Vacarme 85 / Cahier

Comptabilité internationale

Selon les statistiques de la méga plate-forme Pornhub, le porno hard arrive au 33e rang des catégories préférées des utilisateurs (sur quatre-vingt-dix), juste avant « sexe à la dure ». Au premier rang, on trouve « sexe avec personnalités politiques ». Au deuxième rang, « sexe dans les herbes ». Au troisième rang, « sexe à la gélatine ».

Dura lex, sed lex

Un sexagénaire italien est tombé dans l’œuvre d’Anish Kapoor Descent Into Limbo, un trou noir de 2,5 mètres de profondeur exposé dans un musée de Porto. Un porte-parole de l’institution a fait savoir que l’homme était « hors de danger et prêt à rentrer chez lui ».
« Que puis-je dire ? C’est fâcheux », a déclaré Kapoor en réaction à l’incident. Le musée a fait savoir que les visiteurs devaient signer une clause de non-responsabilité en cas d’accident avant de visiter l’installation. En outre, des panneaux d’avertissements étaient disposés à l’intérieur du cube, constamment surveillé par un agent de sécurité.
L’homme de son côté n’explique pas son geste : « Je ne sais pas, j’étais au bord de l’abîme… et pourtant j’avais vu le panneau, j’avais signé la décharge… mais je n’ai pas pu résister. »

Souriez, ça pourrait être pire

  1. Les bacheliers non-inscrits à l’université pourraient être plus nombreux : développez.
  2. Les programmes télés pourraient être bien plus désolants, imaginez une multiplication des séries made in France.
  3. Votre voisine pourrait détester non seulement Rachid mais aussi Octavio.
  4. Le musée de Rio de Janeiro a brûlé mais pas le musée du Louvre.
  5. La bêtise gagne du terrain à l’université mais l’intelligence artificielle nous sauvera.

ad. lib.

Dans les réserves de l’écomusée

Poussant le rayonnage avec une certaine difficulté. 
— Et ici, notre collection de bouillottes ! Grâce à un généreux donateur.
— Quelle variété de bouillottes !
— (grave) Oui. En étain, en acier galvanisé, en grès également… en caoutchouc bien entendu. 
— (gourmand) Et… je ne sais pas si j’ose… mais enfin, on me dit que vous auriez également une reproduction miniature de la basilique de Lisieux en saindoux.
— (raclement de gorge gêné) Eh bien… à dire la vérité, il s’agit de l’hôtel de ville de Charleville-Mézières, mais enfin oui, il est en saindoux.

Le 12 août 2018, Berlin

Finale du concours de saut à la perche pour les hommes aux championnats d’Europe. Renaud Lavillenie, actuel détenteur du record du monde (6,16 mètres en salle soit à peu près l’équivalent du 2e étage d’un immeuble), arrive plutôt en forme. Mais, depuis janvier, un jeune homme de 18 ans au nom si romanesque d’Armand Duplantis est en pleine éclosion. Il y a aussi Timor Morgunov, guère plus âgé — 21 ans. Lavillenie, du haut de ses 31 ans, fait donc figure de dinosaure. Le spectacle est ahurissant. Armand Duplantis fait preuve d’une facilité déconcertante : il passe toutes ses barres au premier essai. Morgunov n’est pas en reste non plus mais cale à 6 m. Pas Duplantis qui avale 6 m 05. Personne n’y comprend rien. Il a gagné. Et il s’arrête… A-t-il peur de s’envoler ? Ou alors se réserve-t-il pour les meetings où les récompenses sont plus grasses ? L’histoire nous le dira, mais il va devoir faire maintenant avec la mémoire de ce concours. Vieillir à la perche, c’est conjurer la peur.

Le 25 septembre 1940

Le 25 septembre 1940, trois réfugiés juifs passent par la montagne depuis Banyuls dans les Pyrénées-Orientales, le 14 septembre 2018, je pars de Perpignan, à Portbou, en Espagne ils marchent sur la route par laquelle un an auparavant d’autres réfugiés espagnols fuyant le franquisme ont marché, j’ai pris le train. En arrivant à Portbou, les trois réfugiés juifs apprennent qu’ils risquent d’être renvoyés en France, le 14 septembre 2018, peu avant l’arrivée du train à Portbou, juste avant la frontière, mais il n’y a plus de frontière, des hommes en uniforme entrent dans le train, je tends machinalement mon billet de train, ils sont armés, « police des frontières », mais il n’y a plus de frontière, dans la nuit du 25 septembre au 26 septembre 1940, un des réfugiés juifs Walter Benjamin met fin à ses jours à Portbou pour ne pas repasser la frontière dans l’autre sens, le 14 septembre 2018, je tends une carte d’identité à la police des frontières, la carte d’identité est périmée mais ils ne s’en aperçoivent pas, ce n’est pas moi qui les intéresse, ils cherchent des réfugiés.

Opération policière à la gare de Sevran-Beaudottes

Rétablir l’ordre : à terre, le maïs non homologué, les brochettes clandestines, crues ou cuites, parquées dans le sac poubelle. Les caddies, privés de charbon, seront embarqués. Tout est sous contrôle : les barbecues sont démantelés, leurs éléments décomposés, triés et classés. La gare, libre de toute fumée, peut trahir ses commerces obscurs aux regards policiers.
Que les partisans du brouillard se rassurent : par les rues adjacentes, celles et ceux qui font la nuit de charbon, reviennent à petit pas, troublant déjà l’atmosphère purifiée qui nous maintient séparé·es.

