Vacarme 10 / chroniques

ovalisation du paradoxe

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Il existe un sport qui se joue avec un ballon ovale. Qui inscrit dans la forme même de son instrument sa tolérance à l’aléatoire. Un jeu où il s’agit de faire franchir à la balle la ligne d’embut adverse sans être autorisé à la passer vers l’avant. Une fois cette ligne franchie, on n’atteint pas un but, mais un essai qui demandera à être transformé. Un sport donc, qui demande un acharnement extrême pour atteindre un but qui n’en est pas un.

Il existe un sport pour la pratique duquel aucun membre n’est prohibé et où ce sont les arrières qui marquent. Un sport où la mêlée — une certaine idée du chaos — constitue tout simplement un point de règlement. La loi crée ici une phase de jeu pendant laquelle la balle et une partie des joueurs sont invisibles — même des caméras de télévision. Un jeu de ballon qui ne porte pas un nom composé avec « ball », mais celui de l’université qui l’a conçu comme un divertissement pour gentlemen. Il existe un sport qui, inexplicablement, semble mieux convenir aux insulaires (la moitié des pays représentés à la coupe du monde sont des îles). Particulièrement ceux de l’hémisphère sud où une petite île de trois millions d’habitants terrorise la planète ovale. Un sport qui invente sa propre géographie, où le championnat d’Europe ne concerne que cinq nations, où l’Allemagne n’existe pas, où le championnat de France se joue presque exclusivement au sud de la Loire. Un sport qui a fini par boycotter l’Afrique du Sud de l’apartheid et l’interdire de coupe du monde pour finalement voir Nelson Mandela assister à la victoire des Springboks, vêtu du maillot national.

Il existe un sport élitiste et brutal où la meilleure équipe du monde joue en noir. Où la meilleure équipe du monde exécute une danse traditionnelle Maori avant le coup d’envoi de chaque match. Une chorégraphie terrifiante dont les paroles disent :

« Ah ! Je meurs ! Je meurs !

Je vis ! Je vis !

Voici l’homme chevelu qui est allé chercher le soleil et l’a fait briller à nouveau !

Un pas vers le haut ! Un autre pas vers le haut !

Un pas vers le haut ! Un autre !

Le soleil brille ! Hi ! »

Un sport où l’on chante des poèmes de guerre, où la forme ovale héberge tous les paradoxes.

Mais que tous les mangeurs de cassoulet — buveurs de Guinness — danseurs de haka se rassurent, avant un match contre la France en novembre 1997, les deux tiers de l’équipe d’Afrique du Sud ont présenté un certificat médical justifiant l’utilisation de la Ventoline — un médicament conçu à partir d’un anabolisant et destiné aux asthmatiques.

Tout n’est pas que paradoxe au pays de l’ovalie.