Vacarme 10 / chroniques

Perfect blue, de S. Kon

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Si on allait, pour tromper une attente, voir un dessin animé ? Mais alors ce qui se fait de plus parfait dans le genre, de plus branché : Perfect blue. Deux ou trois scènes et l’on a capté son message : vanité des vanités, nos gloires sont délétères. On y souscrit sans réserve. On espère qu’il ira plus loin que le lieu commun. Car nos gloires sont délétères, oui, au point que seuls des porcs peuvent y trouver le bonheur. Pour être adulés, les anciens devaient remporter une victoire navale, bâtir un monument, rédiger une constitution. Aux contemporains il suffit de prêter le visage et la voix à un personnage de sit-com débile, ou de chanter en porte-jarretelles dans un girls-band (c’est ce que fait l’héroïne du film quand il commence). Nos gloires sont délétères au point qu’il existe depuis peu une virginité médiatique dont la perte est un deuil. Pourquoi ? Mais parce que la moindre exposition aux flashes donne naissance à un double, doppel-gänger sans épaisseur, réduit à un ou deux clichés, et qui, s’il y a carrière, se subdivisera par une sorte de parthénogenèse idiote (le chanteur devenu acteur devenu écrivain, le sportif devenu présentateur, l’homme d’affaires devenu politicien). Dès le premier quart d’heure de célébrité, un dispositif sacrificiel se met en place, lequel ampute votre personne de tout ce qui prend mal la lumière, et donc vous humilie à proportion qu’il vous flatte — soit un dispositif pervers. Bien que cela n’y soit pas dit aussi durement, l’héroïne de Perfect blue, une certaine Mima, en fait la triste expérience, car la voilà persécutée, après qu’elle s’est lancée dans une carrière solo d’actrice, par son précédent avatar curieusement rémanent, la chanteuse ado qu’elle n’est plus. Admettons.

On est d’abord bluffé par la technique narrative. Serait-ce le premier vrai thriller d’animation ? Sans doute son scénario est-il des plus prévisibles, variante successivement des deux poncifs du « fan assassin » et de la « meilleure ennemie » (n’en disons pas plus pour laisser un semblant de surprise au spectateur). Mais le réalisateur s’attache comme jamais à transposer dans le médium de Goldorak tous les tropes du cinéma adulte — lents travellings, montage parallèle, champs/contrechamps, alternance dramatique entre plans généraux, américains et rapprochés, voix off, hallucinations incarnées, bref, le grand jeu. Hélas, de ce point de vue formel, et en dépit de quelques réussites mineures, cette gageure n’est qu’une belle idée, qui jamais ne fait oublier les limites naturelles de la représentation dans le dessin animé : figurants pris dans le gel de l’arrière-plan, lèvres mal synchronisées avec les répliques (or le doublage n’est pas en cause, s’agissant d’un cartoon noble, donc visible en v.o.), raideur des mouvements, pauvreté du détail. Hélas encore, du point de vue esthétique, rien ne déroge vraiment aux règles de l’univers des mangas, peuplé d’adolescents mièvres et de démons grimaçants, à son infantilisme atroce, à son effarant mauvais goût, auprès de quoi le roman façon Harlequin et le chant façon 2B3 font figure d’art majeur.

Hélas, surtout, du point de vue politique, le propos sur l’aura médiatique, qui se veut subversif, ne va pas bien loin. Certes, le crime vient, dans l’histoire, de la gloire même de la star, sous les espèces virtuelles de sa propre image, méchante enfant. Seulement le film témoigne à chaque plan d’une fascination mortifère pour le leurre people et la technologie ostentatoire.

Fascination ambivalente, oui, mais qui l’emporte sur tout le reste, comme fait en général la loi du spectacle lorsqu’elle intègre sa critique. Double Bind, titre du nanard où la babe-idole trouve son premier second rôle et son destin mis en abyme, dit ce cercle vicieux : en dénonçant le leurre, le film n’oublie pas de contribuer complaisamment à sa séduction (à cet égard, le voyeurisme d’une scène de viol répétée trahit de façon désarmante sa duplicité mercantile). Ce Double Bind accuse enfin, précis tel un lapsus, la contradiction dans laquelle s’est enferré le film que nous voyons, son incapacité de sortir du piège qu’il a décrit. Et c’est vous qui sortez, croyant à tort être en retard, soulagés de constater que les passants se meuvent encore avec leur souplesse naturelle.

Demi-échec formel, mauvaise foi politique : si l’on se souvient de Perfect blue comme d’un film de cinéma, et non de la énième disniaiserie, c’est d’un film partiellement raté et globalement répugnant.