l’École de l’œil Eggleston à Dunkerque
par Anne Bertrand
Plus qu’un photographe américain, William Eggleston est une légende vivante : l’inventeur de la photo couleur contemporaine. Le suivre au début de sa récente résidence à Dunkerque, le voir à l’œuvre, c’est observer, comme jamais, les conditions de la naissance de ses images.
Cela n’arrive jamais (et pour cause). Être invité à suivre, plusieurs jours durant, la résidence d’un artiste, à l’accompagner, le voir à l’œuvre — a fortiori quand il s’agit du très secret photographe William Eggleston. C’est à Vincent Gérard, auteur, avec Cédric Laty, du film By the Ways. A Journey with William Eggleston, dont on attend la sortie, que l’on doit le projet assez étonnant d’une exposition d’Eggleston au Lieu d’art contemporain de Dunkerque, à l’été 2006, résultant du projet guère moins improbable d’un séjour sur place, pendant une semaine, de l’Américain, et d’une commande de trente-six images décrivant la ville et ses environs. À l’automne de 2005, par un temps incroyablement clément, nous attendions donc l’arrivée d’Eggleston et de son fils Winston, qui le seconde et connaît au mieux l’œuvre de son père.
On sait peu de choses de William Eggleston, né le 27 juillet 1939 à Memphis, Tennessee, où il vit et travaille encore. Peu d’éléments biographiques (voir son site www.egglestontrust.com). Pas d’écrits, peu de déclarations, et pour l’avoir constaté, l’homme est absolument rétif à l’interview. Sans doute il considère que ses images parlent pour lui.
Deux expressions donnent les grandes lignes de sa philosophie : le titre d’un de ses albums, The Democratic Forest (1989), et la sentence I am at war with the obvious. On peut aussi décider que le Red Ceiling (1973-1974) est un manifeste : efficace, radical — celui de la photo couleur contemporaine. Un œil démocratique, une guerre ouverte contre ce qui semble aller de soi : les deux se combinent, il faut voir ce qu’a priori on n’aurait pas regardé. Tout peut mériter l’attention, le déclic. Seulement tout ne fait pas une photo d’Eggleston. Bien malin qui saurait déterminer quoi.
Au moment où j’écris, je n’ai vu aucune des images prises par William Eggleston à Dunkerque.
samedi 9 octobre : les repérages
William et Winston Eggleston viennent seulement d’arriver, nous ne les verrons que ce soir et passons la journée, Vincent, Cédric et moi, avec Sophie Warlop, chargée de mission au LAAC, et Fabrice, parfait chauffeur soucieux du bien-être de chacun, entre l’attente et une sorte de veille, dérive. Nous pourrions ressembler à une petite équipe de tournage - celle du film n’a guère été plus nombreuse, se souvient Vincent, et c’était tant mieux.
Une fois déjà je me suis trouvée au côté d’un artiste pendant un temps, quelque part, en en étant à ce point avec lui de... ce n’est pas complicité, cela tient à la fois de la connaissance de l’œuvre et d’une disponibilité maximum, qui fait que les choses circulent - que tout apparaissait, ou pouvait apparaître, soudain sous un jour nouveau. Parler de voir avec son œil serait excessif, prétentieux. Mais avoir parfois des sortes d’éclairs, d’intuitions qui bien entendu restent en deçà de sa perception, et plus encore, de son travail. Éclairs qui pourtant laissent entrevoir ce qui pourrait advenir.
Familiers de Dunkerque et du photographe, Vincent et Cédric ont balisé le terrain, essayant d’imaginer ce qui pourrait intéresser Bill. Répétition générale avant l’entrée du maestro. Il fait un temps radieux, ciel très bleu, lumière vive le matin. Voilà qui n’était pas prévisible, non plus que ces pluies nocturnes, qui rendront le jour d’après plus éclatant encore.
