Vacarme 04/05

automne 1997

Vacarme 04/05

À nos lectrices et lecteurs

Ce numéro, Vacarme 04/05 (automne 1997), est désormais archivé et tous ses articles sont accessibles dans leur intégralité. Vacarme aime la gratuité, mais une revue existe grâce à ces abonné·es.

le silence de la guerre

Mozart et Van Gogh dans un HLM

par

Mon père était magasinier dans une entreprise d’électro-ménager et athée d’origine protestante. Chaque dimanche matin, il plaçait cérémonieusement la Messe du couronnement de Mozart sur le pick-up, cassait sa longue silhouette dans son fauteuil et écoutait, le visage imperméable. Nous étions tous saisis à la gorge par le cadavre de l’illusion déposée ainsi chaque semaine sur l’autel de sa vie, pendant que, à ses pieds, je passais le peigne dans les franges du grand tapis, ma corvée du (…) Lire 

trésor de cuivre

par

Mon père était allemand, naturalisé français dans les années 1960. Ma mère était alsacienne. En 1942, elle travaillait à Paris pour un marchand de timbres de collection, chez qui elle était en contact avec une clientèle d’officiers allemands. Parce qu’elle était bilingue, elle fut engagée par les Allemands comme interprète à la Chambre des Députés, puis, en 1943, pour un poste à responsabilité au sein des services de sécurité de la police allemande. C’est elle qui recevait les personnes (…) Lire 

les orages

par

Mon père a passé son permis très tard, à plus de cinquante ans, et nous avons tous été malades en voiture jusqu’à notre majorité. Il condui-sait agrippé des deux mains au volant, le chapeau contre le pare-brise, le pied à fond sur l’accélérateur pendant qu’il débrayait. Il dépassait à la manière sportive, en faisant des queues de poisson qui se terminaient par des embardées redressées de justesse. Nous redoutions le moment où ma mère, pour une fois reléguée dans une position d’infériorité, (…) Lire 

plomb et fumée

par

La première fois que nous sommes partis en vacances - c’était en Forêt-Noire - ma mère avait 42 ans, mon père 48. Puis, quelques années plus tard, nous avons passé deux semaines dans une pension de la campagne bavaroise. Comme disait mon père, il n’a plu que deux fois au cours du séjour : une fois pendant huit jours et une fois pendant six jours. Humides jusqu’au fond de l’âme, couverts de piqûres, gavés de charcuterie et étourdis par les châteaux de Louis II, nous étions prêts, mon frère et (…) Lire 

Chantier

le chômage, pour quoi faire ?

prologue

Les pages qui suivent sont la suite et le deuxième volet du dossier sur le travail engagé dans le précédent Chantiers de VACARME. La dernière fois, nous nous étions attaqués à la question du temps de travail en elle-même, parce qu’il nous semblait qu’elle n’était qu’une arme subsidiaire contre le chômage, et que, si elle demeurait considérée sous ce seul angle de la nécessité et du sacrifice, la réduction du temps de travail ne pourrait jamais s’imposer en France comme en Europe. La (…) Lire 

qu’est-ce qu’un chômeur ?

par

C’est bien de dénoncer le fléau du chômage, de prétendre faire de la lutte contre le chômage sa priorité, d’être à l’écoute de ceux qui souffrent... Mais d’abord un chômeur, c’est qui ? C’est quoi ?
« L’armée de réserve des chômeurs » dénoncée par Marx serait-elle une grande muette ? Il faut le croire, au vu des réticences de l’État ou plus simplement des économistes à faire une place au phénomène du chômage. Tout au long du XIXème siècle par exemple, les crises économiques jettent sur (…) Lire 

gare à la manoeuvre !

