un copyright traditionnel

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Dans l’île de Nouvelle-Irlande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dix groupes linguistiques pratiquaient autrefois des rites funéraires s’articulant autour de spectaculaires sculptures polychromes en bois, les malanggan. Statues, mannequins, mâts, frises ou bas-reliefs, ces sculptures hétérogènes étaient conçues comme les effigies anthropomorphes et zoomorphes de diverses entités surnaturelles.

Leurs innombrables types et sous-types nommés donnaient lieu à une forme élaborée de copyright. Seul un individu ayant rituellement reçu le droit de reproduire un sous-type donné pouvait en commander la fabrication de spécimens à un sculpteur. Chaque sous-type était contrôlé par un clan ou lignage et le droit de le reproduire se transmettait de génération en génération au sein de ce groupe ainsi qu’entre membres de clans unis par des intermariages./

Éphémères, les sculptures malanggan, dont la confection nécessitait de longs mois de travail, étaient rituellement détruites ou mises au rebut après une brève exposition publique qui n’excédait pas trois jours. Les collections mondiales comptent pourtant des milliers de malanggan dont la plupart furent collectés avant leur disparition programmée. Aujourd’hui encore, dans les rares régions où la pratique de ces cérémonies n’a pas totalement disparu, les sculpteurs se refusent généralement à fabriquer des pièces en dehors d’un contexte rituel. On peut même penser que la perspective de vendre les sculptures au terme des rites a partie liée avec la réactivation ou le maintien très localisé de ceux-ci.

Grâce à certains témoignages, on sait qu’au tout début du XXe siècle, époque où la colonisation allemande de l’île battait son plein, certains sculpteurs fabriquaient des sculptures à des fins purement commerciales. Il avaient trouvé une solution pour ne porter atteinte ni à la sacralité des malanggan, associée à la célébration des morts, ni au système de copyright qui interdisait à quiconque de faire fabriquer une sculpture s’il ne détenait le droit correspondant. Ils inventaient des formes nouvelles, rivalisant d’excentricité et laissant d’autant plus libre cours à leur imagination que les Européens montraient une prédilection pour les pièces bizarres. L’ironie de l’histoire veut que de tels objets, difficilement identifiables dans les collections (même si des soupçons pèsent sur certaines pièces uniques et insolites), passent de nos jours pour « authentiques » et revêtent sur le marché de l’art une valeur proportionnelle à leur ancienneté et à leur extravagance.

Post-scriptum

Brigitte Derlon est directrice ajointe du Laboratoire d’Anthropologie Sociale (Collège de France / CNRS).