Les Exilées extrait

par

Les Exilées

Roi d’Argos

Ma pensée est échouée
Elle est comme la coque d’un navire
Un cabestan la soulève
On la rafistole avec des chevilles
Le destin m’étrangle
Quoi que je fasse
Je provoque une guerre
Contre les hommes
Contre les dieux
Il n’y aura pas de fin heureuse

Quand un homme voit sa maison pillée
Son argent volé
Il le regagne
Parfois au centuple
Comme un navire où s’entassent les marchandises
Son toit accueille de nouvelles richesses
Sous la protection de Zeus
Gardien des maisons

Quand on entend des mots qui se trompent de cible
Des mots qui blessent et font battre le cœur
On peut s’apaiser en entendant d’autres paroles
Remède aux anciennes

Mais pour que le sang ne coule pas
Notre sang
Celui de nos frères
Il faut offrir mille sacrifices
Immoler victime sur victime
Faire tant d’offrandes à tant de dieux
Pour guérir du malheur

J’espère me tromper
Je préfère qu’on me traite de mauvais devin
Que tout finisse bien
Et passer pour un idiot

Chœur

J’ai fait appel à ta piété
Écoute-moi jusqu’au bout

Roi d’Argos

Parle
Tes mots ne m’échapperont pas

Chœur

Une ceinture entoure ma robe

Roi d’Argos

Les femmes aiment ces ornements

Chœur

Celui-ci va m’être d’un grand secours

Roi d’Argos

Quels mots vont résonner en ce lieu

Chœur

Si tu ne me donnes pas ta parole

Roi d’Argos

Que veux-tu faire avec cette ceinture

Chœur

Décorer ces statues à ma façon

Roi d’Argos

Cesse tes énigmes
Parle sans détour

Chœur

Je vais me pendre
Vos dieux seront chargés de nos cadavres

Roi d’Argos

Tu t’amuses à me torturer

Chœur

Tu voulais que je parle clairement

Roi d’Argos

Des malheurs partout
Contre eux
À quoi bon lutter
Un fleuve de désastres vient vers moi
Ou c’est comme si j’avais marché jusqu’au large
Mais c’est une mer sans fond
Impossible à traverser
Aucun port nulle part pour m’abriter du malheur

Si je refuse de vous aider
La honte dont tu parles montera jusqu’au ciel
Aucune flèche ne l’atteindra plus
Mais si
Pour vous protéger
Notre armée prend position sous les murs de la ville
Si je déclare la guerre aux fils d’Egyptos
Comment éviter un désastre plein d’amertume

Le sang de mes hommes ruissellera sur le sol
Tout ça pour des femmes
Mais je n’ai pas le choix
Je ne peux risquer la colère de Zeus
Protecteur des demandeurs d’asile
Rien ne fait peur comme la colère d’un dieu

Vieillard
Père de ces femmes
Ramasse ces branches d’olivier
Va les déposer dans les sanctuaires
Voués aux dieux de notre Cité
Grâce à elles
Tous les citoyens seront au courant de votre arrivée
Et ils n’enverront pas mon discours aux ordures
Le peuple aime à critiquer le pouvoir
En voyant ces branches
Il aura pitié
Il détestera l’arrogance de vos ennemis
Il sera mieux disposé envers vous
On a toujours de la sympathie pour les faibles

Danaos

Nous avons de la chance de t’avoir rencontré
D’avoir trouvé si bon porte-parole
Mais donne-moi une escorte de soldats indigènes
Ils m’aideront à trouver les autels dressés devant les temples
Les sanctuaires qui protègent les étrangers
Je me sentirai plus en sécurité avec eux
Quand je traverserai la ville

La nature ne nous a pas vêtus de la même peau
Au bord du Nil
Sur les rives de l’Inachos
Poussent des plantes différentes
Il faut faire attention
Au courage parfois répond la peur
Il est arrivé qu’on tue un ami par erreur

Roi d’Argos

Holà vous autres
L’étranger a raison
Conduisez-le en ville
À ceux que vous croiserez
Ne dites rien de trop
« C’est un marin
Il vient prier nos dieux »

Post-scriptum

Traduction d’Irène Bonnaud. La carte en illustration est de Philippe Reckacewicz : « Le parcours de la vache Io ».

La traduction d’Irène Bonnaud ainsi que les deux textes de Violaine Schwartz, Io 467 et Flux migratoire, sont réunis dans un même livre qui paraît ce printemps aux éditions des Solitaires intempestifs.