Fictions de l’origine entretien avec Barbara Cassin
Qu’est-ce que la différence des langues révèle de notre pensée spontanée du langage et de son/notre rapport au monde ? D’Homère à Hannah Arendt, Barbara Cassin dénoue le fil de ce qui s’invente — ou, parfois dramatiquement, ne s’invente pas — dans la langue. Au sein d’une langue, que fait un texte ? Mais aussi, et puisque comme locuteurs nous sommes tous auteurs : que peut un auteur dans ce que peut une langue ?
Vous êtes philosophe, femme, spécialiste de philosophie grecque, mais vous écrivez aussi des poèmes et des nouvelles, et du reste vous travaillez la langue philosophique en littéraire. Quelle est votre conception de la frontière entre littérature et philosophie ?
Poreuse, poreuse… Simplement parce que pour moi, les deux parlent de, traitent de, inventent en : langue, et même pour prévenir toute ambiguïté : en langues, avec un s. Donc je me suis trouvée d’emblée aux prises avec le rapport entre langage et diversité des langues. Ce qui implique, pour le dire vite, de toujours compliquer l’universel dans le travail soi-disant philosophique. Et de se laisser guider, en philosophie comme ailleurs, au moins aussi par ce qui s’invente chemin faisant, chemin faisant avec la langue. Je n’ai jamais rencontré le langage, disait Humboldt, en revanche, j’ai rencontré la pluralité des langues, et c’est là évidemment la première complication, ou la complication première — philosopher en langues, comme un barbare, et non en logos, comme un Grec. Ajoutez avec Lacan qu’« une langue, entre autres, n’est rien de plus que l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé subsister », et vous verrez que vous serez, en philosophie / en littérature, je veux dire quand vous parlez et quand vous écrivez, en prise sur l’invention, c’est-à-dire sur le signifiant, l’homonymie par exemple, et sur la performance, la parole comme acte. Sans doute, sans aucun doute, je renonce ainsi à quelque chose comme une maîtrise absolue. De même que je refuse d’obéir à quelque consigne sacrée empreinte dans la langue, comme les bergers de l’Être heideggériens par exemple — d’ailleurs si je mets cela au féminin, la prétention tombe aussitôt : bergère de l’Être, vous imaginez… Et, même si la poésie a toujours joué un grand rôle pour moi, elle n’est pas davantage sacrée, le poète n’est pas le seul fils des Muses. Il y a la même porosité entre les genres littéraires qu’entre les genres tout court. La démystification de la donation ontologique (« il y a » de l’être) est par excellence un trouble dans le genre, elle convient au bricolage.
Un aspect de l’originalité de votre travail de spécialiste de philosophie antique et de philologue a consisté à faire remonter à la surface ce qui est généralement passé sous silence : la matérialité des textes. Comment cela s’est-il produit ? Et comment ce geste vous a-t-il amenée à réévaluer la tradition sophistique ?
La performance du langage a été sensible pour moi d’abord avec 1968, les affiches magnifiques, « femme rouge de plus en plus belle », « Dieu est mort signé Nietzsche, Nietzsche est mort signé Dieu » — des phrases d’une énergie incroyable. Les murs avaient la parole, et ces mots fabriquaient du politique, évidemment. Pendant et après les événements de mai s’est tenue chez moi une espèce d’université alternative. Michel Deguy avait une revue de poésie, qui avait commencé au numéro, mettons, dix, de manière à mourir au premier numéro. Tout cela était d’une force et d’une gaieté extravagantes. À la suite de quoi, j’ai participé au séminaire du Thor avec Martin Heidegger chez René Char en 1969.