par

L’ANPE à la française n’était pas conçue pour gérer le chômage de masse, mais pour ajuster l’offre à la demande sur le marché de l’emploi, dans une période où la main-d’œuvre était encore proche de faire défaut. De quel héritage institutionnel l’Agence procède-t-elle ? Dans quelle mesure reflète-t-elle les orientations que les politiques prennent, ou entendent faire prendre, sur le marché du travail ? Benoît Gauchard est agent ANPE depuis quatre ans et secrétaire de la section CFDT-ANPE de (…) Lire 

quand le cadre manque

par

Un couple. Elle, 53 ans, secrétaire de direction dans une entreprise de transports pendant 30 ans, a deux enfants de 30 et 34 ans nés d’un premier mariage Au chômage depuis neuf mois. Lui, 4, ans, agent de maîtrise dans les Crans ports au service contentieux et risque client, a postulé avec succès pour le statut cadre lors de son dernier licenciement économique ; il s’est retrouvé au chômage deux semaines avant son épouse.
Elle : « On a ouvert une cafétéria près d’Aix-en-Provence en (…) Lire 

des femmes en moins

par

Quand son conjoint travaille et qu’on peut s’occuper des enfants, c’est toujours une solution de s’arrêter de travailler. Chômage volontaire ? Chômage forcé ? Les deux femmes interviewées ci-dessous ne sont pas comptabilisées dans les chiffres de l’ANPE
Mélanie, pigiste à la radio, a connu une période d’interruption de travail au moment de sa grossesse. Interruption légale qui s’est vite transformée en interruption pesante, voire angoissante.
VACARME : Pouvez-vous expliquer la (…) Lire 

des marches européennes contre le chômage

par

Les différents médias ont beaucoup parlé de la Conférence intergouvernementale d’Amsterdam, premier test politique, peu concluant, du gouvernement Jospin, mais ils ont quasiment passé sous silence l’arrivée dans cette même ville des Marches européennes contre le chômage, la précarité et l’exclusion en Europe, deux jours avant, le samedi 14 juin. Et pourtant, l’événement était loin d’être confidentiel : 50 000 personnes, selon la police. Il s’agissait de plus d’une première manifestation (…) Lire 

assez !

par

AC ! n’est pas à proprement parler une assocition de chômeurs. C’est un collectif plus libre, plus flou, décentralisé sur toute la France et sans représentants officiels. Ou : quand les chômeurs veulent d’eux-même se prendre en mains...
L’allocataire dépendant du bureau des ASSEDIC-spectacle de la rue Vicq d’Azir à Paris pouvait assister, dans la semaine du 23 au 28 juin, à un spectacle peu ordinaire, s’il se donnait la peine d’entretenir avec son bureau d’allocations un type de (…) Lire 

cargo

par

Le Collectif d’Agitation pour un Revenu Garanti Optimal (CARGO) est né autour du mouvement étudiant contre le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) en 1994. Ce sous-SMIC pour jeunes a cristallisé une opposition transversale : étudiants des filières classiques et étudiants des filières techniques, rarement mobilisés par les questions d’ordre politique, se sont battus ensemble contre cette discrimination. Une dizaine d’étudiants, fidèles du séminaire de Toni Negri à Paris VIII, s’est (…) Lire 

chômeurs en l’an 2000 ?

par

Il faut arrêter de penser que l’Allocation universelle est une utopie. Une utopie insensée pour les réactionnaires ; une utopie qui peut se réaliser demain pour les militants. ce n’est pas une utopie du tout. c’est un choix politique parfaitement pragmatique et qui en tant que tel ne saurait être dépourvu de lourdes ambiguïtés.
Quand on voit que l’Angleterre’ dont on salue depuis dix ans la reconversion économique et l’abaissement continu du taux de chômage, est devenue l’an passé le pays (…) Lire 

actualités

la musique des esclaves

par

Le soir, sur l’Île Maurice, le ciel est lourd de chaleur. Pas à pas, dans une écume vaporeuse, entre la barrière de corail et l’écorce des palmiers, on suit un moment le bord léger des vagues avant d’atteindre un groupe, isolé. A l’ombre. Sur la plage. Là, des femmes chantent autour d’un musicien.
Au sud de l’Amérique, du côté de la Nouvelle-Orléans, cela s’est appelé le Blues. A 2 000 kilomètres à l’est des côtes africaines, au coeur de l’Océan Indien, c’est une musique créole qui (…) Lire 

