la ronde le projet du Grand Paris Express sur la gare de Clamart
par Olivia Rosenthal
Itinéraire prévu : entre 45 et 50 minutes
Départ à la gare de Clamart, avenue Jean-Jaurès. Avenue Jean-Jaurès. Rue de Fleury. À droite, franchissement des voies par le pont Calmette. Puis à droite, rue du Chemin-Vert. Rue du Clos Montholon. Au bout à droite, rue Larmeroux. Tout de suite à droite, prendre la rue de l’Avenir. Au bout de cette rue, à gauche, prendre la rue de Châtillon. Puis à droite, la rue du Docteur Georges-Lafosse. À gauche, Villa Eugénie-Drouet. Au bout à gauche, rue Clémenceau. Puis à droite, rue Aristide-Briand. À droite, rue Diderot. À gauche, Villa d’Arcueil. À droite, passer au-dessus des voies par la rue René-Coche. Revenir au point de départ en longeant les voies de l’autre côté, par la rue Paul-Vaillant-Couturier, la Villa Cacheux, l’allée Hoche, le boulevard Stalingrad, le boulevard des frères Vigouroux. Remonter à droite la rue Hébert pour retrouver l’avenue Jean-Jaurès et la gare de Clamart.
Raccourci possible : passer les voies rue Diderot. De l’autre côté, prendre la Villa Hoche sur la droite. Et retrouver le boulevard Stalingrad, le boulevard des frères Vigouroux. Remonter à droite la rue Hébert pour retrouver l’avenue Jean-Jaurès et la gare de Clamart.
La terre
C’est intéressant la terre des périphéries, la terre remuée, la terre à vif, la terre qui sort et qui apparaît alors qu’elle est d’habitude sous les pieds, cette terre là est faite, est-elle faite, cette terre là devrait contenir, contient-elle, cette terre, s’il y a encore de la terre, y a-t-il encore de la terre, on ne sait pas s’il y a encore de la terre ou si tout, tout a été tellement excavé, tellement bouleversé et soulevé et travaillé, tout a été remplacé, on a nettoyé la terre de ses fossiles, éclats, silex, poussières, petites jarres, foyers, pièces à conviction multimillénaires qui empoisonnent la construction de notre avenir, on les a chassés du sol avec les lombrics et collemboles, nématodes, rotifères et tardigrades qui fourmillaient autrefois à même la surface, à raison de 260 millions par m2 et maintenant qu’on a bitumé les sols, qu’on les a aplanis et réagrégés, de quoi sont faits les soubassements, comment tiennent nos fondations, sur quoi nous appuyons-nous si aucun être vivant, pas même la cellule, pas même le protozoaire, pas même la bactérie, ne peuvent trouver de quoi se nourrir, que reste-t-il dans la terre s’il n’y a pas de terre ?
Des dates / 1
Plusieurs dates ont été fixéesdans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Expressdes dates non modifiablesnon négociablescomme si on pouvait connaître à l’avanceles moments phares de notre avenir.L’histoire en marche serait en grande partie écriteavant même qu’on n’ait eu le temps de la vivre.
PMR (Personnes à mobilité réduite)
Le chef de chantier m’a montré l’entrée du tunnelqui jusqu’au mois de mars dernier permettait de traverser la gare de Clamartet de rejoindre Vanves et Issy-les Moulineaux.Le chef de chantier a précisé que ce passagequi permettait aux petites dames avec leurs caddies de faire leurs courses au marchéserait mis aux normes PMRet je me suis demandé si les normes en questionexigeaient que ce soit toujours des dames petites et âgéesqui dans les banlieues parisiennes comme dans les villes moyennespoussent les caddies pour faire les courses.Quand les normes PMR et autres changeront-elles ?Et tout en mastiquant cette question lancinantej’ai continué à marcher en compagnie du chef de chantieren essayant de calculer le nombre d’années qu’il faudraitpour que des travaux de grande envergurefinissent par bouleverser de fond en comble nos manières de penser.