Et puis Pierre Aubenque m’a proposé de prendre pour sujet de thèse un petit texte anonyme contenant une version du Traité du non-être de Gorgias. J’ai alors voulu travailler avec Jean Bollack et Heinz Wismann, qui m’ont vraiment appris le grec ou, plus exactement, ce qu’est un texte grec : comment on établit un texte, que c’est aussi un produit, une fabrication par ceux qui transmettent et par ceux qui éditent, et non pas une origine. Or, dès lors que la transmission des textes n’est plus un épiphénomène mais quelque chose dont dépend le texte lui-même, la philologie est non seulement intéressante mais nécessaire. S’agissant de la sophistique en particulier, il fallait faire une sorte de paléontologie de la perversion, montrer ce que j’appelle « le trafic de la lettre », puisque si la tradition sophistique n’a pas été évaluée correctement, c’est entre autres parce que les textes conservés (et il y en a évidemment peu) ont été transmis et pré-interprétés par des ennemis. Il fallait reconstituer tout un squelette à partir de quelques os d’un animal préhistorique, méprisé ou haï par la tradition.
Je me souviens d’hellénistes patentés qui nous disaient alors d’un air horrifié : « Ça ne peut pas vouloir dire ça : it’s no Greek ! ».
Je suis donc en effet passée par un apprentissage de la philologie grecque, un apprentissage des textes dans leur invraisemblable complexité et liberté. En travaillant la matérialité des textes, j’ai vu que la langue était quelque chose en train de se fabriquer. Au sein d’une langue, que fait un texte ? Que peut un texte dans ce que peut une langue ? Que peut un auteur dans ce que peut une langue ? Comme dit Schleiermacher : « Il est son organe et elle est le sien ». Cette modification consubstantielle des deux, c’est une chose que j’ai apprise à la lettre, dans la lettre du texte. Je me souviens d’hellénistes patentés qui nous disaient alors d’un air horrifié : « Ça ne peut pas vouloir dire ça : it’s no Greek ! ». C’est magnifique de sentir qu’une langue morte est une langue vivante, que les œuvres la font vivre, et en font une langue qui excède le corpus fini des dictionnaires. Pour les sophistes, pour les hétérodoxes en général, c’est de première importance : il y a des tournures en train de s’inventer dans les textes, des contre-tournures si vous voulez, qui ne sont pas forcément déjà normées. Ou des hapax comme le den de Démocrite, un signifiant qui désigne l’atome en tant qu’il n’est pas un être, contrairement à ce que tous les « physiciens » disent depuis Aristote : c’est le produit d’une fausse coupe sur meden, « rien » (mêde hen, « pas même un »), littéralement un « iun », une sorte de « moins que rien » donc, en tout cas un mot qui ne peut pas exister quand on suit le droit fil du grec, et que Lacan d’ailleurs repère comme « le passager clandestin de toute l’ontologie ».
D’où votre question : « Peut-on être autrement présocratique ? »
Oui, en travaillant sur le Traité du non-être de Gorgias, je me suis aperçue que l’on pouvait être « autrement présocratique », c’est-à-dire faire un usage différent du langage que celui qu’en faisait l’histoire de la philosophie magistralement fabriquée par Heidegger. La lecture heideggérienne, telle qu’elle s’est déployée de plus en plus à mes yeux, est liée à son histoire de la pensée comme histoire de l’être, et au rapport plus ou moins intime qu’ont les langues avec l’Être. La langue grecque est, dit-il, « plus philosophique » que les autres, et après la langue grecque, il n’y a guère que la langue allemande, qui est peut-être même plus grecque que la grecque, plus proche de l’Être. Qu’est-ce que cela veut dire : plus proche de l’Être ? Cela veut dire que l’Être s’y dévoile mieux, et que l’homme qui est enraciné dans sa langue a pour tâche de le faire apparaître. Pour Heidegger, Parménide est une parole de l’origine où être, penser et parler sont en co-appartenance. Que doit donc faire un lecteur de Parménide, c’est-à-dire un authentique philosophe ? D’abord il doit brûler toute sa bibliothèque devenue inutile, et puis il doit être fidèle à cette co-appartenance. C’est le berger de l’Être. Et le berger de l’Être en sa langue. À partir de là, on est au fond coincé dans l’aurore. À part l’aurore, il n’y a que de la déchéance. Et quand on croit tenir bon l’aurore, on en arrive à se retrouver recteur, un peu beaucoup nazi… et travaillant sur die Sprache, la « Dite », la manière dont die Sprache spricht. Ce n’est pas forcément clair immédiatement, il faut du temps pour comprendre les implications, il faut par exemple avoir lu Arendt. D’où ma question « Peut-on être autrement présocratique ? » Est-ce que vraiment ces Grecs si géniaux étaient tous géniaux de la même manière ? Est-ce qu’ils étaient tous géniaux « heideggériennement », comme Parménide ?