Suède au coeur

par

On ne va pas jouer aux vierges effarouchées, à l’instar de nombre de nos médias fiers de leur francitude, car on le savait depuis longtemps : il y avait bien quelque chose de pourri au royaume de la douce social-démocratie suédoise. À la fin des années 1970, Foucault avait déjà commencé à égratigner le modèle un peu trop irénique des prisons suédoises. Au début des années 1980 avait déjà commencé à se dévoiler la face cachée du capitalisme à la mode suédoise : conquérant, paternaliste, sans (…) Lire 

vous reprendrez bien quelques juifs...

par

Dans le désert informationnel de la fin du mois d’août — pour les journaux télévisés le monde se résume alors à Paris et aux plages de la Côte d’Azur, comme si le reste était parti en vacances sur Mars — une nouvelle un peu étrange. Le Dauphiné Libéré, quotidien peu ragoûtant du sud-est de la France titre sur une affaire oubliée de longue date : à Voiron, en Isère, dans la nuit du 22 au 23 mars 1944, une quinzaine d’enfants juifs et leurs deux accompagnateurs cachés dans une maison de la (…) Lire 

les pays riches ne sont pas riches de rien

par

Une question posée récemment au Bundestag par une députée du PDS (Parti du Socialisme Démocratique, communistes réformateurs issus de feu la RDA) a mis en lumière un aspect de la politique allemande de « lutte contre l’immigration clandestine » dont le gouvernement fédéral s’est jusque là gardé de se vanter. Il ressort en effet des dispositions en vigueur depuis 1993 que la police des frontières facture ses « prestations » de reconduite à la frontière (essentiellement tchèque et polonaise) (…) Lire 

tango

par

C’était au Moyen-Âge - disons : en 700 avant Chevènement. On pensait alors,conformément aux enseignements d’Aristote et de Ptolémée, que le soleil ainsi que les planètes parcouraient une trajectoire circulaire autour de la Terre. Le modèle, intellectuellement satisfaisant, ne posait qu’un problème : il ne concordait pas, mais alors pas du tout, avec les mouvements observables dans le ciel. Les mouvements des astres y présentaient d’exaspérantes aberrations, avançant, reculant, s’éclipsant (…) Lire 

in memoriam

Exercice d’endurcissement de l’esprit : relire, pour honorer sa mémoire, Robert Pinget, disparu le 25 Août 1997, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Dans Graal flibuste : « Il y a des soirs où rien ne va, où les pensées et les mouvements sont en cul de sac. Je pense que ces sortes de soir se multiplient à mesure qu’on prend de l’âge et, un beau matin, comme une pendule non remontée, on marque sans issue du soir précédent ; on est mort dans son lit. »
Et aussi :« Beaucoup de lettres (…) Lire 

la vie sans s’arrêter

Les vacances sont finies, seulement pour ceux qui en ont eu, et tout va continuer comme avant, et tout va changer, et il y aura peu d’écart, et de nouvelles aurores attendues ne viendront pas, et d’autres, inespérées, jusque-là indifférentes, brilleront soudainement de tout leur éclat, et il y aura encore de ces nuits solitaires et sans lune, où l’on boit sa vie par le goulot, sans s’arrêter, surtout sans s’arrêter, parce que sinon cela fait trop mal, et il y aura ces mêmes matins pleins de (…) Lire 

note confidentielle

par

Le 26 août dernier est paru le second roman de notre numéro Un et patron bien aimé, François Rosset. Comme il nous a interdit d’en parler dans VACARME (parce qu’évidemment, notre patron, il « ne mange pas de ce pain-là » et ne va pas « cirer ses bottes dans les salons »), on glisse cette notule quand même sous la forme d’une petite brève, en espérant qu’il ne tombera pas dessus. Ce roman s’appelle Négociations, et il est publié aux éditions Michalon. Evidemment, comme son roman précédent, Un (…) Lire 