Traversant la ville depuis la gare, j’ai pu voir combien, victime des bombardements, elle constitue un répertoire de l’architecture, en particulier de la seconde moitié du XXe siècle - pour le meilleur et pour le pire. Cela, et bien sûr les restes du patrimoine antérieur, maisons à deux étages, grilles dorées du jardin botanique, kiosque sur une place entourée d’arbres... Nous déjeunons sur la digue, face à la mer. Là ce sont des constructions dans le genre balnéaire, plus ou moins pâtisseries ou Mouvement moderne, la plupart pastel, défigurées par les vérandas ou terrasses de restaurants. C’est Malo-les-Bains, quartier chic autrefois. Certaines photos d’Eggleston à Berlin me reviennent, son goût pour le détail d’un carrelage vert absinthe, une moulure, un ton de mur. Il aura l’embarras du choix.
Nous circulons en voiture, vers Rosendael plus populaire jusqu’aux maisons de bois construites à une époque où il était interdit de bâtir en dur au-delà d’une certaine limite. Ravissantes ou modestes, elles rappellent curieusement leurs cousines d’Amérique photographiées par Walker Evans. Pimpantes, claires, elles sont soulignées de bleu vif ou tendre, telle la villa Myosotis en son jardin, qu’on va détruire car un sol mouvant la menace.
Un peu plus tôt nous étions cité Guilleminot, toute de briques années 1930, avant le musée des Beaux-Arts. Les collections sont installées dans un bâtiment des années 1960, doté d’un auvent en béton, à l’intérieur une verrière et une mezzanine. À l’étage, c’est une catastrophe de cimaises tendues de jute beige, sous un éclairage au néon. Il y a pourtant là un joli Bourdon gris, un grand Magnasco tourmenté, puis la perle du fonds, ce portrait d’un jeune Nègre favori à la cour de Louis XIV, par Hyacinthe Rigaud. Son visage se détourne, brun contre le brun du fond à peine éclairé d’une touche de jaune. Turban blanc rehaussé d’or, habit absinthe et bouton d’or, cape tilleul aux reflets blancs, il porte un arc en bois sombre et en cuivre, écho à son collier d’esclave très brillant. La toile est-elle inachevée, a-t-elle été repeinte : bizarrement, la main gauche est un aplat.
Sur la place à cette heure on remballe, puis nettoie avec fracas. Le marché, ses étals et vendeurs de bonbons, fruits et légumes, fins de série, ses camionnettes, formes, couleurs choisies par personne mais s’exprimant à grands cris, son vrac, ses bruits, je le traverse en me disant que sans doute il y aurait matière...
Ciel ourlé d’un bleu plus dense, une maison des années 1930, laquée de frais, fleurie : le quartier des Excentriques où nous marchons mêle foyers bichonnés et bâtisses qui, tout à côté, semblent oubliées — parfois plus attirantes. Un magasin de disques, avec une tourelle, aujourd’hui décati, soutenu par un étai, a toujours son cachet. Et jouxtant la façade d’un bleu neuf, derrière un portail amoché, les vestiges d’une maison d’architecte qu’abritent hauts arbres et buissons. Beauté cachée au creux d’un coude, que restera-t-il de ce qui touche au cœur, sinon le souvenir, l’image de ce qui fut une demeure de rêve, qu’on n’habitera jamais.
Puis nous gagnons le LAAC, et plus que tout — la silhouette trapue du bâtiment daté, ses carreaux blancs, son intérieur amélioré à grand renfort de bois clair —, plus que tout me séduisent les plans d’eau et les pans inclinés de pelouse faisant à l’octogone un écrin. Dans la collection accrochée par mouvements, je vois un ensemble qui se tient, honnête introduction à l’art entre moderne et contemporain. Je me demande à quoi ressemblera l’exposition, si les photographies d’Eggleston seront seules ou au milieu des œuvres - comment savoir ce qu’elles seront ?