Que fait Gorgias, justement, que ne faisait pas ou ne croyait pas faire Parménide ?
Le Traité du non-être de Gorgias est une lecture du Poème de Parménide qui met en crise l’ensemble de l’ontologie naissante. Parce qu’elle la met en visibilité, elle en montre les mécanismes performatifs. C’est très simple, je le résume d’une phrase : Parménide dit « esti, il y a de l’être », et Gorgias dit : « C’est toi qui l’as dit, l’être que tu prétends découvrir, c’est ton poème qui le fabrique. » Il le montre dans le Traité du non-être en mimant le Poème, en le suivant à la trace pour faire entendre comment il déplie la langue grecque. Il montre comment le verbe (esti) secrète un sujet, un participe substantivé, l’étant (to on), comme une sphère bien ronde, et qui est pour toujours quelque chose dont s’occupe la philosophie. C’est ce que j’ai appelé « l’ontologie de la grammaire ». On ne va pas de l’être au dire de l’être, en toute fidélité et adéquation, mais, à l’inverse, l’être est un effet de dire, un produit du poème, la conséquence d’une performance discursive.
Et puis simultanément, le Poème de Parménide fait une autre chose extraordinaire : il reprend tous les textes qui ont précédé, en particulier Homère et Hésiode, et il transforme leurs mythèmes en philosophèmes. C’est très sensible justement au moment où Parménide décrit l’on, cet étant qui va devenir l’objet de toute la philosophie : il le décrit avec les mots mêmes dont s’était servi Homère pour dire Ulysse lorsqu’il passe au large des sirènes, attaché à son mât, « solidement planté dans le sol », « immobile dans la limite de liens puissants ». C’est l’évidence même, mais une évidence à laquelle Heidegger était parfaitement insensible. Il n’a même pas songé qu’entre Homère et Parménide, il pouvait y avoir palimpseste. Il ne s’agit pas alors de langue de l’Être ni de dévoilement ontologique. Ce n’est pas l’Être qui se dévoile, c’est la culture qui se donne. On ne joue plus dans la même cour de récré. Au fond, ce qui m’a intéressée, c’est de pouvoir changer de cour de récré, et cela, c’est ce que fait Gorgias.
Vous entretenez un dialogue de longue date avec Alain Badiou, dans lequel vous explorez, à travers des lectures parfois discordantes de Heidegger et de Lacan, une sorte de ligne de partage entre d’un côté le discours, la sophistique et la position femme, de l’autre la vérité, la philosophie platonicienne et la position homme. La sophistique, est-ce une position critique, le trublion qui viendrait révéler du dehors les failles cachées, les manques, de l’ontologie dominante ?
