des femmes en moins entretiens aux frontières du chômage
Quand son conjoint travaille et qu’on peut s’occuper des enfants, c’est toujours une solution de s’arrêter de travailler. Chômage volontaire ? Chômage forcé ? Les deux femmes interviewées ci-dessous ne sont pas comptabilisées dans les chiffres de l’ANPE
Mélanie, pigiste à la radio, a connu une période d’interruption de travail au moment de sa grossesse. Interruption légale qui s’est vite transformée en interruption pesante, voire angoissante.
VACARME : Pouvez-vous expliquer la transition entre le moment où vous travailliez et le moment où vous avez cessé de travailler ?
Mélanie : Il n’y a pas vraiment eu de transition. Au début de ma grossesse, je travaillais, j’ai eu les congés légaux vers 7 mois et demi. Donc en fait, j’ai arrêté de travailler pendant dix mois. J’étais très contente alors, parce que je n’avais pas le problème du chômage, ni de problèmes d’argent. Je me suis arrêtée pour quelque chose, je fabriquais quelque chose. Donc, je ne me sentais pas du tout inutile ou frustrée de ne pas pouvoir m’épanouir, parce que je m’épanouissais dans un domaine qui me paraissait nettement plus mystique. J’en étais à un tel point que je me disais que c’était peut-être même inutile de travailler. Mais, dès que mon enfant a eu six mois, j’ai commencé à tourner en rond. J’ai vraiment ressenti le besoin de travailler et j’ai compris que ma réalisation passait par le travail. Si j’étais secrétaire, si j’avais un job avec des horaires établis et un chef de service complètement con, des collègues acariâtres, etc. - expériences que j’ai pu avoir ponctuellement quand je faisais des jobs d’étudiante -, je pense que j’aurais eu envie d’arrêter définitivement. Mais dès que l’on a le choix de pouvoir travailler dans une optique différente de l’obligation pure et simple de gagner de l’argent, si on a un travail-passion, c’est différent.
Donc le travail vous est apparu comme essentiel à votre vie ?
Je pourrais concevoir d’arrêter de travailler si je me réalisais dans quelque chose d’autre : si, un jour, je découvre que je m’épanouis dans la poterie, alors je le fais. Mais en même temps, je suis sûre que très vite j’aurais envie de vendre les pots, que mon travail soit reconnu quelque part... Je ne sais pas si je pourrais me contenter de l’artisanat local à économie très réduite...
Le travail est la seule voie de la reconnaissance ?
Pas forcément. Un homme, ou une femme, qui a fait le choix d’élever ses enfants, d’être bénévole, sans problème d’argent, c’est bien. Le travail nous apparaît utile parce qu’il rapporte de l’argent, il nous permet de vivre, de rencontrer des gens, de faire avancer les choses. Ce n’est pas forcément ni uniquement une aliénation. Il ne s’agit pas simplement de participer à l’expansion d’une société, de gagner du fric à tout crin. Mais quand on est sans travail, on se sent un peu inutile. Quand j’ai arrêté de travailler, que je n’avais plus de travail dans ce que je voulais faire, si je dînais avec des gens du même milieu que le mien, forcément, au bout d’un moment, j’étais obligée de dire :« ben, en ce moment, je ne travaille pas ». Cela ne fait pas très sérieux, il faut montrer quelque chose. Les milieux artistiques ne connaissent pas la même pression sociale que les secrétaires ou les commerciaux au chômage, mais ne pas travailler les exclut quand même. Il y a une différence entre le chômage forcé - j’en cherche, mais je n’en trouve pas - et le chômage que l’on a décidé parce qu’un boulot nous prenait la tête.
Est-ce que vous avez eu l’impression de mettre à profit ce temps de chômage pour « découvrir » autre chose ?
Il y a eu plusieurs périodes. Je travaille comme intermittente, et à certaines périodes, j’avais l’impression de ne pas travailler assez. Ce que j’avais à faire - c’est-à-dire le reportage, le caler, l’enregistrer, le monter -, quand je suis à la bourre, je fais ça très vite. Mais là, je prenais beaucoup de temps, et mes reportages n’étaient pas forcément meilleurs. Même chose pour les courses, ça pouvait me prendre un après-midi. En fait, j’avais plus de temps pour faire les choses, mais j’en faisais un peu moins. Avec toujours l’espèce d’angoisse du : « aujourd’hui, je n’ai rien fait de concret ». J’avais des projets, mais ils mettaient du temps à aboutir... Alors que, si je me mets à travailler, mes projets aussi mettent moins de temps à aboutir. J’ai découvert l’intensité.
Sylvie a pris un congé parental d’éducation à la naissance de son troisième enfant. Mais elle n’a pas tenu le coup des trois ans d’éloignement de la vie professionnelle. Au bout de deux i ans, elle a trouvé un autre employeur, ce qui n’est pas sans la plonger dans d’autres imbroglios administratifs.