La nuit tombée, sur la digue, nous attendons encore. Au Don Quichotte nous rejoignent enfin les Eggleston, père et fils. Rien de déterminant ne se dira pendant ce repas, ni sur le fond, ni sur l’emploi du temps des jours suivants, mais nous nous retrouvons. Entre la déco rose et pistache, le petit serveur concoctant une bande son de dancing années 1950, les garçons discutant, Eggleston grignotant, distrait, je songe à l’autre côté de la vitre, la mer avalée comme la plage par le noir, songe aux rares points de lumière, au calme de tout cela, et Bill est le bienvenu.
dimanche 10 octobre : les dunes
Ce matin il fait aussi beau, tout est glorieux mais la lumière est trop crue, Eggleston préfère attendre qu’elle se creuse un peu. Pourtant nous partons, suivant la côte vers la Belgique, à travers ville, banlieue, campagne. Sophie nous conduit, Vincent et moi, devant nous la voiture où sont Bill et Winston, avec Cédric. Une fois nous stoppons devant un petit supermarché, je me demande quelle différence entre le contenu des gondoles, outre-Atlantique... Nous sommes face à la frontière, l’avons franchie sans nous en rendre compte. Entrons dans le camping du Perroquet : tout commence, bizarrement, par un quartier luxueux, des mobil homes qui jamais ne bougeront sont parqués, chacun derrière sa haie d’ifs. Des maisons, véhicules ? tout confort ; moins d’un mètre, à vue de nez, sépare chacune de son enceinte. Une normalité claustrophobique, un cauchemar domestique paradoxal : quelle idée de l’habitation, de la propriété, du voyage au contraire, de vacances, peut mener à s’installer là, y revenir - y résider ? Vue sur rien, la route et ses commerces plus près que la mer, que l’on peut ignorer. Nous roulons assez lentement, la route monte et descend, sinue parmi des dunes, à travers une zone moins densément investie, plus fantaisiste, où enfin l’on respire, sous le ciel immense, les nuages, un grand soleil, et circule au milieu de maisonnettes ou caravanes le plus souvent vides, aux fenêtres des rideaux de guipure, ici des touffes de lavande, là un bouledogue sur un paillasson.
Nous nous sommes arrêtés, Bill part devant, son fils avec lui, chargé des appareils et objectifs et pellicules dans deux sacs, les garçons ont pris chacun sa caméra, ils ont la même. Je reste à distance, nous nous suivons, croisons, je parle avec Sophie, rejoins Vincent, chemine seule, et surtout j’observe, telle maison de poupée, une bâtisse noircie, sa large véranda déserte, nous tournons autour, jouant sans jouer à cache-cache, je ne sais plus où sont Winston et Bill, la dernière fois c’était près d’un empilement de bonbonnes. Nous dévalons un sentier entre les joncs, la plage s’étend, marée basse, peu de promeneurs, nous nous égaillons. Je laisse Bill et Winston aller leur chemin, découvrir l’endroit et s’y faire. Hors champ j’entends la caméra de Vincent, qui tourne, c’est exactement la musique qu’il faut, à cet instant, sachant Eggleston au travail, c’est exactement ce que je veux entendre, à défaut de voir.
Nous déjeunons tard, sur le front de mer, dans une brasserie sans caractère, tout se mélange. Il y a cette vue sur l’eau, le ciel plus pâle, il fait meilleur à l’intérieur et nous avons besoin de nous poser, chacun de se perdre, par instants, dans ses pensées.
Juste avant nous étions à l’hôpital maritime. Dépassant l’ancienne ferme en briques XIXe, en voiture nous nous sommes approchés des constructions d’origine, à la fin des années 1920, avec leurs extensions contemporaines, parmi les arbres flamboyants. À l’extrémité du dernier corps de bâtiment, le plus imposant, austère, rouge, face au bleu, au vent, nous avons stoppé. Il y a dans l’air quelque chose de désuet, cette idée d’un sanatorium, entre deux guerres, où l’on exilait une jeunesse trop faible, pour qu’elle guérisse comme en s’inspirant de la grandeur du rivage. Arrivant, repartant, nous n’aurons vu âme qui vive — ni malade, ni soignant, ni visiteur. Comme s’il n’y avait là personne, comme s’il s’agissait d’un décor pour un film, la scène serait forcément réussie, vu la photogénie de l’endroit. Ici séjournent, pour plusieurs mois, de graves accidentés qu’on rééduque, et aussi des handicapés. Rien n’apparaît de la violence, physique et psychologique, de ce qui ressemble, involontairement, à un internement. De tous les enfants, adolescents, jeunes adultes qui ont vécu là, on n’ose penser à qui y vit encore, à qui reste derrière, et n’a devant lui que la mer, même lorsqu’il fait aussi beau, pour ne pas le consoler de demeurer là.
