Vacarme 16 / Chroniques

la pipistrelle / un contact même léger suffit

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La pipistrelle est derrière moi, je peux reprendre la parole, son contact — même léger — suffit. Je ne sais pas pourquoi j’ai chuté mais j’ai chuté. Mon pied a glissé dans l’éboulement. J’avais attendu trop longtemps à la gare, ou bien était-ce ailleurs. Toute cette attente s’est agrégée d’un coup, noire comme un loup. La nuit avait passé en allées et venues pour surveiller les enfants. Il ne fallait pas risquer qu’on les emmène sans qu’ils sachent. Et le vent s’est levé, et là dans ce ravin cent fois longé, j’ai chuté. Je connais bien le paysage. Les rameaux du frole. Le chemin, à quelques mètres en surplomb au bout de la moyenne corniche. Comment pense-t-on « tombé » ? Dos au monde. Rien que du rocher devant. L’esprit porte en soi le corps, comme un petit. La pipistrelle ne dit rien. Quand s’envolera-t-elle. Les enfants s’éloignent, la gare est devenue leur grotte. Ils ont installé un campement dans la salle des pas perdus en attendant des explications. Ils n’aiment pas les petits maîtres. Ils cherchent à savoir. Depuis le temps que leurs visages inamovibles sont présents au présent. Le plus jeune a construit un édifice pour les fourmis pauvres, plein de fleurs, de brindilles et de miettes. Il s’applique pour ne pas retourner à l’état sauvage. La pipistrelle dort ou veille. Sa vigilance est réputée ne jamais s’assoupir. Elle est venue de loin. Silencieuse, repliée, son corps de taupe aérienne rangé sous le tombant d’une jupe de papier. Quand s’envolera-t-elle. Sait-elle que c’est elle qui me fait tenir ? Un oiseau dans mon dos pourvu d’oreilles immenses... Depuis son arrivée, quelle ferveur m’a saisie. Mes pensées bougent comme des acrobates, à toute vitesse. Dompter le vide. Ne pas tomber/ne pas tomber — là. Tombe-t-on lorsqu’on est sur le point de n’être plus — là ? Un contact même léger suffit. Et s’il n’y a personne/chanter. Un deux. La, la. Si quelqu’un pouvait rire, ça ferait trois. Quand elle s’envolera. La nuit, ses bras sombres et secs en bois de clématite déplient leurs ailes d’ingénieur fou. Effectuer un trajet fixe en poussant des cris aigus, le visage retroussé sur des sons que personne n’entend — ou à son insu. Elle vole le même chemin de nombreuses fois. On l’a prise pour l’âme des morts. Quand l’âme des onze elfes que je porte s’allégera de mon dos, elle s’envolera.