Peut-être faut-il dire d’abord que, pour remplacer l’histoire de l’Être, je ne crois pas au paradigme thèse-antithèse-critique, avec la critique de Kant au lieu de la synthèse de Hegel. Mes premières discussions avec Heinz Wismann portaient là-dessus : voici Parménide, voilà Gorgias, et puis enfin Kant vint pour expliquer qu’il y a deux illusions symétriques et qu’on peut en faire la critique. Ce modèle postkantien, qui va jusqu’à Habermas, est très respectable, mais ce n’est pas mon idée de l’histoire de la philosophie. Parce que cela revient encore à Un : ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une pensée critique que ce n’est pas une pensée unique. La victoire est déjà décernée, et cela ne me plaît pas, je n’y crois pas, cela me met mal à l’aise. Je ne crois pas pour autant que l’on soit dans une bascule incessante. Il me semble plutôt, tout simplement, que par rapport à la position dominante, il y a un discours second, critique si l’on veut, et que ce discours est passionnant. Il faut plus d’une langue pour savoir qu’on en parle une. De la même façon, qu’il y ait un discours second permet de mettre en perspective le discours premier, et de faire comprendre qu’il s’agit d’un discours — l’« onto-logie » est une « logie ».
Au fond, ce qui m’a intéressée, c’est de pouvoir changer de cour de récré, et cela, c’est ce que fait Gorgias.
C’est pour de bon de performance qu’il s’agit, ni de Parole à la Heidegger ni de Vérité à la Platon. Avec Alain Badiou — mais je voudrais d’abord parler de la générosité de son jugement, de ses nuances, qui font que nous avons toujours travaillé ensemble avec bonheur pendant quelque vingt ans —, avec Alain Badiou, c’est en revanche et plus que jamais de Vérité qu’il s’agit, et, à cause de cela, c’est encore l’Un qui ramasse la mise du multiple, du moins tel que je le conçois. Il salue la sophistique, mais comme un aiguillon nécessaire au platonisme. C’est vrai qu’il est tentant de confondre la position femme et la position du sophiste : mettre des bâtons dans les roues de la philosophie ; beaucoup de femmes philosophes, comme Catherine Malabou par exemple, accréditent, revendiquent cette position de trouble ou, mieux, de « faiseuses d’histoires » (c’est le titre choisi par Isabelle Stengers et Vinciane Despret). C’est une question que je ne cesse de me poser avec la Revue des femmes-philosophes de l’Unesco : comment le genre complique-t-il l’universel ? Pourtant la réponse « trublion » me satisfait de moins en moins, un peu comme si on en était toujours à accorder aux femmes le sentiment et la littérature, pour réserver aux hommes la raison et la philosophie, ou comme quand on consolait la Grèce vaincue (Græcia victa, ô combien au féminin) en lui disant qu’elle avait vaincu son féroce vainqueur. Je pense, et c’est bien sûr très politiquement correct, qu’il n’y a pas de « nature » femme, mais aussi que l’identité-femme est avant tout stratégique. Ainsi si Badiou me dit (ou me disait, car me le dit-il ?) : « Tu penses ainsi parce que tu es une femme », je devrais lui répondre : « Mais non, c’est en tant que philosophe » ; et quand il me dirait : « C’est comme philosophe que tu penses ainsi », je répondrais : « Mais non, c’est en tant que femme ».
Avec le Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles que vous avez coordonné, vous avez pris le parti de faire fond sur la différence des langues contre le global English, qui menaçait d’être adopté comme la langue commune des institutions européennes. Pourquoi l’idée d’une langue unique de communication est-elle dangereuse ?
Mais parce ce n’est pas une langue. Et qu’on accrédite l’idée que c’en est une. Une langue en effet n’est pas seulement un moyen de communication ; une langue, ce sont des auteurs et des œuvres, ce que les Romantiques allemands appelaient une « vision du monde ». Humboldt disait que le langage n’existe que sous la forme de la pluralité des langues, Umberto Eco ajoute que la langue de l’Europe, c’est la traduction. Ils ont évidemment profondément raison.
