Les chiffres des drogues
Pierre Kopp et Philippe Fenoglio estiment dans « Le coût social des drogues illicites en France » (OFDT, étude n°22, 2000) la consommation des drogues illicites et sa structure en France pour en déduire un montant de consommation : 671,6 millions d’euros 2000 pour le cannabis, 0,7 milliard d’euros pour l’héroïne et entre 0,457 et 1,52 milliards d’euros pour la cocaïne soit entre 2,13 et 3,81 milliards d’euros au total.
Ensuite, on peut aller plus loin en estimant le coût social des drogues illicites. Il s’agit d’évaluer les dépenses de santé imputables à la consommation de drogues ; pour P. Kopp et P. Fenoglio, elles représentaient en 2000 232,41 millions d’euros, au minimum (car n’ont été retenues que les dépenses avérées et repérables comme telles ; par exemple, le coût hospitalier des traitements des consommateurs de drogues atteints par le VIH). Puis les coûts des administrations publiques en termes de services judiciaires, d’administration pénitentiaire, de dépenses de la douane pour la lutte contre le trafic de stupéfiants, de gendarmerie nationale, de police nationale, du ministère des Affaires sociales, de la santé et de la ville, du ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, du ministère de la Jeunesse et des sports, du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la coopération et de contribution au budget européen. Ainsi, le montant du coût pour toutes ces administrations publiques de l’interdiction des drogues est évalué à 740,15 millions d’euros (en ajoutant les dépenses propres aux crédits interministériels).
À partir de là, il faut aussi évaluer les « pertes de revenus et de production imputables » aux drogues illicites : 51,59 et 929,81 millions d’euros auxquels s’ajoutent les pertes de prélèvements obligatoires de 132,6 millions. Au total, un coût social des drogues illicites de 2035,24 millions d’euros (en intégrant les amendes, frais d’avocats des personnes privées condamnées pour usage ou trafic de stupéfiants). À titre de comparaison, la même méthodologie aboutit à un coût social total 8,64 fois plus élevé pour l’alcool selon les auteurs.
Une actualisation couplée à une révision de ce travail en 2006 aboutit à une évaluation de 2824,44 millions d’euros de coût social pour les drogues illicites, soit 0,18% du PIB (contre 0,16% dans l’étude de 2000), mais on retrouve un écart très net avec le coût de l’alcool qui leur est 13,11 fois supérieur. Quant au tabac, il coûterait selon ces chercheurs, 16,9 fois plus.
À l’aune de ces études, deux constats s’imposent : d’une part, les drogues illicites représentent un coût social important mais d’une échelle bien plus faible que celui des deux principales drogues légales, l’alcool et le tabac. Cet écart notable (échelle entre 8 et 17) tient d’abord à l’usage massif de ces dernières, contrairement aux drogues illicites. Ainsi, selon le Bulletin de l’OFDT de juin 2011, on comptait en France en 2010 parmi les adultes, respectivement 500 000, 1,1 million et 1,5 million d’expérimentateurs d’héroïne, d’ecstasy et de cocaïne contre 5 millions d’usagers d’alcool et 13,4 millions de fumeurs, qu’ils soient occasionnels ou réguliers. Seul le cannabis rassemble des foules semblables puisqu’on estime que 13,4 millions d’adultes en ont consommé en 2010. Est-ce à dire que les drogues, parce qu’elles sont légales, sont plus communément consommées ? On peut penser que la réponse est presque imparable : forcément. Mais nous verrons plus loin que le véritable enjeu n’est peut-être pas tant l’usage que sa forme et sa fréquence. D’autre part, ces études mettent en lumière le coût social des drogues non seulement en terme de pertes (de revenus, de production) mais aussi de coûts supportés par la collectivité pour mener à bien (ou plutôt à mal) la lutte contre l’usage et le trafic de stupéfiants. De ce point de vue, on peut être tenté de chercher à réduire de tels coûts en légalisant.
D’ailleurs, dans son étude de février 2011, P. Kopp propose de comptabiliser non seulement le coût économique mais aussi le bénéfice en terme de bien-être des drogues. Il soutient alors que le solde est négatif pour toutes les drogues — elles représentent toutes une perte de bien-être — mais qu’il l’est environ 14 fois plus pour le tabac que pour les drogues illicites. En outre, l’impact négatif de celles-ci tient pour l’essentiel à l’usage dit « problématique » de l’héroïne et de la cocaïne. Autrement dit, un usage occasionnel ou peu intensif des drogues illicites ne nuit guère au bien-être collectif tel qu’il est évalué économiquement dans cette étude. Là encore, on peut interpréter ce résultat de manière ambivalente : soit on considère que c’est justement parce qu’elles sont illicites que les drogues ne nuisent pas trop au bien-être dès lors que l’interdiction limite leur usage, auquel cas, la légalisation serait une erreur ; soit on considère que le premier enseignement de ces évaluations est de montrer que l’enjeu est moins ce qui est consommé, que ses usages : le problème alors serait de penser une légalisation assortie de manière irrévocable d’un travail de prévention et d’information pour dissuader les usages dits « problématiques ».