Viva ou le souvenir d’enfance

22 septembre 1998, une terrasse de café place de la Bastille. Viva Apelbaum a vingt ans. À côté de ses études de psychologie, elle apprend, depuis un an, le yiddish au Centre culturel Medem. Cette année, elle approfondit cet enseignement dans un cadre universitaire. Née dans une famille où le yiddish est associé à la Shoah, elle n’a jamais entendu parler la langue dans son enfance.

« C’est drôle, Maman évoquait depuis des années l’envie d’apprendre le yiddish. Mais cela restait de l’ordre du projet. Quand je me suis inscrite aux cours du centre Medem, elle a décidé de me suivre. Cette année, j’ai choisi de poursuivre cet apprentissage à la fac. Bien sûr, j’aurais pu inclure le module de yiddish dans le cadre de mes études, mais je ne le souhaitais pas. Ce sont deux choses bien différentes. Apprendre le yiddish est souvent lié à la recherche que les gens font à propos de leur judaïsme.

De mon point de vue, le yiddish n’est pas une culture du passé, même s’il est vrai qu’il y a peu ou pas d’événements à Paris qui ne puisent leur inspiration dans la culture traditionnelle. Mais la yiddishkeit n’est pas un sentiment qui se manifeste à travers des événements culturels. C’est beaucoup plus diffus, un état d’esprit qui se perpétue et n’est pas menacé de disparition. Une manière d’appréhender les choses de la vie, de raconter des histoires, un certain humour aussi, qui est important parce qu’il nous est proche.

À Paris, mis à part les cours au centre Medem, les occasions sont rares de parler yiddish. Pourquoi apprendre le yiddish ? La question se pose effectivement. Comme d’autres personnes de mon âge, j’y réponds en expliquant que c’est mon histoire, que j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose.

J’apprends une langue qui était celle de ma famille, dont une partie fut déportée. Je crois leur devoir cela : ne pas laisser la langue disparaître. Parler yiddish, c’est aussi une manière de ne pas oublier. Je ne suis pas d’accord avec les sionistes qui pensent que les Juifs assimilés ont oublié leur passé. Je ne suis pas pratiquante, je me sens assimilée et le yiddish, c’est ma façon à moi de ne pas oublier, de me rappeler que des membres de ma famille ont été assassinés. Un assassinat qui fut aussi celui d’une langue. Ce serait baisser les bras que de penser : plus personne ne parle cette langue, alors pourquoi l’apprendrais-je ?

La disparition du yiddish ne m’inquiète pas parce qu’il y a encore des gens pour apprendre la langue, même si nous constituons une minorité. La vraie question, c’est avec qui parler yiddish. Beaucoup de mes amis me disent que cela ne sert à rien. L’impossibilité de pratiquer la langue quotidiennement, c’est quelque chose dont il faut être conscient dès le départ, de savoir que cette langue ne sera pas utile dans la vie courante. »

CHACUN SA PETITE CUISINE

« Mes parents font partie de cette génération honteuse à qui leurs parents rappelaient sans cesse qu’il ne faut pas dire que l’on est juif. Ils ont grandi dans cette incompréhension. Avec des questions : qu’est-ce que cela veut dire d’être juif, pourquoi le cacher ?

Avec mon frère, on peut dire que nous avons grandi en dehors de toutes ces questions. Je savais que j’étais juive comme je savais que j’étais une fille, cela n’allait pas plus loin. Vers l’âge de quinze ans, j’ai eu envie d’aller voir de plus près ce qu’était le judaïsme et je me suis inscrite dans un mouvement de
jeunesse juive. Un mouvement d’obédience sioniste qui n’était pas ce que je recherchais mais qui m’a permis de me situer. Il est parfois dur de découvrir sa propre identité juive, de savoir par où elle passe. Le judaïsme n’est jamais vécu de la même manière dans deux familles. Il faut faire sa petite cuisine à soi...

Chacun trouve une manière bien personnelle d’approcher le yiddish. Pour moi, deux éléments sont intervenus. Il s’agissait de mon histoire. L’autre facteur est intervenu plus tard. C’est le plaisir sensuel, presque tactile, d’apprendre un nouvel alphabet dont la calligraphie est magnifique. »