Ce qui tient lieu d’œuvres avec le globish [1], ce sont les dossiers de demande de subvention, les réponses aux calls : le globish est d’abord la langue de l’expertise internationale, qui a décidé en France même des subsides français à donner aux projets français, comme les LabeX, les EquipEX et les IdeX. Elle a pour première vertu de rendre possible le ranking, grâce à la magie de la « performance » qui permet de faire de la qualité une simple propriété émergente de la quantité. Je le souligne avec d’autant plus de force aujourd’hui que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a voulu légiférer pour qu’un établissement français enseigne en anglais, exclusivement en anglais s’il le souhaite, dès lors qu’il participe à un programme européen. Mais c’est une bêtise économique (pourquoi des étudiants brésiliens ou chinois viendraient-ils en France si c’est un sous-Harvard ? et que se passera-t-il quand l’Afrique francophone passera dans l’orbite anglo-saxonne ?) en même temps qu’un déni culturel et un non-sens politique. C’est bien mal interpréter et l’Europe et la mondialisation, qui peuvent rendre les différences plus aimables que l’homogénéisation. Nous préférons tous, je crois, un steak frites, un potage pékinois piquant et un osso bucco à la généralisation du MacDo.
Le Vocabulaire européen des philosophies, rédigé en français, est en cours de traduction/adaptation en anglais (à Princeton), en arabe (au Maroc), en ukrainien, en roumain, en portugais (au Brésil), en espagnol (au Mexique), en russe et en persan. Comment s’est fait le départ entre les entrées en français « métalinguistique » et celles en français « idiomatique », c’est-à-dire qui se sont révélées elles-mêmes intraduisibles du point de vue, par exemple, de l’anglais, puisque la traduction américaine vient de paraître en février 2014 ?
Le dictionnaire est rédigé en français, c’est vrai, le français a servi de métalangue. Mais nous avons travaillé entre les langues et, à ce titre, le français était aussi une langue entre autres. Lacan dit quelque part : « La métalangue, c’est la traduction. » Cela me convient parfaitement. La partage entre métalangue et idiome s’est fait, ou plutôt s’est peaufiné, en traduisant. Dans certains cas, c’est évident, même si ce n’est pas pour autant facile à gérer : ainsi c’est en français et non en anglais que « sens » signifie à la fois signification (meaning), sensation (sense) et direction, et c’est donc à partir du français — du latin, du grec, de certaines langues latines — que l’équivoque et son histoire s’analysent. Exactement comme c’est en russe que mir veut dire à la fois « paix », « monde » et « commune paysanne ».
Aucune entrée « idiomatique » n’est intraduisible pour autant, ou alors seulement dans le sens très précis que je donne à « intraduisible » : non pas ce qu’on ne traduit pas mais ce qu’on ne cesse pas de (ne pas) traduire — bref, comme symptôme de la différence des langues, condition transcendantale de la traduction. Mais dans le travail concret, le plus difficile à gérer, ce sont les citations sur lesquelles s’accrochent les articles et qu’ils commentent, car les erreurs ou les difficultés ne se recouvrent pas dans les traductions françaises et dans les traductions anglaises, d’Aristote par exemple, et il faut non seulement proposer de nouvelles traductions, mais réécrire les critiques des traductions standards.
Comme dit Kalle dans Dialogues d’exilés de Brecht, seuls les arbres ont des racines, et d’ailleurs peut-être les arbres seraient-ils contents de prendre l’avion comme nous.
Ce qui est le plus passionnant, je crois, c’est la manière dont chaque langue s’approprie l’ouvrage. Car l’intention est différente pour chacune, c’est une autre aventure. En anglais, le Dictionary of Untranslatables a été pensé par Emily Apter, Jacques Lezra et Michaël Wood comme une machine de guerre de l’English contre le Globish. Dans le monde anglophone, il ne va pas de soi de donner droit de cité à la différence des langues en philosophie, là où une certaine philosophie analytique supposerait plutôt des concepts indépendants des mots pour les dire et nécessairement peu situés dans l’espace et dans le temps — Aristote, mon collègue à Oxford…Ce n’est évidemment pas le souci de la traduction portugaise, qui est tendue vers la mise en question de la différence entre littérature et philosophie, et travaille en même temps la transformation de la langue-mère coloniale par les langues indigènes, quelque chose comme l’anthropophagie des langues. Ni de la traduction ukrainienne, qui a été décidée la première par Constantin Sigov, dans l’idée de faire exister une langue philosophique propre, différente du russe, en même temps qu’une communauté de philosophes, enseignants, chercheurs, étudiants, qui s’ignorait comme telle. Et, à la lumière des récents évènements, il m’importe au plus haut point de souligner que ce sont les mêmes qui ont pris la décision de le traduire en russe, et de trianguler la relation France-Ukraine-Russie.
