7 jours bruitistes aux Buttes Chaumont
par Mathias Kusnierz
Le récit d’une semaine de field recordings, et la transcription de ce qu’on entend sur la bande. Ou comment errer, chercher et trouver son chemin au milieu des sons pour s’y égarer à nouveau.
Préambule
La correspondance et le journal de Kafka disent combien sa vie et ses journées étaient strictement réglées, écartelées entre la prison familiale et le désir de solitude. L’exemple malheureux de Franz rappelle que nos vies de lecteurs, d’auditeurs et de regardeurs sont prises dans des structures (ou des rituels) qui les silhouettent. Faire le récit d’une semaine — en l’espèce une semaine d’écoute – (...)
Premier jour au sommet du belvédère des Buttes-Chaumont : lundi
Un souffle continu couvre toute la bande. Une note grave qui ne varie presque pas. Le son semble passer lentement. Je me demande d’où vient cette impression de lenteur à l’intérieur d’un son qui semble égal près d’une heure durant. Quelque chose de l’ordre d’un tempo doit se faire sentir par-dessous les fréquences enregistrées pêle-mêle sur la bande, comme une pulsation indistincte, inaudible mais (...)
Deuxième jour le long du lac et des canaux : mardi
Cette fois il n’y a plus de souffle. Les sons se succèdent sur la bande à grande vitesse. Au premier plan j’entends une rumeur faite d’une multitude de voix, qui se croisent et se chevauchent. Quand une voix distincte émerge de cette mer de paroles, l’ensemble acquiert soudain une profondeur, une épaisseur ; je les situe dans le souvenir de la prise de son. « Ilfécoualeumeussieu » ou « Vapatrolouin » (...)
Troisième jour, en hauteur depuis les branchages d’un arbre : mercredi
J’entends des sons semblables à ceux du deuxième jour. Mais le frou-frou continuel de la pluie légère qui tombe et la pelouse alentours étouffent les voix. Pendant près d’une demi-heure des milliards de petits battements s’enchaînent, dans une respiration inaudible et périodique. Quand la pluie cesse, on n’entendra plus que le son mat de quelque grosses gouttes qui frappent les feuilles de platane à (...)
Quatrième jour, en contrebas du parc, depuis l’ancienne petite ceinture : jeudi
Toujours fidèle à Chris Watson, ou presque, j’opte ce quatrième jour pour un point d’écoute très difficile : les rails de la petite ceinture qui traversent le parc. Y accéder est compliqué : il faut localiser un des points d’accès sur la partie sud de la ligne, à Alésia dans le 14e, près de l’avenue Jean Moulin. Lorsqu’on passe par la villa Brune, toujours déserte, c’est sans risque mais difficilement (...)
Cinquième jour, toujours dans l’ancienne petite ceinture : vendredi
La cinquième journée d’écoute a été imaginée par un de mes amis qui, apprenti cinéaste, s’interroge, lui aussi, sur la pratique du découpage et la question de l’écoute située. Cet ami, musicien, nourrit une passion de longue date pour une toile d’Olle Bonniér, Plingeling. Sur fond blanc, une constellation de particules colorées semble en expansion. Pour ne pas déplaire à Morton Feldman – qui préférait la (...)
Sixième jour, au bord du canal de l’Ourcq : samedi
La sixième journée est encore à l’initiative de cet ami. Notre discussion sur le chant des oiseaux nous a fait évoquer les textes de Max Neuhaus et ses installations sonores. Neuhaus a évoqué la fonction sociale, politique et communautaire du son.
Dans un texte qui a fait date, Notes on Place and Moment, Neuhaus rappelle que la vie des sociétés pré-modernes était rythmée par des signaux sonores dont (...)
Septième jour, dans le métro : dimanche
Lorsque s’est produit le moment d’écoute que je vais raconter à présent, je n’avais rien pour enregistrer. Il n’était d’ailleurs pas 18 heures et j’ai été pris au dépourvu. Mais c’est cette vertu de surprise qui me semble la plus importante ici. Rien n’a été enregistré. Alors que j’étais assis dans une rame de la ligne 7, quelque part au-dessus de Louis Blanc, un son de basse continue, très pur, se fait (...)