Le jeudi 13 septembre, Paris, local de l’association Kolone

Un candidat soudanais planche sur son test de positionnement. Au dernier exercice (« Présentez-vous en français »), il raconte sa vie en quelques lignes : à son arrivée à Paris, mars 2016, il passe trois mois dans la rue, il écrit : « les plus beaux jours de ma vie ! ». On s’étonne, il répond en rigolant : on était bien, ensemble, tranquille… Après le Darfour, la Libye, les trottoirs parisiens c’est la paix et la liberté, une certaine douceur de vivre. Douce France, tiendras-tu tes promesses ?

Lu sur une affiche dans le métro à New York

« Sustainable happiness.
Jobs come and go, physical beauty fades, markets rise and fall. Even close relationships can end. But the benefits of philosophy last a lifetime.
This course, Philosophy Works, offers time-tested principles that lead to freedom and sustainable happiness. Discover how wisdom brings real satisfaction, gain tools for living life more consciously, and fully develop the power of attention to realize your potential. »

Déni de justice : les discriminations en raison du handicap coûtent cher au plaignant

Kevin Fermine, un étudiant en droit toulousain en fauteuil roulant, a été débouté le 16 août 2018 par le tribunal de grande instance de Toulouse, dans le cadre des poursuites qu’il avait engagées contre la SNCF. L’impossibilité d’accéder aux toilettes et au wagon-bar n’ont pas été jugées passibles de sanction, après que la mise à sac sous la présidence Hollande en 2015 des acquis de la loi du 11 février 2005 sur la mise en accessibilité de lieux et des transports publics a encore rallongé les délais de mise aux normes des transports publics aux usagers en situation de handicap. La justice entérine ainsi les discriminations systémiques, en faisant passer les intérêts des institutions et des entreprises devant les humiliations, obstacles, empêchements quotidiens des personnes en situation de handicap. Surtout ne pas créer de jurisprudence, tant d’autres pourraient s’y engouffrer…. Ce que cela coûte à la SNCF ? De la mauvaise publicité, ce qui n’est déjà pas si mal. Ce que cela coûte au plaignant ? Le remboursement des frais judiciaires de la SNCF, une mesure obscène, qui en dit long sur l’état du rapport de force et sur la volonté de dissuader les velléités judiciaires de tous ceux qui expérimentent au quotidien toutes les lâchetés et reculades politiques.

Guten Tag Deutschland

Printemps 2018, deux Afghans arrivent dans les bureaux de l’association Kolone. Les échanges se font en allemand. Ah, encore des gens qui se sont fait virer par l’Allemagne ! Combien de temps ont-ils vécu là-bas ? Mais pas du tout, ils n’y ont jamais mis les pieds, ils ont étudié l’allemand pendant plus d’un an à Kaboul, pour bien préparer leur départ vers l’Europe. Le temps d’arriver ici, le Willkommen de Mutti Merkel avait tourné court, les portes de l’Allemagne s’étaient fermées, bienvenue aux cours de français.

Une journée ordinaire, Paris, vendredi 7 septembre 2018

Un écrivain médiocre mais méritant se lève peu avant 9 h du matin. Depuis déjà deux heures, son compagnon est parti travailler. Il prend sa douche, se fait un café, avale deux tartines puis regarde rêveusement les plantes de son balcon avec une seule idée en tête : finir ce foutu chapitre 3 qui traîne depuis des semaines. 10h : fini de rêver, il est temps de s’y mettre ; 11 h : pas une ligne écrite, il lit des vieux Libé ; 12 h : écouter l’émission La Grande Table sur France Culture, on ne sait jamais, ça donnera peut-être un peu d’élan ; 13 h : sans élan, autant aller manger une salade au café d’en face ; 14 h : retour devant l’écran - rien ; 15 h : mourir, dormir, dormir ! rêver peut-être ; 16 h : lecture des mails, ne répondre à aucun ; 17 h ; faire quelques courses, ça peut toujours servir ; 18 h : heure où les lions vont boire, l’appel du whisky a sonné ; 19 h : vague envie d’appeler sa mère, mais il préfère se servir un nouveau verre. 20 h : son mari rentre du travail. - « Bonne journée mon petit chat ? ». - « Pas mal, pas mal, une bonne rentrée, je crois que j’ai retrouvé le rythme ».

Une journée extraordinaire, Berlin et Talence, dimanche 16 septembre 2018

Kevin Mayer bat le record du monde du décathlon. Il avait fait un zéro pointé lors des championnats d’Europe à Berlin en août. Cette fois-ci tout a basculé au cours de l’épreuve de disque. Aujourd’hui, l’Antiquité a recommencé et notre monde est redevenu grec. La preuve, le matin même, Eliud Kipchoge a pulvérisé le record du monde du marathon. Pulvérisé c’est-à-dire qu’il a battu de plus d’une minute le record en vigueur et qu’il a parcouru la distance de 42,195 kilomètres en 2 heures 1 minute 39 secondes. Bref, la barre des 2 heures n’est plus loin. Cela signifie aussi qu’il a foulé cette distance à l’allure moyenne de 20,81 km/h, ou encore que chaque kilomètre a été englouti en 2 minutes 52 secondes. Circulez, il n’y a rien à voir ? Opportunément Kipchoge nous rappelle l’exceptionnelle puissance locomotive de l’espèce humaine. Rien d’étonnant donc que les hommes, éliminant tout sur leur passage, aient peuplé toute la surface de la terre, et qu’il n’y ait plus qu’un seul Homo. Un peu plus de lenteur aurait sans doute eu un autre effet.