démocratie

questions lancinantes

par

Les deux questions économiques qui traversent l’actualité sont d’une part celle du chômage, d’autre part celle du respect des critères de convergence définis par le traité de Maastricht. En matière de chômage, les motifs d’incompréhension sont multiples : comment les pays industrialisés qui sont les leaders économiques mondiaux peuvent-ils en même temps être incapables de lutter efficacement contre le chômage ? Pourquoi le taux de chômage continue-t-il de progresser ? Existe-t-il encore des (…) Lire 

les prolétaires du pavé

par

Elément indéboulonnable du paysage parisien, les aubergines, devenues pervenches par la grâce de la métaphore arboricole à la suite d’un bête changement de costume, sillonnent depuis 1971, carnet de souches à la main et air renfrogné qui s’y colle, les rues de notre belle capitale. Le cinéma parisien (existe-t-il en France un cinéma autre que parisien ?) fait peu d’efforts conséquents pour les décoller de leur bitume et de la représentation a priori négative qui y colle aussi : dans Un monde (…) Lire 

famille, je vous aime !

par

On voudrait que la chronique des Compromissions Peu Reluisantes ne fût jamais un bêtisier ; mais c’était peut-être beaucoup présumer des politiques. Et à peine élue, la gauche victorieuse retrouve ce misérable penchant, quand certains sujets, complexes, appelleraient plus de finesse et d’intelligence. Soit, pour ce début d’été, tes retombées de la gay pride, et la revendication du CUCS, qu’Élisabeth Guigou se propose d’étudier pour lui donner force de loi.
À ceux qui attendent du (…) Lire 

lieux de mémoire

par

Entre le boulevard de Belleville et la rue du Faubourg-du-temple, la rue de la Fontaine-au-Roi se faufile, passant un peu inaperçue par son calme tandis que les bruits de la vie montent de part et d’autre. Pourtant, en me promenant, j’ai trouvé là l’un des mémoriaux les plus simples et les plus bouleversants qui soient.
Je lève la tête, attirée par une plaque commémorative sans allure. « Dans la rue de la Fontaine-au-Roi résista la dernière barricade de la Commune de Paris défendue par ses (…) Lire 

comptoir

par

À l’angle d’une petite rue qui croise l’avenue de Clichy Paris XVIIéme arrondissement : un café de quartier, son barman, ses habitués, un nouveau client. Accents, couleurs, générations se croisent ou se côtoient. Pas un tableau idyllique de l’entente multicommunautaire, l’ordinaire, sans autres heurts que les embrouilles ordinaires. Tracas ou blagues, au quotidien. Tout ce qu’on imagine des bistrots parisiens sans avoir besoin de s’y rendre. L’écoute, flottante mais néanmoins soucieuse, le (…) Lire 

sujets de l’histoire

l’humanitaire, au-delà de l’urgence

engagez-vous, rengagez-vous

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Il y a le témoignage, souvent poignant, de ceux qui sont partis. Il y a le discours que les associations tiennent sur elles-mêmes, et pour le grand public. Mais entre les deux, quelle rencontre, quels ajustements ? Comment les associations humanitaires organisent-elles le recrutement, la formation et le suivi de ceux qui les rejoignent ? Comment fabrique-t-on, avec des engagements ponctuels, une action durable ? Enquête dans les coulisses d’une ONG.
Nous sommes une petite dizaine, ce (…) Lire 

l’imagination logistique

par

On connaît les images. Les camions d’Équilibre, les 4x4 de MSF ou les containers de MDM sont de gros jouets brillants qui nous racontent l’efficacité et la puissance des ONG humanitaires — leur richesse aussi. On connaît le discours, qui fleure bon la cartographie d’état-major, jusqu’à servir au baptême de plusieurs opérations militaires : « Lifeline Soudan », « Provide Comfort », « Acces to Sarajevo ». Mais avant d’exister comme images ou comme signes, la logistique humanitaire est une (…) Lire 

