une allure toute différente.

l’AMP et la parentalité

Si la liberté de donner la vie par les voies naturelles avait été étendue aux procréations artificielles, on aurait pu assister à l’aboutissement d’un processus historique relativement cohérent qui aurait d’abord séparé la sexualité de la reproduction (contraceptifs, avortement) et dissocié, ensuite, la reproduction de la sexualité. Ceci signifie, en substance, que si la première dissociation aurait produit une liberté négative, celle de ne pas procréer lorsque l’on ne le désire pas, la deuxième aurait produit une liberté positive : faire des enfant lorsqu’ils ne peuvent pas être faits par les moyens corporels.

Ceci aurait produit une véritable révolution dans la notion de parentalité. Non seulement parce qu’elle aurait pu permettre de devenir parents à des individus et des couples sans sexualité ou dont la sexualité ne se conforme pas à la norme comme les couples homosexuels, mais aussi parce qu’elle aurait transformé d’une manière radicale la notion même de parentalité. En effet, on avait jusqu’à maintenant associé les notions de père et de mère à celles de géniteur et génitrice, au sens où existe une empreinte corporelle réelle ou imaginaire (le sang, les gènes, l’hérédité et, pour les femmes, la grossesse et l’accouchement). Les techniques de procréation artificielles, permettant de rompre avec cette empreinte corporelle et avec la notion même de géniteur, auraient pu ainsi obliger nos sociétés à créer de nouvelles références, plus abstraites, de la parentalité. Ainsi, la notion de parent aurait pu être rapprochée de celle d’auteur, c’est-à-dire l’individu ou le couple qui a décidé de créer l’enfant indépendamment des matériaux et des procédures par lesquelles celui-ci aurait été créé. Mais les lois bioéthiques ont refusé toutes ces ruptures possibles, toutes ces petites et grandes révolutions dans les procréations et les filiations. Il est certain qu’un tel choix aurait mis en miettes les références procréatives dans lesquelles nous vivons depuis quelques décennies et notamment le principe de la « vérité biologique » à la fois si critiqué et si ancré dans nos catégories mentales. Ce principe est néanmoins relativement récent. Il a été imposé dans le droit français à partir de la loi de 1972 et renforcé par celle de 1993. Ces règles assimilent les parents aux géniteurs s’éloignant ainsi des règles et des références antérieures fondées sur la volonté, comme L’étaient la présomption de paternité pour les enfants légitimes et la reconnaissance dans le cas des enfants naturels. La règle de la vérité biologique a fait donc de l’acte sexuel la référence de la parentalité. Or, en dépit de ses dehors modernistes (car elle a terminé en effet avec la stigmatisation des filles séduites et des enfants naturels ; car elle a permis à chaque enfant d’avoir un père) cette règle peut à multiples égards être considéré plus archaïque que le principe de la volonté. Certains pensent que pour être parent et notamment père il ne paraît pas suffisant d’avoir eu un rapport sexuel. Et ce principe de la vérité biologique est aussi archaïque en ce qui concerne la sexualité elle-même. Dans le fond, il ne permet d’être parent qu’aux individus et aux couples qui ont une sexualité d’abord, hétérosexuelle ensuite et fertile enfin. Les autres formes de sexualité ou de non sexualité ne permettent pas d’avoir d’enfants. De ce fait, dans ce monde de liberté de mœurs le principe de la vérité biologique fait réapparaître la sexualité comme norme dans le domaine de la procréation.

La création d’un procédé spécifique, l’AMP, pour construire des enfants vrais pouvait servir comme dispositif d’exception pour des cas encore très marginaux en nombre, afin de ne pas porter atteinte au principe de la vérité biologique. Les procréations naturelles et artificielles devaient avoir en commun le fait qu’un acte sexuel réel ou supposé ait été le point d’origine de l’enfant. De ce fait le législateur a empêché la substitution de la notion d’auteur à celle de géniteur et il a empêché en même temps aux individus et aux couples dont la sexualité ne s’accorde pas à la norme de devenir des parents. L’autre choix politique qu’a fait le législateur est de perpétuer, voire de renforcer, les différences entre le statut paternel et maternel. Ainsi, la prohibition de la maternité de substitution renforce et perpétue ces différences. La prohibition indirecte d’une technique qui n’est pas encore au point mais qui pourra le devenir dans un avenir proche : l’ectogenèse, c’est à dire la grossesse complète en dehors du corps d’une femme, va dans le même sens. Car pour être mère dans la loi il faut forcément passer par la grossesse et l’accouchement.

Dans ce sens, l’on peut affirmer que les lois de 1994 ont fait à partir d’un modèle très astucieux de « civilisation des techniques » des choix très conservateurs en matière familiale. Elles ont mis en place un dispositif très révolutionnaire et très ouvert concernant les techniques afin d’intervenir sur la stérilité et sur les conditions biologiques des enfants à naître sans transformer en rien les conditions sociales de la procréation. Ce montage si extravagant et si complexe peut être considéré comme l’effort qu’a dû fournir le droit pour gommer le potentiel corrosif voire subversif des nouvelles techniques de la procréation dans le domaine de la parentalité.