abandonnés à une même solitude
par Nouri Jarrah & Nizar Qabbani
Avec un journal
Il a sorti le journalDu revers de son manteauAinsi qu’une boîte d’allumettesAvec la plus grande indifférenceEt sans remarquer mon troubleIl a pris le sucre qui était devant moiIl a fait fondre deux morceaux de sucre dans la tasseEt j’ai fondu en même temps que le sucreQuelques instants plus tardSans me voirEt sans savoir que le désir me brûlaitIl a repris son manteauIl s’est perdu dans la fouleEn laissant derrière lui le journalEt moiAbandonnés à une même solitude
Nizar Qabbani, Poèmes, 1970
Un désert entre deux villes
Les fragments du soleil sont sources d’une vision éternelleTa vie incomplèteSe promèneÀ l’ombre des souksAttirée par le bruit du métal sur le basaltePar les éclats crépusculairesPar l’apparition des êtres chersDétachés de l’odeur du tissuEt par l’allure de la lumière dans les verres de vin
Mais puisque le jour est bien plus long que notre patiencePuisque les mots sont des mirages miroitantsL’échine se courbePlus d’indicationDans ce territoire de la perplexitéUne petite flèche imprévisibleÀ secoué le lieuD’un fou rire celui du carnage.
Nouri Jarrah, Le chemin de Damas et Le jardin persan, anthologie.
Post-scriptum
Le poète syrien Nizar Qabbani est né à Damas en 1923, et décédé à Londres en 1998. Il est considéré comme l’un des plus grands poètes de langue arabe du XXe siècle. Sa poésie, d’inspiration amoureuse, entremêle des éléments du quotidien à une critique sociale et politique du monde arabe. « Avec un journal » a été écrit en 1970.
Le poète syrien Nouri Jarrah est né en 1956 à Damas. Journaliste, tôt engagé dans les mouvements de contestation de 2011, il est aujourd’hui considéré comme l’une des voix politiques et poétiques les plus précieuses de notre temps. Sa langue, d’une modernité singulière, décrit les chocs nés de la beauté et de la violence. « Un désert entre deux villes » a été écrit en 2004.