Est-ce que vous avez choisi de rester à la maison pour vous occuper de vos enfants ?
Sylvie : Oui. J’avais déjà deux enfants et je savais que le troisième serait aussi le dernier. Donc, j’ai voulu en profiter. Nous en avons discuté avec mon mari, nous avons fait des calculs, des comparaisons. II s’est avéré qu’entre l’allocation de congé parental d’éducation (3000 F par mois) et les allocations, il n’y avait que l 000F de différence par rapport à mon salaire. Sans compter les réductions d’impôt et les économies sur les frais de nourrice, etc. Donc, sur le plan strictement financier, il n’y avait pas d’obstacle. Et puis, c’était tout aussi bien que je puisse profiter entièrement de nies enfants.
Comment avez-vous vécu cette situation de mère à la maison ?
La différence était énorme : les deux grands étant à l’école, je n’en avais pas profité pleinement et je voulais pouvoir être une spectatrice privilégiée du développement du dernier : le voir grandir, le voir évoluer, apprendre à marcher, faire ses premières conneries, etc. Et puis, on est plus disponible. On peut s’occuper des enfants plus que les deux heures par jour réglementaires ; on n’est pas obligé de leur faire subir le réveil aux aurores, de les pousser dans un coin parce qu’on fait le ménage de la semaine, etc. Finalement, tout le temps est disponible pour faire des ’ trucs avec eux, jouer, inventer i des activités. Ma présence à la ’ maison permettait aux aînés de rentrer déjeuner à la maison, ’ donc d’être moins fatigués, de ’ jouer à la maison le soir plutôt ’, que d’aller au centre de loisirs. ’
Mais ça, ça voulait dire que je passais mon temps à taire des allers-retours...
On a l’impression que vous ne vous êtes pas donné du temps pour vous.
Au début, je trouvais ça parfait, je n’avais aucun problème. Vers la fin, les choses sont devenues plus compliquées. D’une part, notre situation financière n’était pas reluisante, pour un tas d’autres problèmes, et donc, il était impératif que je retrouve du travail. Et puis, au bout de deux ans, j’avais plus l’impression de vivre pour les enfants, la maison, plus que pour moi. Vers la fin, j’avais vraiment cette sensation.
« On vit beaucoup pour les autres et finalement peu pour soi. »
Qu’est-ce que vous avez fait, alors ?
Mon congé s’arrêtait théoriquement en décembre prochain. J’ai demandé une mutation, parce que, pour simplifier le tout, je travaille à soixante km de mon domicile. J’ai donc cherché un autre travail, et j’ai trouvé un contrat de quatre mois, éventuellement renouvelable, près de chez moi. J’ai donc dû transformer mon congé parental en congé sans solde, parce que l’on ne peut pas travailler sous le régime du congé parental. C’est juste un jeu d’écriture. Mais aujourd’hui, je suis dans une situation cornélienne : je vais être obligée de démissionner de mon travail actuel pour continuer de toucher mes allocations et retrouver mon travail en décembre... Je travaille pour une administration, alors évidemment les choses ne sont pas simples. J’ai un peu l’impression que, dès que l’on s’absente un peu, ils nous réservent quelques surprises au retour...
Vous ressentez une discrimination en tant que femme ?
En un sens, le congé parental est un avantage, mais d’un autre côté, l’employeur en profite pour agir à sa guise. Au retour de mon premier congé maternité, tout à fait légal, on m’avait affectée dans une autre ville. Les employeurs n’hésitent pas, ils ne nous donnent pas le choix. Certes, il y a peu d’hommes qui prennent un congé parental, mais on peut se poser la question de savoir s’ils seraient traités ainsi.
Et la rentrée dans le monde du travail, cela se passe bien ?
C’est étonnamment difficile de reprendre un rythme qui concilie le travail pour soi et le travail que donne une maison. Au tout départ, j’ai pris un retard incroyable dans mes tâches ménagères. Heureusement, je pouvais compter sur mon mari. Je dis heureusement, parce que sinon, c’est impossible. Dès qu’il faut jongler avec les nourrices et les baby-sitters, le salaire y passe et autant rester chez soi... Et puis, maintenant, le suis heureuse de voir du monde de nouveau. Mon congé parental a coïncidé avec un déménagement et je ne connaissais personne... Alors, l’hiver sous la neige et l’oisiveté, c’était pénible. Même si j’avais dans l’idée de profiter de ce congé pour prendre des cours, faire du sport, je me suis retrouvée finalement à ne m’occuper que de mes enfants et de l’aménagement de la maison. On vit beaucoup pour les autres et finalement peu pour soi.
Vous regrettez ?
Non pas du tout. Mais si je devais le refaire, en sachant aujourd’hui ce que je sais, je le ferais différemment. C’est important de pouvoir bien élever ses enfants, mais je ferais plus de choses pour moi, pour éviter de saturer.