pour une économie au service de l’homme

par

Chômage, hausse de la précarité, régression sociale... Les changements récents survenus dans l’économie mondiale ont amené des associations d’aide au développement à repenser leur place dans le champ économique et à réfléchir, à partir de leur expérience dans les pays du Sud, sur la façon de remettre l’économie au service de l’homme.
Plusieurs facteurs ont amené les associations de solidarité internationale à repenser la forme et le champ d’application de l’engagement de leurs militants. (…) Lire 

les infortunes du mot humanitaire

par

« Chaque siècle a sa marotte ; le nôtre, qui ne plaisante pas, a la marotte humanitaire. » (Sainte-Beuve)
L’adjectif humanitaire est un néologisme — révolutionnaire ? — des années 1830, qui dérive d’humanité et du suffixe -aire ; suffixe qui n’a rien de décisif, pas de ceux qui vous règlent le sort d’un vocable pour l’éternité. Il sert juste à passer d’un substantif à un adjectif, qui pourra bien entendu par la suite être substantivé.
Les dictionnaires donnent des définitions du terme (…) Lire 

nourris, logés, armés

par

L’intervention des humanitaires dans les pays en guerre est fréquemment caricaturée : tantôt « sauveurs », tantôt « otages », les ONG sont parées de toutes les vertus, ou accusées de tous les maux. Or la réalité d’une guerre est plutôt affaire de stratégies : stratégies des combattants pour utiliser l’aide humanitaire ; stratégies des associations pour résister à l’instrumentalisation.
La scène se passe en février 1997 au US Commitee for Refugees à Washington DC. Une « conférence (…) Lire 

Minorités

féminin pluriel

prologue

Origine des femmes (Toba-Pilaga)
Autrefois, les hommes avaient coutume de chasser et de placer leurs provisions de gibier sur le toit des huttes. Un jour qu’ils étaient absents, tes femmes descendirent du ciel et volèrent toute la viande- Le même incident se reproduisit le lendemain, et tes hommes (qui ignoraient l’existence des femmes) placèrent Lapin en guetteur. Mais Lapin dormit tout le temps, et la viande grillée fut volée. Le jour suivant, Perroquet prit la garce, caché dans un (…) Lire 

éditorial

Y a-t-il de la provocation, de la régression, un paradoxe dans le fait de parler des femmes dans la rubrique Minorités ? Quand nous avons commencé à travailler sur le dossier qui suit, la question nous a été presque unanimement posée. Comment qualifier les femmes de minorité, alors qu’elles sont quantitativement majoritaires, qu’elles représentent la « moitié du ciel » (Mao), la « moitié de la République »(Rousseau) ? Comment désigner les femmes comme minoritaires sans entériner la (…) Lire 

l’échappée belle

par

Je n’ai personnellement jamais entendu aucune femme parler de la Femme. J’ai entendu des hommes en parler. Une femme dit d’elle-même qu’elle est une femme ; les femmes entre elles parlent « des femmes »- j’ai entendu certains hommes employer l’expression « être femme », par exemple :« tu es très femme ce soir ». Personnellement, je déteste autant cette omission de l’article indéfini que l’emphase virile qui l’accompagne.
Il y a deux grandes difficultés à parler des femmes. La première (…) Lire 

prisons

par

La domination masculine est si universellement constatée qu’elle en apparaît comme un invariant anthropologique. En même temps, une représentation du « masculin » (et partant, du « féminin ») a cours, qui est implicitement admise comme pertinente. Elle sert, de ce fait, d’assise incontestable à cet invariant. Ne peut-on, pour mettre en question ce verrouillage, interroger l’institution du « masculin » ?
« Coupé le foin précieux de la chevelure, et cachés le sein, la main, le ventre, que (…) Lire 

mutation

par

« Et jadis fus femme, de fait Homme suis, je ne ment pas, (...) je m’esveillay et fu le cas Tel qu’incontinent et sanz double Transmuée me senti toute (...) Dont m’esbahi, mais j’esprouvay Que vray homme fus devenu. »
C’est ainsi que s’achève l’histoire de la transformation en homme de Christine, narratrice et héroïne du Livre de la Mutation de fortune. Le récit de cette métamorphose, écrit par Christine de Pizan (1365-1405), saisit les commentateurs les plus prudents, qui (…) Lire 

