Le traité de Maastricht : un coup d’État monétaire
par Emmanuel Kessous
Au fur et à mesure que se rapproche la date fatidique de 1998, la question monétaire revient au centre du débat politique. La campagne électorale l’a, une fois de plus, démontrée. Qui s’en plaindra ? Il est normal que dans une démocratie, les prétendants aux hautes fonctions de l’État débattent des grandes orientations du pays. Le peuple souverain doit trancher en connaissance de cause. Les grands principes du jeu démocratique sont-ils pour autant respectés dans la marche vers la monnaie unique ? L’anticipation d’élections législatives que les mauvaises grâces du calendrier faisaient coïncider avec la troisième étape de l’Union monétaire, fait penser le contraire. Devant un rejet prévisible des conséquences d’une orientation que le souverain estime bon pour le peuple, il valait mieux que ce dernier ait à se prononcer préalablement.
Aujourd’hui le doute sur la monnaie unique atteint les plus fervents partisans de la construction européenne. Le respect sans aménagement des critères de Maastricht, dans une conjoncture non favorable, ne risque-t-il pas d’enfoncer le pays dans une crise économique et sociale ? Déjà des voix s’élèvent chez les économistes pour qu’on accompagne le rationnement budgétaire, imposé par le traité, par plus de souplesse dans la politique monétaire. Si moins de dogmatisme est souhaitable dans l’application des critères de convergence, le débat est révélateur d’un problème plus fondamental concernant la manière de construire l’Europe.
Les avocats d’une stricte application des critères de Maastricht font valoir que les électeurs s’étant prononcés favorablement, il n’est pas légitime de revenir sur ce choix. Mais, s’il est vrai que l’on ne répond jamais par référendum à la question posée, il est permis de penser que les Français se sont davantage prononcés « pour l’Europe » que « pour les critères de convergence ». C’est plus le rejet des thèses des opposants à la monnaie unique que l’adhésion à celles de leurs partisans qui a été le principal facteur de la victoire du « oui ». Les Français se sont prononcés sur le plan politique, laissant à leurs représentants le soin de s’entendre sur les modalités techniques.
Alors que l’euro devait faire franchir un pas dans l’unification de l’Europe, le risque est de la voir se diviser davantage. Le débat sur le respect des critères fait apparaître la rigueur budgétaire comme un mal nécessaire. On a l’impression que l’aspect technique, annexé au traité, est plus important que le traité lui-même. Bien que sur le plan juridique la formulation des textes permette une interprétation, le chiffre arbitraire de 3 % du PIB, pour le déficit budgétaire, est devenu un principe non renégociable. Dans ce contexte, une interrogation demeure. Une fois la monnaie réalisée quelle sera la politique budgétaire et monétaire de l’Union Européenne ? Les choix au-delà de la date fatidique de 1998 ne sont jamais exprimés. Or les décisions économiques ne peuvent être arrêtées à une date fixe. Devant le silence des dirigeants, on peut se demander s’il n’existe pas une finalité cachée derrière les critères de convergence. Ces derniers constituent une aubaine pour la droite européenne en permettant d’imposer un libéralisme que massivement le peuple rejette.
L’inscription dans un traité (ou plus précisément dans ses annexes) de critères de politique économique pose un problème central. Elle correspond aux prescriptions de la théorie des « anticipations rationnelles » qui explique que la crédibilité de la politique monétaire nécessite de passer des menottes au décideur public. Sur le plan monétaire et budgétaire le choix politique est alors exhibé en contrainte externe. Après avoir enlevé toute marge de manœuvre aux gouvernants, il est possible de présenter le démantèlement du droit du travail comme une évolution
inéluctable. La démonstration, orchestrée sur le thème de la mondialisation, laisse entrevoir un monde ordonné selon les lois du marché. Il ne reste plus qu’aux protagonistes du réalisme (dont certains se disent de gauche !) d’expliquer que le pays doit s’adapter à la nouvelle donne. Les lois du marché étant « naturelles », ils resteraient aux lois humaines (c’est-à-dire aux lois sociales) à s’effacer. Ce que les libéraux ne peuvent obtenir par les urnes, ils l’obtiennent par une voie détournée.
Une démocratie suppose que le peuple se prononce régulièrement sur des programmes alternatifs. La politique économique ne fait pas exception. Certains peuvent penser que le salut passe par plus de concurrence. C’est bien leur droit. Mais ils doivent accepter que cette idée ne fasse pas l’unanimité. À eux de convaincre les électeurs qu’ils ont raison. Ce n’est ni aux institutions, actuelles ou futures, ni aux experts de dicter la politique menée.
Les opposants à Maastricht ont vu juste sur un point, c’est sur le symbolisme du signe monétaire. L’Europe restera abstraite tant qu’elle ne possédera pas sa monnaie. La France a eu le Franc, l’Allemagne le Deutschemark, l’Europe doit avoir l’Euro. Mais la monnaie ne peut suffire. Si dans un premier temps les critères doivent être assouplis pour tenir compte de la situation conjoncturelle, l’Union Européenne ne pourra faire l’impasse sur une complète transformation de ses institutions. Celle-ci passe par plus de démocratie dans ses choix politiques. Sans cela, l’Union risque de se défaire avant même d’avoir véritablement existé.
Les principales étapes de l’Union Economique et Monétaire :
- 14 décembre 1990 : Ouverture, à Rome, des conférences intergouvernementales sur l’Union économique et monétaire et sur l’Union politique.
- 7 février 1992 : Signature du Traité sur l’Union Européenne à Maastricht (Pays-Bas).
- 20 septembre 1992, approbation en France par référendum, à une courte majorité, du Traité de Maastricht.
- 1er novembre 1993 : Entrée en vigueur du Traité sur l’Union européenne.
- 1er janvier 1994 : fondation de l’Institut monétaire européen (I.M.E.) installé à Francfort.
- 1er janvier 1999 : début de la troisième étape de l’U.E.M. Le taux de conversion des monnaies des pays participants est fixé définitivement.
- 1er janvier 2002 : entrée en circulation de l’euro.
Les critères de convergence :
Le traité de Maastricht prévoit le passage à la monnaie unique le 1er janvier 1999 pour les pays dont les économies ont atteint un certain niveau de convergence pour l’année 1997. Celle-ci est évaluée par cinq critères : les pays doivent respecter les marges de fluctuations du Système monétaire européen depuis au moins deux ans, le taux d’inflation national doit être inférieur à la moyenne des taux d’inflation des trois États membres présentant les meilleurs résultats, augmentée de 1,5 points de pourcentage ; le taux d’intérêt nominal moyen national ne doit pas excéder de plus de 2 points celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix ; le rapport entre déficit public et PIB doit être inférieur à 3 % et le ratio dette publique sur PIB inférieur à 60 %. Des dépassements exceptionnels et temporaires de la valeur de référence de ces deux derniers taux sont tolérés dans la mesure où le ratio a diminué de manière substantielle et constante.