Vacarme 07 / chroniques

un menu pour tout recommencer

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Comme les amants, les années se suivent mais ne se ressemblent fort heureusement pas. Il y a tout juste un an, réveillon rimait avec déréliction. En 1998, les fées qui veillent sur vous ont été bonnes filles et ont décidé de renverser la vapeur, et/ou de remettre du vent dans vos voiles, selon ce à quoi vous marchez. Quelques bons amants, un nouveau mari, les gens que vous aimez qui vont beaucoup mieux, VACARME qui reparaît : autant de raisons objectives de vous sentir à nouveau d’humeur assez youkaïdi-youkaïda. C’est comme si tout recommençait, et même si vous n’êtes plus la petite dinde de vos vingt ans pour croire à ce genre de fadaises, vous faites comme si, parce que c’est toujours ça de pris.

D‘ailleurs, pour mieux marquer le coup après l’avoir longtemps accusé, vous avez déménagé, et, depuis quelques mois, la rénovation et l’aménagement de votre nouvelle maison, à laquelle vous consacrez autant de soins et d’énergie qu’à une pièce montée pour repas de pacs, vous a transformée provisoirement en folle brico — un peu macho — doublée d’une folle déco — franchement hystérique. C’est dire si vous êtes insupportable pour vos amis ! Ils ont dû subir vos conversations monomaniaques sur les avantages comparés de la chaudière Frisquet (« la Rolls des chaudières », dixitvotre plombier, dont vous avez adopté le sabir artisano-viril), laquelle flatte votre goût du luxe, par rapport à la chaudière Leblanc (« le meilleur rapport qualité-prix »), laquelle parle à votre instinct de ménagère économe. Vous les avez agacés plus qu’à leur tour en leur contant par le menu la réfection, qui dura des semaines, de vos parquets en point de Hongrie. Certains, peu au fait de l’art de profiler des lames, crurent devoir conclure hâtivement que la pauvre fille avait définitivement versé dans les travaux de broderie. Ils furent néanmoins d’autant plus troublés, pour ne pas dire envieux, d’apprendre que vous aviez pour cela fait l’acquisition d’une défonceuse qui vous donnait pleinement satisfaction. Tout cela vous a cependant éloignée, par force, de vos fourneaux, et en vous la fine cuisinière délaissée un temps pour les charmes rudes du plâtrier exige de reprendre ses droits. Il est donc bien temps de troquer à nouveau la
roulette à maroufler pour celle du pâtissier. La Saint Sylvestre vous offre une occasion en or pour sortir le grand jeu : à toutes bonnes raisons de faire la fête s’ajoute celle d’inaugurer votre nouveau palace, et singulièrement votre nouvelle cuisine, tout juste installée.

Vous mettrez les petits plats dans les grands, car vous inviterez tous vos amis, qui l’ont bien mérité, et ils sont nombreux. Trop en tout cas pour faire un dîner traditionnel, et ce sera donc un buffet. Abondance, diversité et succulence sera votre devise. Embauchez votre mari et un ou deux amis de confiance la veille et le jour même pour préparer tout ça, ils ne seront pas de trop. Pour l’arrivée de vos amis, prévoyez déjà une salve fournie de petites choses apéritives délicates mêlées à de véritables entrées. Plutôt que de trop perdre de temps à réaliser de pleins plateaux de canapés variés, qui de plus sèchent ou s’oxydent rapidement, disposez les ingrédients et les différents types de pain déjà tranchés, ainsi qu’un toaster, et laissez vos invités se concocter à plaisir les bouchées qu’ils préfèrent : taillader eux-mêmes dans un foie gras mi-cuit entier, piquer dans un plat des morceaux de saumon à l’aneth, gober une huître, tartiner une grosse cuillerée de votre Tapenade maison sur une bout de fougasse à l’huile d’olive, déguster un peu de Tchoutchouka (VACARME n°6), hésiter entre vos sublimes Crevettes à la crème
d’aneth
. et vos piquantes lamelles de rosbif froid relevées d’une pointe de sauce au raifort. N’oubliez pas les classiques mais toujours délicieusement rafraîchissants petits légumes crus à tremper votre Aïoli ou votre sauce Anchoïade.