Féminisme : appelation d’origine

par

Le mot « féminisme » est abusivement attribué depuis la fin du XIXe siècle à Fourier et le dictionnaire Robert de la langue française perpétue encore cette erreur. On comprend bien pourquoi : outre que Fourier est un auteur enclin aux néologismes, il assiste en 1830 à l’apparition du premier mouvement féministe et joue bien évidemment un rôle d’éclaireur dans l’histoire de l’égalité des sexes et de la liberté des femmes. Le curieux de la chose est que la création de ce néologisme est daté de (…) Lire 

post-tutu

par

Isadora Duncan, Pina Bausch, Trisha Brown, Carolyn Carlson, Mathilde Monnier ou Anne Teresa de Keersmaeker : peu de champs artistiques auront été autant marqués par des figures féminines. Peut-être est-ce parce que la danse est la pratique la plus à même de mettre en jeu les corps, leurs comportements, leurs représentations. Mais la danse est aussi vouée à une mémoire précaire. Ce dossier, pour rendre compte et justice à des femmes dont le travail a accompagné l’histoire d’une lente (…) Lire 

Minorités

feuilleton du minoritaire

l’épouvantail américain

par

"L’horreur minoritaire" se nourrit aujourd’hui en France d’anti-américanisme : c’est ainsi que la parité nous menacerait de mille ghettos "à l’américaine". Mieux comprendre les Etats-Unis nous permettrait pourtant d’échapper à l’alternative rhétorique de l’universalisme et du communautarisme. On se propose ainsi d’abandonner le vocabulaire de la représentation pour celui de la discrimination- l’impensé de l’universalisme français, fût-il paritaire. Alors minorité ne rime plus avec (…) Lire 

résister, inventer, produire

Art & politique

plaisir

par

L’avantage de la première expérience, c’est l’absence de toute exigence.
C’est un Pailleron parmi tant d’autres, loin audessous de cette sorte de cathédrale du grand Auchan-Plaisir, dont mes élèves font les mains baladeuses. Au-delà, entre le no man’s land et le couloir de pavillons roses, à la croisée de carrefours, quatre morceaux de ciel blanc et la boîte de béton en prodrome de ruine — l’année prochaine, on aura un nouveau collège. Mais la tristesse aussi est un savoir, qu’on n’est pas (…) Lire 

chroniques érotiques

par

Scène 1
Dans la chambre d’hôtel il y a des lampes renversées, des bouleversements d’oreille. Comme j’aimerais que tu sois là, simplement pour te regarder. Tu es toujours présente dans mes rêves. Il regarde par la fenêtre son reflet dans l’obscurité.
Je monte cette scène dans le noir. Un déplacement dehors, par les yeux, contre un mur. Sur le lit, deux femmes sont endormies. Il leur parlait à l’instant. Il faisait s’entrechoquer leurs corps en les étreignant. Leurs pieds, la lumière de la (…) Lire 

désirs de racine (misère de la radicalité)

par

C’est un fort étrange désir que ce désir de radicalité, funeste et fascinant. Dès qu’un groupe humain se constitue, apparaît son aile de radicaux. Tout courant de pensée politique, tout mouvement artistique, toute discipline de savoir, toute morale, toute religion connaît sa frange de radicalité, ce désir qui s’empare de certains pour leur faire vouloir encore davantage, les faire aller encore un peu plus loin, les pousser à prendre les choses et les problèmes à la racine, dans un même refus (…) Lire 

le pas de deux

par

Par-dessus tout, j’étais agacé de le voir si aisément influençable. Entendre ce qu’il proférait dans l’espoir de s’associer plus étroitement aux opinions en vogue à l’intérieur de notre bande, et voir les lignes de son visage s’infléchir jusqu’à former une empreinte crédible de sa sincérité. Sa bouche était sollicitée au premier chef, puis le pourtour de ses yeux, qui se plissait afin de leur donner une allure fauve. Enfin, ses paroles venaient maladroitement s’adosser à celles, lancées avec (…) Lire 