De quelle(s) façon(s) la traduction des intraduisibles complique-t-elle le dispositif comparatiste initial, en particulier s’agissant du monde et de la langue arabes ?
Pour le monde arabe, l’enjeu est massif puisqu’il consiste à ouvrir l’une à l’autre des langues et des cultures que l’histoire a certes déjà réunies — en témoigne d’ailleurs la présence dans le Vocabulaire de l’arabe comme langue de passage et vecteur de transmission philosophique —, mais qui depuis lors se sont très largement ignorées, comme l’atteste le très petit nombre de traductions modernes vers l’arabe jusqu’à aujourd’hui ; la traduction en arabe littéral participe du nouveau moment d’accélération historique dans l’arrivée des textes, après celui du ixe et celui du xixe siècle, et s’appuie sur le système de la langue arabe pour créer de nouveaux paronymes, contribuant à redessiner les frontières du référentiel intellectuel. On ouvre portes et fenêtres, à nouveau, et c’est un geste là aussi hautement politique. Il faut d’ailleurs, dans tous les cas, faire des ajouts et procéder à des réécritures, pour mettre des accents là où le dictionnaire français est trop rapide. Ainsi, Ali Benmakhlouf réécrit une entrée « Sari’a » bien plus nourrie que celle du dictionnaire français qui portait sur « Torah, Sari’a, nomos, lex, Gesetz, Law ».
Le Vocabulaire, paru en 2004, identifiait le « nationalisme ontologique » (expression que vous empruntez à Jean-Pierre Lefebvre) comme l’écueil symétrique du « tout-à-l’anglais ». Le rapport Bénisti « Sur la prévention de la délinquance » rendu la même année a scandalisé en établissant un lien entre langue maternelle étrangère (le « parler patois du pays » des enfants d’immigrés) et délinquance. Un nouveau rapport sur l’intégration rendu en novembre 2013 à Jean-Marc Ayrault, qui incitait la France à « assumer la dimension arabe-orientale de son identité et à sortir de son attitude postcoloniale » par « une politique de la langue » consistant à développer l’enseignement de l’arabe, de l’amazigh, du bambala, du dioula, du lingala et du swahili, a suscité le même type de réactions, avec les mêmes mots : Thierry Desjardins, ancien journaliste au Figaro, s’offusquant ainsi que l’on prétende « considérer les borborygmes des patois africains sur le même plan que la langue française ». En quoi la vieille idée du génie des langues qui sous-tend l’assimilation entre « identité nationale » et langue maternelle est-elle banale, en quoi est-elle tragique ?