Nous ne rejoindrons pas — il est trop tard — Niav, amie de Cédric et Vincent, sur son lieu de tournage, un blockhaus où elle expliquait, hier au soir, que des teenagers s’y retrouvent, le dimanche, pour jouer à la guerre. Fugitivement me revient cette image de Bill junior, revolver au poing — et ce rare autoportrait de son père à la carabine. Nous allons vers un autre endroit, là aussi il y a des blockhaus, nous devrions les atteindre à pied. Nous nous garons, passons une voie ferrée, ses rails rouillés, cailloux, herbes folles, escaladons la dune la plus élevée. On devine la mer assez proche, derrière une étendue indéfinie de vallons, collines, une végétation dense a crû, ras du sol, entre jungle et maquis, piquante, difficile à pénétrer, on s’y perd à l’instant. Vincent part en éclaireur, Cédric et Fabrice à tour de rôle tentent de l’aider, Winston va de son père à Vincent et je reste auprès de Bill, absolument pas équipé pour une telle exploration, du complet chic aux escarpins. Il est bien là, regarde, travaille un peu, fatigue mais ne proteste pas contre l’errance qui se mue en déroute, je parierais qu’il est aussi, quoi qu’il en soit, ravi par la merveille des buissons aux verts si rares, plus jaunes ou gris, bleus, roussis, sous la lumière rasante, car le soir tombe, il commence à faire frais, où sommes-nous, comment rentrer, on ne sait, pour l’heure nous nous tenons au-dessus d’une mer végétale, mouvante, l’or caresse cette forêt que nous n’aurons pas traversée, qu’on n’eût jamais imaginée, cherchant ces forteresses qui resteront enfouies.
lundi 11 octobre : le port autonome
Au matin je passe un moment dans les salles du LAAC, à regarder les œuvres à mes yeux les meilleures. Tout en haut, dans les tiroirs et les placards, un dessin de sa Mère lisant (1965) par Giacometti, une gouache géométrique Sans titre de Sonia Delaunay, une Composition cinétique de Vasarely, un très délicat dessin Grid (Blue) de Louise Hopkins. En redescendant, parcourant les salles, le Rouan bleu foncé, harmonieux, l’Alvin Aileyd’affiches arrachées par Hains, le rare Warhol orange, la maquette d’une sculpture par Arman, et le Mobile lumineux d’un certain Calos. Soit une dizaine de pièces auxquelles on pourrait ajouter un Degottex, un Joan Mitchell, un Leroy, un autre Vasarely, tous emblématiques, et de plus singuliers Paul Jenkins ou Christoforou... Il est prévu que les photographies d’Eggleston soient exposées dans quatre des huit cellules de l’étage. Et pourquoi pas un accrochage associant, dans six d’entre elles, six images à une seule œuvre de la collection, parmi les plus remarquables ? Je pense à l’effet que feraient certaines photos, quelles qu’elles soient, avec la seule catastrophe de Warhol.
Nous déjeunons sur la digue, Bill associe, imperturbable, hot-dog ketchup et crêpe aux fruits chantilly, Orangina et cigarettes - toujours impeccable dandy. Vincent vérifie avec Aurore, attachée de presse du LAAC, le parcours à venir, et que, recommandés par la mairie, nous sommes bien attendus. Nous suivons le plan, nos deux voitures quittent la ville, à l’opposé d’hier, vers l’Ouest, pour revenir ensuite sur nos pas. Après des espaces intermédiaires, nous entrons dans le port autonome, immense, ponctué de pancartes portant les sigles d’organismes indéchiffrables. D’emblée nous allons au bout de cette zone, terrains vagues, activités industrielle et portuaire, où tout à coup se dressent en plein champ des murs de containers, où tout s’achève abruptement, au bout d’un quai, contre la coque d’un cargo.