Des dates / 2
Plusieurs dates ont été fixéesdans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Expressdes dates non modifiablesnon négociablesmais des dates éphémèresqu’on oubliera sans doute dans le futurcomme on a oublié les dates des fusillades entre les versaillais et les communardssur les forts tout proches de Vanves et d’Issy.
Le Clos-Montholon
Entre Clamart, Issy-les-Moulineaux et Vanvesla rue du Clos-Montholon est nulle part.Jadis les bouchers de la villevenaient y faire paître les troupeauxavant de les mener à l’abattoirLa rue du Clos-Montholon est nulle part.Elle a donné son nomà un quartier de Malakoffsitué à distance de son tracéde l’autre côté des voiesentrelacs de rues étroitesbalisées en sentiers de petite randonnéeLa rue du Clos-Montholon est nulle part.On y accède par un souterraincondamné provisoirementpour cause de travaux d’utilité publiqueLa rue du Clos-Montholon est nulle part.Le nom ancien de cette artèrele sentier des Nouzeauxa été repris pour baptiser une petite voie sinueuseprise entre deux bâtiments sociauxdans la commune limitrophe de Malakoffet dans cette migrationquelque chose de sa fonction de son relief et de sa pulsations’est effacéLa rue du Clos-Montholon est nulle part.Bientôt on la fermera à la circulationpour aménager les installations de chantierqui préfigureront la construction de la nouvelle gareLa rue du Clos-Montholon est nulle part.Je suis née près d’un square du même nomaux alentours de la rue Pierre-Sémardelle aussi surmontée d’un pont suspendudont la vocation était pérenneà la différence de celui qui en 2017surplombera provisoirement les rails SNCFLa rue du Clos-Montholon est nulle part.Elle deviendra un accès privilégiéà l’une des 68 gares du Grand Paris Expressavec sa verrière de sept mètres de hautet ses tunnels en béton arméaccélérateurs de liens, d’échanges et de flux en tous genresentre Issy-les-Moulineaux, Malakoff, Vanves et Clamart.Mais en attendant cette ère interconnectéeLa rue du Clos-Montholon est nulle part.
Toutes les femmes
Grâce à l’électionau bureau exécutif du Grand Parisde 24 conseillers contre 4 conseillèresla plupart des femmes peuvent prendre leur caddie pour aller faire leurs courses au marchéce serait dommage de priver les hommesdes qualités spécifiques qu’ils ont acquisesà force de garder leur siège.Dans les nouveaux établissements publics territoriauxprésidés par 104 hommes contre 13 femmesil suffirait d’un petit effort supplémentairepour venir à bout des 13 réfractairesqui n’ont pas le temps de prendre leur caddie pour aller faire les courses au marché.Pourtant, une gestion paritaire des villes et des foyersencouragerait la rénovation des souterrainsqui, placés sous les gares,pourraient être empruntés à égalité par des hommes et des femmesprêts ensemble ou alternativement à aller faire leurs courses au marché.
Les noms de ville
La communauté d’agglomération Sud de Seine vient d’être dissouteau profit de la Métropole du Grand Paris.Les limites administratives changentmais les noms restent.Le fort de Montrouge est à Arcueille fort de Vanves est à Malakoffet le fort d’Issy est à Issy.Une des dernières villes rouges du 92et la seule ville conduite par une femmesur les quatre composant les quartiers de la garen’a pas encore eu droit au chapitreFort d’Issy-Vanves-Clamart (FIVC)est le nom provisoire qui apparaît sur tous les documentsil symbolise des pouvoirscontre lesquels il faut se battre.Le fort de Montrouge est à Arcueille fort de Vanves est à Malakoffet le fort d’Issy est à Issy.On attend que le comité de pilotagele syndicat des transports d’Île-de-Francela Société du Grand Pariset d’autres instances avec acronymesproposent enfin des appellationsqui représentent toutes les forces en présenceon doit garder à l’espritque les trois mousquetaires sont quatre.Le fort de Montrouge est à Arcueille fort de Vanves est à Malakoffet le fort d’Issy est à Issy.
