Vacarme 89 / Habiter Marseille

le bal des ascenseurs

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le bal des ascenseurs

En 1973, à peine dix ans après la livraison de la cité Busserine, une association de locataires est créée pour protester contre les négligences du bailleur social qui n’intervient pas sur les ascenseurs en panne, les vide-ordures bouchés, les entrées délabrées ou le manque d’espaces verts et de services. Collectivement, les habitant·e·s de la cité portent plainte auprès du tribunal administratif pour abus de facturation par le logeur, et décident ne plus verser au bailleur les charges locatives : en six mois, plus de treize millions (d’anciens francs) de charges locatives sont versés sur un compte bloqué. Mais encore faut-il réunir quelques fonds pour payer les frais d’avocat, et rassembler les habitant·e·s dans l’action militante.

Ce sera le début des « bals des ascenseurs », organisés en bas des immeubles ou à la Maison des Familles du quartier, qui permettront de mobiliser les habitant·e·s et de collecter quelques sous grâce à la vente de gâteaux ou de boissons. « Le président de l’association des locataires était un républicain espagnol. Il parlait mal le français mais était très écouté, très respecté. Comme il avait une épouse gitane et des amis de partout, il réunissait tout le monde. En plus des bals des ascenseurs, on a organisé une grande kermesse, avec tous les gens de la cité, on faisait aussi des jeux d’enfants, des fêtes de famille à la maison de quartier ; et les week-ends, nous partions en famille, comme nous n’avions pas de voitures nous n’allions pas loin, en bus, pour des pique-niques : gitans, maghrébins, pieds noirs, européens, tous ensemble. » [Entretien avec Jacques Marty, prêtre ouvrier, habitant de la cité et militant de l’association des locataires.] En 1978, l’association, reconnue par le tribunal comme représentative des habitant·e·s, a gain de cause : le bailleur est condamné à recalculer l’ensemble des charges, avec effet rétroactif et personnalisé pour chaque locataire au regard des dépenses effectives et de chacune des nuisances. Le début d’une longue histoire qui verra émerger, au début des années 1980, une seconde génération de militant·e·s : des jeunes, filles et garçons ayant grandi dans la cité, vont organiser la vie sociale par l’animation socio-culturelle et la vie associative locale. À Busserine, ils participeront aux « marches des beurs » et « pour l’égalité », à la mise en œuvre des politiques de la ville, et formeront leurs petits frères à la critique sociale et politique. Aujourd’hui encore, autour du centre social Agora et de quelques associations du quartier héritières de ces mouvements, les militant·e·s de la cité Busserine affirment leur attachement aux quartiers et aux cultures populaires, comme un rappel du bal des ascenseurs.

Post-scriptum

Claire Duport est sociologue, chercheuse à Transverscité. Elle a publié Héro(s), au cœur de l’héroïne (Éditions Wildproject), et, avec Michel Péraldi et Michel Samson, Sociologie de Marseille (La Découverte).

Photo en tête d’article : « Enfants jouant au pied de la cité La Busserine », photo de Lucien Bertolina (sans date).