Vacarme 29 / Fronts

fronts avant-propos

«  La question porte sur ce que c’est que ce présent, elle porte d’abord sur la détermination d’un certain élément du présent qu’il s’agit de reconnaître, de distinguer, de déchiffrer parmi tous les autres. Quelle est mon actualité ? Quel est le sens de cette actualité ? Et qu’est-ce que je fais quand je parle de cette actualité ? C’est cela, me semble-t-il, en quoi consiste cette interrogation nouvelle sur la modernité. »
– Michel Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? »

Dans l’intérêt que Foucault portait à l’actualité, il y a quelque chose d’une ascèse : car saisir le présent, se tenir sur le fil de sa seule différence, impose de renoncer à la posture du Philosophe (qui cherche l’éternel) comme à celle du Prophète (qui prédit l’avenir). Cela veut dire : produire des théories aptes, non à résister aux outrages du temps, mais à s’y exposer et à les accueillir ; faire des prévisions qui, d’éclairer d’abord comme à la verticale le lieu d’où elles s’énoncent, sont vouées à être déjouées, parce que l’horizon change à mesure que l’on se déplace.

Comment, alors, dresser avec Foucault la carte des fronts d’aujourd’hui ? En s’appliquant, d’abord, à défaire les chronologies, à repérer la mutation silencieuse d’institutions qu’on croirait hors du temps, et l’immobilité tapie sous la rhétorique du changement. Ainsi de la prison, de l’asile ou du camp : ni inchangés, ni réformés, ce sont des lieux à contretemps. Ensuite, les énoncés de Foucault valent par l’écart même entre ce qu’ils annoncent et ce qui s’est produit : la souveraineté n’a pas cédé la place à la gouvernementalité ; la prison ne s’est pas dissoute dans la diffusion de ses alternatives - mais le réaménagement conceptuel qu’imposent de tels constats nous éclaire encore sur ce nouveau réel. Enfin, Foucault avertit ceux qui voudraient appliquer, aux problèmes d’aujourd’hui, des solutions d’hier : qu’il s’agisse de donner forme à nos amours, de rouvrir des espaces ou de nous faire entendre, les voies du présent restent à tracer.

  • Éric Fassin / Lieux d’invention Le mariage gai : s’approprier les normes
  • Judith Butler / Détention illimitée Guantanamo, ou la gouvernementalité souveraine
  • Photographies de Mathieu Pernot / Vider les lieux La prison aujourd’hui : images d’un panoptique opaque
  • Fabien Jobard - Gilles Chantraine /Trajectoires du contrôle Quand coexistent le carcéral et le contrôle ouvert
  • Michel Foucault / Prisons : la chute des murs ? Conférence à l’Université de Montréal, 1976 (extraits)
  • Sylvain Dambrine / Passages du mur Subjectivations de prisonniers, entre contentions et percées
  • Stéphane Argillet - Gilles Paté / Le repos du fakir Assis, debout, couché, la dure discipline du mobilier urbain
  • Olivier Doubre / Moindre droit De Croissant à Battisti, échos d’une justice politique
  • Isabelle Saint-Saëns - Migreurop / À distance Cartographie des camps, texte et image
  • Entretien avec Didier Faustino / Saboter le programme Ou comment travailler l’architecture au corps
  • Isabelle Rèbre / Déménager.Journal de tournage Aux portes de Paris, migration d’un service psychiatrique
  • Michel Foucault / « N’être pas tellement gouvernés » Qu’est-ce que la critique ? Fragment, manifeste