un menu pour lutter contre la tristesse quand on est seul

par

Résumé des épisodes précédents : grâce à Vacarme n°1, vous l’aviez séduit au moyen d’un simple soufflé ; le n°2 vous avait permis, par le truchement, d’un monstrueux dîner, de lui rester fidèle nonobstant le puissant sex appeal d’un amant de passage ; enfin le brunch after Gay Pride du n°3 fut une réussite brillante. Bref, dans ces six derniers mois, vous fîtes vraiment tout votre possible pour le garder. Cette histoire d’amour vous y avez sincèrement cru. Pauvre sotte...
Vous voilà en (…) Lire 

points de suspension

par

J’ai connu ces vingt dernières années en France, et dans quelques pays européens voisins, au hasard des rencontres, des peintres, des graveurs, des sculpteurs,... des plasticiens. J’ai souvent gardé de ces rencontres des notes de carnet, des photos de personnes, des photos d’œuvres, que j’ai empilées ici et là sans savoir si j’en ferais un jour quelque chose... On imagine bien cependant à quoi je pense, une topographie imaginaire, un « cabinet ». J’ai tiré de ce fatras des reproductions - (…) Lire 

« image d’homme bâclé à la six-quatre-deux »

par

Ils sont nombreux, à vivre dans l’attente d’un livre bien particulier, capable de réunir des puissances qui, à leur connaissance, ne se trouveraient pas ensemble dans le corps d’un même texte : le souci de l’argumentaire, la vérité empruntant pour se dire la forme de l’énonciation juridique (les événements de la vie physiologique et mentale qui se lient les uns aux autres dans le développement du raisonnement, l’exhibition des preuves, jusqu’à la découverte les lois), la méthode, la rigueur (…) Lire 

trois mots à propos d’une prétendue génération nouvelle de cinéaste

par

On est en droit de se réjouir depuis quelque temps d’un beau renouveau du cinéma réaliste francophone. Avec des réalisateurs qui savent ce que c’est qu’un vrai film réaliste, avec une histoire, avec du suspense, avec des têtes et des corps qui sont des têtes et des corps réels, et avec de l’émotion en barre. On a eu La Reprise d’Éric Leroux, à la recherche de cette ouvrière qui hurle après Mai 1968 pour ne pas reprendre le boulot, recherche qui, en un sens, touche parfaitement son but, à (…) Lire 

à quoi ça tient — onze manières de perdre un post-it.

par

Note préparatoire : Un arrangement peu glorieux (APG) est un ensemble stable de dispositions destinées à rendre une faiblesse (durable ou passagère) vivable et, autant que possible, pas trop humiliante pour un moi qui ne s’est pas encore résigné à s’avouer effondré. Des formules de la vie courante telles que « j’arrive », « je sais bien » ou « on fait aller » en constituent d’assez bonnes approximations. Noter que la description d’un APG est elle-même un APG. Comme telle, elle n’exclut donc (…) Lire 

devenirs massacrés III

par

Des hommes, des femmes, plus ou moins jeunes, des enfants aussi. Des gens. Que le destin, ou plus humblement le hasard, fit sortir du chemin dont ils avaient peut-être rêvé, auquel peut-être aussi ils n’avaient pas même songé. Chaque fois pourtant le cri silencieux d’un arrachement. Pour que ce cri ne s’abîme pas complètement dans l’oubli, nous nous proposons ici d’honorer leur mémoire. Avec la retenue de celui qui ne sait qu’en dire. Avec la conviction cependant de celui qui demeure (…) Lire 

