Vacarme 56 / Zibaldone !

Barricades 1832/2010

Acte d’accusation et mise en jugement par la cour d’assises de la Seine de 23 individus prévenus de s’être insurgés aux barricades St-Méry ; noms des accusés.

(Les actes d’autorités constitués sont exemptés du timbre.)

« Le 5 juin [1832], entre six et sept heures du soir, une barricade fut construite dans la rue St-Martin, au coin de la rue Aubry-le-boucher, à l’aide du renversement d’une voiture destinée au transport des farines et de l’enlèvement des échafaudages et de la clôture en planches d’une maison en construction. Jeanne et Rossignol furent remarqués comme les premiers et les plus actifs constructeurs de cette barricade qui fit de ce point le théâtre le plus meurtrier de la révolte. Vers 8 heures, les insurgés arrêtèrent une patrouille de garde nationale au devant de laquelle Rossignol se présenta. L’officier qui la commandait ne répondit qu’en tirant son épée aux propositions que celui-ci lui fit de passer dans les rangs des insurgés. Aussitôt des coups de feu furent tirés de la barricade sur cette patrouille trop faible pour soutenir un engagement.

« Les insurgés sentant la nécessité de se procurer des armes, forcèrent l’entrée de la maison située rue St-Martin n° 3 et habitée par M. Blanc, chef de bataillon de la garde nationale, qui avait dans son appartement des fusils, des sabres et des pistolets. Toutes les armes qu’on n’avait pas eu le temps de cacher furent pillées. Les appartements placés au-dessus de celui de M. Blanc et donnant sur la rue furent envahis, remplis de pavés, et les effets précieux des locataires enlevés. Un feu continuel fut dirigé des fenêtres sur les troupes qui se présentaient devant la barricade. Dans la cour, on fit des balles de plomb des gouttières.

« Jeanne, Leclerc, Jouanne. Rossignol. Goujon et Rojon, furent vus tirant des coups de fusil sur les troupes. Rossignol est propriétaire, conjointement avec Fournier, d’un café établi rue St-Martin, n° 65. C’est du 2 juin que date l’ouverture de ce café dans lequel la fille Alexandre est dame de comptoir.

« Les intelligences des propriétaires et employés de cet établissement avec les insurgés dans la journée du 6 juin ont été remarquées par tous les habitants du quartier. On a vu Fournier et la fille Alexandre faire des signaux du balcon de leur café aux insurgés placés derrière la barricade ou dans les allées des maisons voisines, pour leur indiquer l’arrivée ou le départ des troupes, et les moments favorables pour tirer. La porte de la maison où est le café resta ouverte sur l’injonction de Fournier ; des provisions de bouche, des munitions, furent portées du café aux révoltés, et lors de la perquisition qui y fut faite on saisit une casserolle ayant servi à fondre du plomb pour des balles. La chute de chaque soldat était suivie d’applaudissements partant du café.

« Lorsque les troupes se rendirent maître des barricades et de l’église Saint-Méry, beaucoup de révoltés se sauvèrent dans les maisons environnantes. On y fit des perquisitions. On constata qu’à l’aide d’un trou à la toiture des insurgés s’étaient sauvés de la maison rue St Martin, n° 30. On arrêta dans la rue St-Méry, au n° 48, Métiger, Fradelle, Coiffu, Bonley, Renouf, Couilleau, Dumineray, Falcy, Maris et Vigourous.

« Flacy était encore porteur d’un fusil qu’il fallut lui arracher. Dumineray avait les mains et la bouche noircies de poudre. Fradelle avoua avoir tiré un coup de fusil.

« Vigoureux fut trouvé sous un lit avec un fusil. On l’avait entendu dire pendant le combat : Si nous avons le dessous, je suis perdu.

« Les habitans du quartier reconnurent tous les individus saisis rue St-Méry, n° 48, pour avoir fait partie de ceux qui s’étaient emparés de vive force des lieux où on avait fait feu sur la troupe et signalèrent Dumineray comme celui qui paraissait commander.

« Mutette fut arrêté dans la maison du passage Jaback ; il avait les mains et la figure noircies par la poudre. On trouva encore sur lui de la poudre avec laquelle il avoua qu’il avait fait des cartouches. Fourcade se réfugia dans une maison de ce passage et y laissa un fusil marqué sur la banderolle au nom de Parmentier. On sut que Fourcade avait sommé avec viollence son propriétaire de lui livrer ce fusil. Grimbert fut reconnu pour avoir enlevé de force un fusil à monsieur Potite. D’autres habitans du quartier furent également obligés de céder leurs armes aux insurgés. Gentillon fut remarqué armé d’un fusil et faisant faction près d’une barricade entre les rues Maubuée et Simon-le-Franc. Le soir, il voulut rentrer chez son logeur qui refusa de le recevoir. On saisit un sabre dans la paillasse du lit où il couchait dans son garni.

« Morel de Rubempré, au moment du rassemblement tumultueux qui précéda la barricade dit dans un café voisin qu’on était à l’aurore d’un beau jour. Il promena dans la rue un drapeau tricolore garni de crêpe et cria Vive la république.

Paris, chez Adophe R…, rue de Grenelle-Honoré, 29.

Post-scriptum

Photographies : Natacha Fleury, automne 2010.