Des dates / 3
Plusieurs dates ont été fixéesdans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Expressdes dates non modifiablesnon négociablesdes dates qu’on retiendra peut-être dans le futurcomme on a retenu (mais mal) les dates des fusillades entre les versaillais et les communardssur les forts tout proches de Vanves et d’Issy.
Le talus / 1
Il y a deux sortes de talus, des talus géologiques et des talus historiques, les innés et les acquis, ils proviennent, d’où proviennent les talus ? quelles actions sont à l’origine de leur érection, comment se forment-ils, qui les fait, le vent, la pluie, le ruissellement des eaux, ou les pioches et les pelles qui creusent, ouvrent et remuent la terre ? Il y a deux sortes de talus.
Le talus / 2
La plupart du tempsles talusla plupart du tempsles talus longent les routes, les voies ferrées et les boulevardsla plupart du tempsils suivent des allées dessinées, empruntées et entretenuesils accrochent l’œil des passants qui regardent défiler les manifestantsde la place de la République à la Bastille.Ce sont des talus de proximité, des talus aménagés aux abords immédiats d’anciennes tranchéesafin d’éviter le transport des matériaux qu’on extrait du sol pour faire du vide avec du pleinc’est si fastidieux de déplacer les restes qu’on a préféré les recycler en petites collines, promontoires et dénivelésles talus jouxtent les souterrains, les carrières, ils forment des belvédères grâce auxquels observer les précipices qui s’ouvrent à leurs pieds aussi profonds qu’ils sont élevés.C’est de leur sommet qu’on peut scruter l’avancée des armées ou le mouvement des nuagesà 7 mètres au-dessus du solon se sent plus fort et plus seulon sait qu’on est en haut provisoirementet qu’il faudra bien à un moment ou un autreredescendrepuisqu’on n’habite pas sur le talusmais en contrebas ou sur ses flancs.
Le talus / 3
On imagine des usages détournés du talusdes moyens de lui ôter son imposante staturede le domestiquer, de l’attendrir, de l’apaiser, de le commercialiser et de le mécaniseren lui donnant l’aspect d’une gare nouvellesur laquelle on posera un toit végétalisépour produire ce que les textes appellentune « liaison en mode doux ».Les camions et bennes de déblaiement annoncentmalgré les nuisances sonores qu’ils génèrentune ère de quiétude pour nos talusle devenir doux des pentes raidesavec des paliers, des escalators, des ascenseursdestinés à vaincre la forteresse et ses barrièrescette manière de flâner sur toute la hauteurabolissant les frontières psychologiques, altimétriques, administratives, sociales et linguistiquesqui occultent la plupart du tempsla plupart du temps occultentla nature pacifique de nos talus.
Le talus / 4
Que fera-t-on en 2022 sur le talus de Malakoffqui regardera-t-on venircomment accueillera-t-on ceux que l’on verra arriver ?Après l’avoir escaladé, dominé et assujetti,aura-t-on définitivement abandonné les actions et les mots guerriersremisé les histoires de conquêtes, de retraites, de batailles ?Sera-t-on prêt en déambulant tranquillementde haut en bas ou de bas en hautà changer sans crainte, sans amertume et sans violencede perspective, d’objectif, de rang et même de condition ?