Pendant que vos amis s’ébattent ainsi, vous aurez mis à gratiner dans votre nouveau et vaste four des plats d’Oreilles d’âne préparés la veille (VACARME n°6) — car, depuis de nombreuses années, il ne saurait être de 31 décembre sans Oreilles d’âne, vos meilleurs amis ne vous pardonneraient pas d’y manquer. Sitôt défournées et disposées en honneur sur le buffet, repassez quelques minutes en cuisine pour enfourner la suite, cette année des Daurades au fenouil et au vin blanc. Juste avant de servir, vous réchaufferez et ferez sauter rapidement dans un peu de beurre un accompagnement par exemple de brocolis préalablement cuits à la vapeur. Lorsque vous servirez, passez derrière la table du buffet et faites sereinement le service du poisson, car si vous laissiez vos invités s’en
charger, vos splendides daurades se transformeraient vite en monstres des profondeurs, un écrabouillis informe hérissé d’arêtes dissuasives.

Vous n’avez pas manqué de dévaliser votre fromager. Évacuez du buffet tout ce qui précède avant d’y disposer les plateaux de fromages et, pour ceux qui voudront, une simple salade verte. Donnez à vos amis et à vous-même le temps de souffler.

Pour le dessert, et eu égard au nombre d’invités, donnez-leur le choix : prévoyez une Charlotte au chocolat et aux écorces d’oranges, qui comblera les vrais amateurs de chocolat noir, et rejouez sans hésiter votre classique Riz à l’amande et sauce chaude aux griottes (VACARME n°6) pour les autres, dont le succès est toujours garanti. Ces deux desserts ont le mérite de se préparer à
l’avance, et en plusieurs exemplaires si le nombre de convives le requiert.

Chargez vos amis de fournir les bulles, tout en prévoyant de votre côté un grand bac à glace pour les rafraîchir.

Crevettes à la crème d’aneth :

De grosses crevettes, de la crème fraîche épaisse, un bouquet d’aneth frais, sel, poivre, citron, de l’Aquavit.

Décortiquez soigneusement les crevettes et réservez-les au frais. Nappez-les, après les avoir bien égouttées et tamponnées avec un papier absorbant, d’une sauce épaisse faite de crème fraîche à laquelle vous aurez additionné de l’aneth haché, un filet de jus de citron, sel, poivre, et surtout relevée par quelques centilitres d’Aquavit. Il est conseillé de préparer la sauce au moins deux heures à l’avance pour que l’aneth diffuse son goût, de la tenir au frais, mais de ne l’ajouter aux crevettes qu’une demi-heure avant de servir. Rectifiez l’assaisonnement en goûtant avec une
crevette, car la sauce, qui fait merveille avec le goût de la crevette, paraît toujours fade seule. Servez frais, mais non glacé.

Quelques sauces pour les autres entrées :

  • Anchoïade : au pilon, réduire en pommade des filets d’anchois à l’huile, puis monter à l’huile d’olive, éventuellement avec un demi jaune d’œuf pour mieux lier.
  • Tapenade : même principe, avec un peu d’anchois et beaucoup d’olives noires (conservées à l’huile), un jaune d’œuf.
  • Aïoli : en proportion d’une grosse gousse d’ail écrasée pour un jaune d’œuf, monter en mayonnaise exclusivement à l’huile d’olive. Il est
    possible de ne saler qu’à la fin, pour mieux ajuster.
  • En plus doux, vous pouvez imaginer différentes variantes à base de mayonnaise classique (à l’huile « normale ») que vous portionnerez et parfumerez avec un hachis de ciboulette, du jus de citron vert, de la moutarde, une pointe de concentré de tomate, etc. Pour « alléger » la consistance de ces mayonnaises, vous pouvez également y incorporer de la crème fraîche battue en chantilly.