les nouvelles de Cassandre

par

Cassandre a la vie dure. Revue de théâtre contemporain, elle maintient sa vitesse mensuelle depuis bientôt deux ans. Les questions de l’engagement la démange. Son pari ? Fédérer les différences et les antagonismes propres au théâtre français contemporain, au-delà de l’Ile de France.
Cassandre a presque l’apparence d’un journal, presque la périodicité aussi. Elle ne veut pas , prendre la voix d’une revue d’idées. Si les idées sont là, c’est par les pratiques qu’elle les met en avant et en (…) Lire 

in situ

Contre la nouvelle cinéphilie

par

C’était la dernière séquence c’était la dernière séance et le rideau sur l’écran est tombé. – Eddy Mitchell (La dernière séance)
Le cinéma — le bon comme le mauvais — a beaucoup changé. Les spectateurs et les media — les bons comme les mauvais-aussi. De ce changement on ne trouve trace nulle part. On fait comme si aux auteurs d’hier succédaient ceux d’aujourd’hui, aux cinéphiles de l’ancienne génération, ceux de la nouvelle. Mis à part quelques regrets d’un âge d’or, ou d’une belle époque (…) Lire 

les lois de l’hospitalité

par

On dit que le ministre de la Justice a décidé de faire reprendre l’examen de toutes les demandes de naturalisation qui n’ont pas reçu de solution à l’heure actuelle. La plupart de ces demandes, lit-on encore, avaient été suspendue, sur l’ordre de Vichy en juillet 1940. En juillet 1940, bien des choses ont été suspendues. La liberté aussi. À partir de ce moment, le Journal Officiel de l’État français s’est mis à publier d’interminables listes de personnes naturalisées à qui la qualité de (…) Lire 

offres de services

par

La jeunesse de France vous offre ses services militaires. Cette jeunesse qui a fait couler de l’encre et qui ne sait comment remercier, qui attend la reprise des affaires et qui n’y croit plus du tout, qui numérote ses abattis... A qui, dans l’Entre-deux-Guerres, une mauvaise vie a été donnée, et à dormir le plus souvent debout. À qui les révolutions ont été promises, et retardées, et escamotées par le même ON qui n’a pas de nom. Pour qui, dans la salle cuisine, les carottes sont cuites, à (…) Lire 

François d’Assises, patron des anarchistes

par

Reportage sur un frère franciscain qui vit dans la rue, avec les gens de la rue. Il a accepté que l’auteur de ce texte l’accompagne pendant dix jours dans les rues de Toulouse.
« ... Le grand secret pour mois sonner l’existence la plus féconde, et la plus haute jouissance, c’est de vivre dangereusement. Bâtissez vos villes sur le Vésuve. Envoyez vos vaisseaux dans des mers inexplorées. Vivez en guerre avec vos pareils et avec vous-même. Pillez et conquérez, chercheurs de la connaissance, (…) Lire 

éditoriaux

qui est conservateur ?

par

Voici un numéro double : 124 pages, c’est évidemment trop long, et vous êtes accablés, et vous vous dites que nous vous prenons pour ce que vous n’êtes pas, des lecteurs acharnés qui n’ont que cela à faire, et vous avez sûrement raison. Mais c’est ainsi, nous n’avons pas pu couper ou supprimer des textes en plus, censément trop longs, censément trop denses. Nous sommes des conservateurs de ce qui a été fait, c’est ainsi (et que les auteurs que nous avons malgré tout un peu coupés [sic] nous (…) Lire 

25 août 1997

par

« Le pédophile » est devenu, en quelques mois, l’ennemi le plus inquiétant, polymorphe et pourtant un : c’est le monstre. Mais le monstre, c’est l’impensable : le mot « pédophile » fonctionne comme un exorcisme, non comme l’amorce d’une problématisation ; il concentre notre peur et notre malaise, pour nous en purifier, et les rejeter au loin sous la figure d’un « monstre » dont il n’y a rien à penser, sinon qu’il est absolument mauvais et qu’il n’a absolument rien à voir avec nous. (…) Lire 

Vacarme 04/05

Vacarme 04/05 / automne 1997

Rédaction en chef Pierre Zaoui

Parution le 22 septembre 1997 Édition Vacarme

Pages 124 ISBN 9782915547771

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