Le creusement
C’est une gare enterrée, une boîte de 110 mètres sur 30 avec des quais à 30 mètres de profondeur, alors on est obligé de creuser des panneaux de 3 mètres de large sur 1,2 mètres d’épaisseur avec une haveuse, en l’occurrence une HC05. Les panneaux sont remplis d’un liquide d’eau et d’argile, la bentonite, qui a le double avantage de transporter par un système de pompage le sol qui a été désagrégé et de maintenir par pression hydrostatique les terres pour éviter qu’elles ne s’effondrent sur elles-mêmes. C’est la première étape, le forage. Quand le panneau est fait, on commence le ferraillage, deuxième étape, c’est-à-dire qu’on descend au fond du trou des armatures d’acier de fort diamètre, après quoi on peut s’attaquer à la troisième étape. À l’aide d’un entonnoir, on coule le béton dans le trou de sorte qu’à mesure que le béton monte la bentonite est repoussée sur les bords. Et quand ça a fait prise, on n’a plus qu’à préparer un nouveau panneau jusqu’à ce que les 270 mètres de linéaire qui formeront le mur de la gare soient réalisés.Ce n’est pas naturel de faire tomber du béton d’une hauteur de 40 mètresd’une part parce que le béton n’est pas un matériau natureld’autre part parce que les chutes de 40 mètres de hauteur sont plutôt rares dans la nature.Et l’un des risques principaux de cette exposition à la gravité, c’est un risque de ségrégation. Les particules lourdes tombent au fond et les particules légères restent à la surface, cela donne une structure hétérogène qui fragilise les panneaux.C’est pourquoi il faut mesurer par éprouvettes et auscultations soniques interposées la convenance, la résistance, la maniabilité et l’homogénéité du béton. Le violenter, le torturer et le martyriser avant sa chute sont des conditions nécessaires à la réalisation d’une gare sécurisée.Finalement ce n’est pas si simple de faire un trou et de le remplir.
Des dates / 4
Pour assurer l’enchaînement et l’enchevêtrement des opérationsentre la SNCF, ICADE, Bouygues, GRDF et la SGPon a créé un pôle de planificationdont le rôle consiste exclusivementà planifier le calendrier général des travauxentre 2016 et 2030.Comme le dit l’un des directeurs du pôlenous devons faire en sorte que tous les matelas entrent dans les valises.Alors que le métro de la ligne 15aurait plutôt pour objectifde fluidifier nos mouvements pendulairescette image bizarre et maladroitenous devons faire en sorte que tous les matelas entrent dans les valiseslaisse présagerune mauvaise imbrication des tâchesdes nomadismes d’urgencedes déplacements de fouledes départs improvisés.Il est assez rare en effetsauf dans des exodes massifs et mal organisésde déménager sa literieà la seule force du poignetet dans des sacs.
Nous tournerons en rond autour de la ville
Nous tournerons en rond autour de la villenous choisirons les tangentes et les transversales au détriment de la ligne droitenous abandonnerons les voies radialesnous dessinerons des cerclesplus grands que les boulevards des Maréchaux, les ceintures rouges, les enceintes de Philippe-Auguste ou de Thiersnous remplacerons les ouvrages défensifs par des tubes grande vitesse et fibre optique.Plutôt que de nous y engouffrer, de la traverser et de la percernous nous tiendrons à distance du cœur battant de la citénous apprendrons à l’éviter, à l’ignorernous tournerons en rond autour de la ville.Nous recourrons à des corps augmentés comme sera augmenté le nombre de lignesle métro sera notre appendicenous ne trancherons plus à vif par des saignées à ciel ouvertnous adopterons des méthodes invisiblestunneliers boucliers et voussoirsqui révolutionneront notre rapport à l’air libre et nous propulseront automatiquement par 200 km de souterrains dans les quinze années à venir.Nos pulsations seront rapidesnous tournerons en rond autour de la villebeaucoup plus vitebeaucoup plus loinnous serons tous périphériques.
Post-scriptum
Olivia Rosenthal est écrivaine. Ces extraits sont tirés d’une création sonore disponible en ligne : https://soundcloud.com/groupecreati.... Textes et voix de Olivia Rosenthal. Musique et arrangements sonores de Pierre Aviat.