J’ai débattu récemment là-dessus avec Bruno Lemaire et Heinz Wismann à la BNF. Ils repartaient tous les deux de Madame de Staël et du fait que l’allemand était quand même une langue de philosophie et de rationalité, si bien que Madame de Staël s’ennuyait beaucoup parce qu’il n’y avait plus de conversation possible, le français étant à l’inverse une langue de conversation. Wismann rappelait cette anecdote qu’il raconte très bien dans Penser entre les langues, de Madame de Staël allant voir Goethe, et qui, dans une lettre où elle raconte son entretien, dit : « Mais il me caressait le bras ! », alors que Goethe écrit à son correspondant à lui : « Cette Française était parfaite, mais elle n’arrêtait pas de parler, je lui touchais le bras pour qu’elle se taise un peu ! »
Voilà le génie des langues. Pour moi, c’est quelque chose d’extrêmement inquiétant parce que c’est ridicule, et en même temps c’est tragique, avec Heidegger par exemple. Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette phrase qui date de 1930 : « La langue grecque est philosophique, autrement dit […] elle n’a pas été investie par de la terminologie philosophique, mais philosophait elle-même déjà en tant que langue et que configuration de langue. Et autant vaut de toute langue authentique, naturellement à des degrés divers. Ce degré se mesure à la profondeur et à la puissance de l’existence d’un peuple et d’une race qui parle la langue et existe en elle. Ce caractère de profondeur et de créativité philosophique de la langue grecque, nous ne le retrouvons que dans notre langue allemande [2]. »
Cela va du ridicule au tragique. Mais c’est un encombrant problème, c’est-à-dire qu’on ne s’en débarrasse pas, pas plus qu’on ne se débarrasse de la beauté des gens ou de leur laideur. Tout ce qu’on peut faire, c’est le travailler. Donc dénaturaliser la langue maternelle : c’est ce que j’ai essayé de faire dans La Nostalgie. À travers Hannah Arendt, qui dans son entretien avec Günther Gauss soutient à la fois que sa patrie, c’est sa langue, l’allemand, et qu’elle n’a jamais eu le sentiment d’appartenir à un peuple, pas plus allemand que juif. Ou en lisant Virgile, la manière dont, à la fin de l’Enéide, Jupiter ordonne à Junon de laisser enfin les Troyens s’installer pour fonder ce qui sera Rome, mais la console en lui disant que c’est bien elle qui a gagné puisque : uno ore fecit Latinos, ils parleront tous latin et oublieront leur grec. Il faut réfléchir au rapport entre langue et peuple, comprendre qu’une langue ne s’enracine pas dans un peuple, comment on peut disjoindre, comment « une langue, ça n’appartient pas », pour reprendre l’expression de Derrida.
Je ne remets pas en question les traits singuliers d’une langue, mais je la « dégénise », je la dénaturalise. Et alors elle est déjà beaucoup moins nocive, beaucoup moins dangereuse : un génie non enraciné n’est plus le même genre de génie. Pour moi la bonne métaphore qui dit la singularité des langues, c’est celle du filet qui pêche des poissons : qu’est-ce qu’on ramasse du monde et quel monde est ainsi produit, comme si c’était un filet performatif, et que le monde commun soit un point d’arrivée très virtuel, un principe régulateur.
C’est ainsi et seulement ainsi que la francophonie peut être bonne, et même tout simplement viable, non rance, non dangereuse : si elle implique « plus d’une langue », et agit en conséquence, à l’école comme dans la cité. Il y a du pain sur la planche, en l’occurrence. J’ai en tête comme modèle, au moins légal sinon réel, l’Afrique du Sud, ses onze langues nationales, la constitution du peuple arc-en-ciel rédigée dans chacune de ces onze langues, et avec au sein de chacune des rédactions, symboliquement, un mot zoulou, non traduit, intraduisible : ubuntu, qui dit quelque chose comme « nous sommes donc je suis », et qu’on rend par fellowship, ou par réconciliation.
Dans quel Sahel incroyable, sans oued et sans bateau, au plus loin de la Méditerranée, va-t-il devoir aller avant de pouvoir rentrer ?
Dans La Nostalgie, vous sondez le thème de la nostalgie en lien avec le déracinement et l’exil. Quand donc est-on chez soi ?