Prenant au Nord, au milieu de nulle part nous ralentissons, stoppons avant un poste de contrôle, près d’un container défoncé qui laisse passer l’air, la lumière. Combien de temps pourrons-nous rester, je ne sais. Combien de temps avant que le responsable de la sécurité ne s’inquiète si visiblement que, malgré le laissez-passer, il faut partir. Avant, pendant quelques instants, Bill en chemise blanche sous le soleil file entre les blocs, se faufile, disparaît, les types du chantier sont nerveux, ils manipulent leurs Fenwicks si brutalement, les parallélépipèdes vert, bleu, orange, rouge font et défont à une vitesse incroyable des quartiers entiers, s’élèvent à des hauteurs d’immeuble — avant d’être au pied de ces constructions elles apparaissaient un jeu, Lego géant dont on n’estimait pas le poids, la matière, le bruit. Notre présence n’incite en rien ces hommes à la prudence, au contraire, elle les indispose au point qu’ils font tout pour que nous comprenions enfin le danger, les laissions travailler en paix. Nous ne resterons pas longtemps. Assez pourtant pour que Bill, suivi de près par Winston, ait l’air de photographier ce qu’il veut. Jamais je ne l’ai vu ainsi, comme surexcité, suivant son flair dans l’ombre des rues de métal, alerte, agrippé à son appareil, courant, comme saisi par un élan auquel il donne libre cours. Dès lors le pari est gagné, la résidence ne peut qu’être un succès, il ne peut en être autrement après un pareil épisode, une telle jubilation face à un sujet qui, d’évidence, est à sa mesure, lui convient. C’est un plaisir de le voir heureux. « Est-ce que j’ai cet air-là ? Je m’en souviendrai. »
L’étape suivante est un bout de port, il faut parlementer mais nous finissons par entrer, cornaqués, munis de gilets fluo. Deux bateaux sont à quai, des containers sur le pont, tout contre s’élèvent les structures métalliques permettant de les installer, des câbles, les oiseaux, personne dans ce vaste univers où on ne peut se faire entendre, avec le vent. Je vois Bill aller et venir, Winston avec lui, en pleine activité, Cédric les photographie et je n’ai plus besoin de voir Bill pour savoir que tout va pour le mieux, les images seront bonnes, sûrement. C’est un très fort moment, une félicité.
En partant, je monte entre Winston et Bill. C’est juste avant que je ne reparte, le dernier trajet. Dernier arrêt, la lumière descend à peine, il fait grand beau, nous sommes à un rond-point, à l’écart, près des grilles enfermant d’énormes silos, un paysage impressionnant auquel il s’attaque avec quel enthousiasme, pour les couleurs qui claquent, ombres portées qui dramatisent, aperçus entre deux parois, cette démesure si loin du moindre quotidien, défense nous est faite d’aller plus loin, et l’ardeur, l’énergie de ce shooting comme une école buissonnière, un raid, à la fois comme si le temps était compté — celui d’une demi-journée d’automne — et comme si nous avions devant nous tout le temps qu’il faudrait tant il fait vif et doux, tant tout paraît nouveau, donné, offert au photographe.
« Il est à fond », dit souvent Vincent. À l’opposé de sa réserve habituelle, presque autiste, immobile et voûté, tiré à quatre épingles, il y a cet autre Eggleston qui fait bien plus, cet après-midi là, que pointer le bout de son nez. Il a vingt ans, trente, nous aurait aisément oubliés, et tout le reste, tout ce qui règle une vie, la sienne, n’importe, il trotte, se plie, suit son œil, n’est plus que son œil, et personne ne m’ôtera de l’idée qu’il est alors heureux comme jamais, son allégresse se lira dans ses images, elles seront faites de ce bonheur. À ce moment incontestablement cet homme fait ce pourquoi il est au monde. En attendant d’en découvrir les suites, c’est déjà beau à voir.
Merci à Vincent, Cédric, Bill et Winston.