Vacarme 53 / Cahier

préhistoires 1

Exemples des maladies faites par imaginations fantastiques

par

Ce chapitre de l’Introduction ou entrée pour parvenir à la vraie connaissance de la chirurgie, qui ouvre les Œuvres d’Ambroise Paré [1575], apparaît pour la première fois dans la quatrième édition du texte, en 1585. Où l’on voit que le chirurgien qui a fait de la médecine un art de la pratique et non du savoir livresque n’ignore rien des vertus thérapeutiques de la fiction.

Il s’est vu un qui pensait être un vaisseau de terre cuite, et pour cette occasion se reculait et retirait des passants, de peur d’être cassé. Un autre oyant chanter les coqs, et comme ils se battent des ailes en chantant, ainsi avec ses bras il frappait ses côtés, et coqueliquait comme les coqs. […]

Autre. Un autre pensait être mort, et pour cette cause craignait toute sorte de viandes et n’en voulait point, disant que les morts ne mangent point. À la parfin, par un bon conseil et avis, on feignit un corps mort être assis à table, à l’exemple duquel il mangea.

Autre. Un autre pensait n’avoir point de tête, auquel Philotimus fit faire un bonnet de plomb, afin qu’étant grevé de la pesanteur du plomb, il connut et sentit qu’il avait une tête. Le même auteur au même chapitre dit, que les uns pensent avoir la tête pleine et pesante, les autres légère et vide, les autre sèche. […]

Autre. Depuis naguères, un Gentilhomme d’honneur amena sa femme en cette ville, pour avoir conseil de Messieurs le Grand, Duret et moi, pour savoir la cause qu’elle pleurait et riait sans occasion, et ne s’en pouvait garder. On lui fit plusieurs remèdes, mais ils lui servirent peu : enfin s’en retourna comme elle était venue.

Autre. Une Dame de notre Cour disait être empoisonnée par du vif-argent, de façon qu’il lui semblait le sentir courir par les membres. Elle appela plusieurs doctes Médecins, pour lui donner remède à cette poison : qui ne lui surent ôter cette fantaisie. Enfin conclurent, que pour lui ôter cette opinion, on la baignerait et qu’on mettrait certaines herbes au bain, qui attireraient le vif-argent, s’il y en avait en son corps. On jeta dedans le bain trois ou quatre onces de vif-argent : et ladite Dame étant hors, on le trouva au fond de la cuve, qui lui fut montrée. Alors fut bien joyeuse et crut être guérie : et depuis perdit cette fausse opinion, estimant pour certain qu’on lui avait attiré le vif-argent par le moyen du bain.

Autre. Le Curé de Montlhéry prit opinion d’être empoisonné. Il vint, en cette ville, appela messieurs Holier et Sylvius, médecins célèbres, et moi : se plaignant sentir grandes douleurs par tous les membres, nous affirmant qu’il savait être empoisonné. Après l’avoir bien examiné, il se retira à part : où nous conclûmes (le voyant avoir cette fausse opinion, et que jà aussi il avait appelé autres Médecins, qui lui avaient fait plusieurs choses qui ne lui avaient rien profité) qu’on lui baillerait du sirop violat, et qu’il en prit trois cuillérées deux heures devant manger par l’espace de neuf jours, et que pour certain il guérirait : alors fut fort réjoui, et voulut avoir notre ordonnance par écrit, ce qui lui fut refusé. Car où il l’eût eu, cela ne lui eût aucunement profité. L’apothicaire lui donna ledit sirop en une fiole, pensant être une excellente drogue pour lui ôter sa poison. Et tout ainsi qu’il prit opinion avoir été empoisonné, aussi fit-il d’être dés-empoisonné par ledit sirop. Un mois après il retourna vers nous, pour nous rendre grâces du bénéfice qu’il avait reçu par notre moyen : et était gaillard et bien joyeux, ne sentant plus de douleurs, et nous fit part à chacun d’un lièvre.

Autre. Un autre disait qu’il avait des grenouilles dans le ventre, et était impossible de lui pouvoir ôter cette opinion. Enfin il y eut un Médecin qui lui promit lui faire jeter, par le moyen d’un clystère, lesdites grenouilles hors de son ventre. Ayant pris le clystère, ainsi qu’il le rendait, par derrière de sa chaise percée il fit couler cinq ou six petites grenouilles, lesquelles n’ayant accoutumé vivre en tels marais, commencèrent à sauteller par la place. Le malade par opinion fut bien joyeux de voir lesdites grenouilles, et perdit cette folle fantaisie.

Autre. Un Gentilhomme de bonne part avait opinion avoir la cervelle pourrie. Il s’en alla prier le Roi, qu’il lui plût commander à monsieur le Grand, Médecin, à monsieur Pigray, Chirurgien ordinaire du Roi, et à moi, de lui couper la tête et ôter son cerveau, disant être pourri, et lui en remettre d’autre : nous lui fîmes beaucoup de choses, mais il nous fut impossible lui raccoutrer sa cervelle.