Daurades au fenouil et au vin blanc

En fonction du nombre de convives, de la taille du four et du plat, prévoyez une, deux ou trois grosses daurades. (Si vous êtes très nombreux, l’idéal est d’avoir un grand plat rectangulaire de la taille du four et d’environ 7/8 cm de profondeur. Il contiendra côte à côte trois grosses daurades, suffisantes pour env. 25 personnes.) Exigez du poissonnier que les daurades soient impeccablement écaillées. Quelques gros oignons, des branches de fenouil séché (attention, difficile à trouver, essayez sur les marchés, dans les boutiques de diététique), du citron, un vin blanc sec, du beurre, sel et poivre.

Rincez les daurades, salez et poivrez légèrement l’intérieur et garnissez-le de quelques branches de fenouil et de rondelles d’oignon. Au fond du plat, faites un lit de branches de fenouil et de rondelles d’oignon, puis disposez les daurades. Beurrez légèrement leur face supérieure et posez dessus des tranches entières de rondelles d’oignon, sur lesquelles vous ajouterez encore une petite noix de beurre — tout cela, oignon et beurre, pour éviter que ne se dessèche ou ne brûle la partie émergée des daurades. (Protégez éventuellement la tête et la queue, bien beurrées, d’un manchon de papier d’aluminium.) Trempez avec le vin additionné d’un jus de citron en sorte que la face inférieure des daurades baigne d’au moins un à deux doigts dedans. Enfournez à four chaud, à même la sole, pour que le vin réduise plus vite et que le dessus ne brûle pas. Le temps de cuisson dépend essentiellement de la taille des daurades — entre 30 et 45 mn, mais n’hésitez pas à demander conseil au poissonnier.

Charlotte au chocolat et aux écorces d’orange

Pour la garniture de mousse au chocolat : 300 g de chocolat à dessert, 5 œufs, 1 cuillère à dessert de Grand-Marnier, une pincée de sel, la valeur de deux à trois cuillères à soupe d’écorces d’orange confites coupées en tout petits dés ou hachées grossièrement (morceaux d’env. 1 à 2 mm)

Pour la charlotte et sa garniture : biscuits à la cuiller, Grand-Marnier, poudre de cacao amer, morceaux d’écorces d’orange confites pour la déco.

Tapissez le fond et les parois d’un moule à charlotte ou d’un moule de forme ramequin d’environ 20 cm de diamètre avec des biscuits à la cuiller légèrement imbibés de Grand-Marnier allongé d’un peu d’eau (2 parts de Grand-Marnier pour 1 part d’eau). Coupez le cas échéant les biscuits à la taille nécessaire pour s’adapter au moule.

Faites ramollir très lentement le chocolat (débité en carreaux) au bain-marie avec la cuillère de Grand-Marnier. Ne touillez surtout pas le chocolat en train de fondre ! Pendant ce temps, séparez les jaunes des blancs d’œufs. Battez les blancs en neige très ferme avec la pincée de sel. Vérifiez que le chocolat est entièrement ramolli — toujours sans touiller. Retirez alors du bain-marie, ajoutez d’un coup les jaunes et, maintenant seulement, touillez pour les mélanger au chocolat fondu. Incorporez délicatement, sans les écraser, les blancs en neige, puis, à la fin, les petits cubes d’écorces confites. Garnissez le moule tapissé de biscuits jusqu’à un bon tiers de la hauteur disponible, puis disposez une couche de biscuits imbibés comme précédemment et complétez jusqu’à ras bord avec la mousse restante. Terminez par une couche de biscuits imbibés et recouvrez d’un couvercle ou d’une petite assiette de diamètre légèrement inférieur à celui du moule. Pressez légèrement et posez dessus un poids (env. 500 g), puis réfrigérez jusqu’au démoulage (au moins 4-5 heures, et même de préférence depuis la veille). Environ une demi-heure avant de servir, démoulez sur le plat de service muni d’une couronne de papier découpée à la taille du moule. Décorez en tapissant toute la surface de la charlotte, y compris la tranche, en vous aidant d’un couteau, d’une couche de poudre de cacao amer. Disposez sur le dessus un petit décor en écorces d’orange découpées selon votre inspiration, puis retirez la couronne de papier sur laquelle sera tombé l’excédent de poudre de cacao, et nettoyez, d’une pointe de torchon ou de papier humidifié, les bavures probables sur le pourtour du plat.