Vacarme 07 / chroniques

pour une france qui perd

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Un certain nombre d’objets ne quitteront plus la mémoire d’une génération.

Quatre incisives dispersées — peut-être fichées par la racine — sur un carré d’herbe sévillan en 1982. Un segment de bois de 7,32 m que les Écossais, par un goût tout insulaire pour l’anachronisme, ont conservé obstinément parallélépipédique jusqu’en 1976. Quelques coupes de champagne sur un plateau à Paris en 1993... On m’accusera d’être aveuglé par le chauvinisme, mais je ne vois pas quelle nation peut nous contester la qualité de « plus sublimes perdants du monde ». Le Portugal pourrait être un bon prétendant au titre, mais son inefficacité par trop immodérée le condamne à des défaites prématurées. L’Espagne, qui s’y entend bien, s’est trahie par l’insolente réussite de ses clubs. L’Angleterre — à créditer d’un bel effort dramatique à l’occasion de la dernière coupe du monde — est trop sûre qu’elle devraitgagner pour être une perdante brillante. La Russie trop ancrée dans sa tradition de la défaite. On peut grossièrement partager les autres nations en vainqueurs incontournables ou victimes désignées.

Après une magnifique série d’échecs d’une élégance indiscutable, couronnée par le boycott — suite à suicide collectif existentiel — de la pantalonnade américaine en 1994, la France s’est discréditée. La victoire du 12 juillet est une tâche indélébile dans la légende des équipes françaises.

Évacuons le scénario affligeant de platitude du match lui-même : une demi-heure de jeu où le fantôme du Brésil semble être tétanisé par l’affaire Ronaldo et but. Photocopie du premier but à la quarante cinquième minute, rien de tel pour étouffer l’intensité dramatique. Petit marque un but construit à l’heure où les Français étaient déjà arc-boutés sur leurs avertisseurs.

Et puis tout bascule.

Nous ne pourrons plus entretenir l’ambition d’être dignes dans la victoire. L’expression dans un grand beuglement de la fierté nationale ternit à jamais la retenue, la divine compassion qu’engendraient nos héroïques défaites. Mais si l’on a foi en une justice de l’esthétique, on attend le châtiment qui semble frapper sans exception les vainqueurs de notre beau pays d’échec. Platini, qui s’est en son temps sagement limité à une trahison continentale, s’est vu avec beaucoup d’indulgence condamné à un entretien avec Marguerite Duras. L’O.M. champion d’Europe renaît à peine de ses cendres. Le P.S.G. qui braconna un soir une insignifiante coupe des coupes n’a de cesse de se faire éliminer de la coupe de France par des équipes de quatrième division.

Bernard Hinault semble condamné à porter à vie des chemises bleu ciel à manches courtes. Jean-Claude « Kill-Kill » Killy, piégé à la tête de la société du Tour de France l’année du scandale... Tremblez ! Pendant ce temps, Ray Poulidor, le sportif français par excellence et glorieux perdant, coule des jours heureux. Le grand bonheur d’avoir vu la France multiraciale se rouler des patins après la victoire n’empêche pas de regretter la grâce qu’elle aurait montrée en le faisant dans la défaite.