Vacarme 89 / Habiter Marseille

le Mouvement des squatters

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de familles marseillaises sont sans logement. Entre 1945 et 1946, 76 000 demandes de réquisition d’habitat sont adressées à l’Office municipal du logement de Marseille. Seuls 2 200 dossiers sont administrés, et pas une seule réquisition réalisée. Le scandale de ce qui est alors qualifié, par les militants, d’incompétence des pouvoirs publics, et qui en fait relève surtout de leur impuissance, fait passer quelques-uns à l’acte de réquisition autonome.

En octobre 1946, le Mouvement des squatters est créé à Marseille à l’occasion de la première réquisition sauvage d’une résidence bourgeoise partiellement occupée par une congrégation religieuse. Issu du Mouvement populaire des familles qui les soutient et qui compte plus de 150 000 adhérents, le Mouvements des squatters y trouve autant un vivier de militants qu’une source de sympathisants dans les milieux chrétiens. Dans un premier temps, les squatters tentent la conciliation avec les pouvoirs publics, qui font preuve de tolérance face à l’approbation de l’opinion publique. Très vite les squats se multiplient à Marseille, Angers, puis sur l’ensemble des grandes villes françaises. Rien qu’à Marseille, entre 1946 et 1951, les Squatters organiseront le relogement de plus de 10 000 familles.

Mais les propriétaires font pression sur le gouvernement et, d’expulsions policières en procès, le Mouvement des squatters s’essouffle. À partir des années 1950, quelques squatters se maintiennent en situation irrégulière, dans l’attente de solutions de logement qui seront négociées au fur et à mesure de la livraison des grands ensembles, quand d’autres choisissent la voie de l’autonomie en construisant eux-mêmes leurs maisons : ce sera la naissance du mouvement des maisons Castors.

Les maisons Castors, c’est un principe d’auto-construction : les militants du mouvement achètent les terrains avec des fonds collectifs, des aides charitables, des souscriptions, et parfois bénéficient de terrains que les municipalités leur accordent, pour un franc symbolique, espérant ainsi se dédouaner d’une part du problème de pénurie de logements. Puis les Castors se mettent au travail, moyennant une tâche attribuée selon les compétences, à hauteur de quarante heures hebdomadaires par famille. Lorsqu’un lot de cinquante maisons, toutes identiques, est terminé, on tire au sort son logement et on l’occupe, tout en continuant à construire pour d’autres. Un système collectiviste qui permettra à bien des ouvriers et de personnes issues des petites classes moyennes d’accéder à la propriété. Et leur permettra aussi de réaliser une utopie domestique : celle de la résorption du bidonville par l’organisation collective, et celle du modèle parfait de la famille que l’on qualifiera plus tard de « classe moyenne ». Cette famille modèle est travailleuse et méritante, elle s’investit dans le foyer, elle comporte deux enfants, trois au plus (les maisons Castors ont toutes trois chambres). Mais aussi, cette nouvelle famille-type accomplit l’idéal pavillonnaire, symbole de l’individualisme dénoncé par les militants sociaux et syndicaux qui reprochent aux Castors de préférer la promotion sociale à la participation politique. Débat toujours d’actualité.

Post-scriptum

Claire Duport est sociologue, chercheuse à Transverscité. Elle a publié Héro(s), au cœur de l’héroïne (Éditions Wildproject), et, avec Michel Péraldi et Michel Samson, Sociologie de Marseille (La Découverte).