Pour certains dont je suis, c’est quand on est accueilli que l’on est chez soi, et non pas quand on a des racines. C’est peut-être parce que je n’ai pas de racines, mais peut-être aussi parce que, comme dit Kalle dans Dialogues d’exilés de Brecht, seuls les arbres ont des racines, et d’ailleurs peut-être les arbres seraient-ils contents de prendre l’avion comme nous. Ce qui m’a intéressée dans ce parcours, c’est que l’enracinement a un sens propre dans l’Odyssée. Le sens propre de l’enracinement dans l’Odyssée, c’est qu’Ulysse a creusé son lit conjugal dans un arbre qui était enraciné, c’est-à-dire un arbre qui n’était pas mort, qui avait ses racines. Il a donc creusé son lit dans cet arbre, autour de ce lit il a construit sa chambre, et autour de la chambre il y a eu le palais, autour du palais il y avait Ithaque, et personne ne le savait, sauf Pénélope. Le lit conjugal, c’est l’enracinement dans le sol. C’est véritablement du propre, et ce qu’il y a de très beau, c’est que ce soit cela le sêma, le signe de reconnaissance entre Ulysse et Pénélope. Ulysse exagère un peu : quand il revient au bout de vingt ans, Athéna a beau lui verser la kharis, la grâce, sur la tête quand il sort du bain, il a quand même vingt ans de plus, et puis il n’a pas arrêté de mentir et de se faire passer pour quelqu’un d’autre. Au lieu de lui sauter dans les bras quand il l’a revue pour la première fois, il a osé dire à Pénélope au bout de vingt ans : « Oui, j’ai rencontré Ulysse, d’ailleurs il m’a donné cette espèce d’agrafe, il te souhaite bien le bonjour, il reviendra sûrement… » Et il a beau la voir pleurer, rien, il dort la première nuit loin d’elle. Il y a de quoi être folle de rage, si elle l’a un peu reconnu. Et elle l’a sûrement un peu reconnu. Jamais on ne dit à quel point c’est normal qu’elle soit un cœur de fer, comme le lui reprochent Ulysse et Télémaque. Parce qu’elle refuse de le reconnaître quand il lui dit : « C’est moi Ulysse ». Elle couche les yeux en arrière, et elle a son cœur de fer dans les poumons. À ce moment-là, Ulysse dit : « Femme, mauvaise, tu ne veux pas me reconnaître ? » Et elle : « Mais si, bon d’accord. Nourrice, va préparer notre lit. » Alors Ulysse, furieux : « Quoi ? Femme, qui donc a déplacé mon lit ? » Elle : « Bon, alors c’est bien toi Ulysse. » Je trouve cela magnifique que l’enracinement soit non métaphorique à ce point-là et serve à la conjugalité : on est dans le « propre » dur, c’est le signe de reconnaissance entre une femme et son mari. Et il ne faut jamais oublier que la seule chose qu’il reste à faire à Ulysse après, c’est de repartir. Chaque scène de ce livre est d’une violence signifiante extrême. Que les dieux retiennent la nuit pour que la seule nuit qu’Ulysse passe avec Pénélope après vingt ans d’absence soit hors du temps, c’est magnifique : une nuit d’amour est hors du temps quoi qu’il arrive. On est tout le temps dans le propre. Ensuite il doit repartir avec une rame sur l’épaule jusqu’à s’éloigner de toute civilisation maritime au point qu’un étranger le croise et lui dise : « Étranger, quelle est cette pelle à grain sur ta brillante épaule ? » C’est la meilleure manière de signifier ce que c’est que le tout autre : le tout autre, c’est quand ce n’est plus la même civilisation. Et peut-être que cela n’arrive jamais, peut-être qu’Ulysse ne reviendra jamais, est-ce qu’un jour un passant lui dira cela ? Qui n’a jamais vu une rame sur une rivière, dans un bateau de rivière ? Dans quel Sahel incroyable, sans oued et sans bateau, au plus loin de la Méditerranée, va-t-il devoir aller avant de pouvoir rentrer ?
Pourtant l’étranger est quand même obligé de reconnaître cette rame comme une pelle à grain, de se l’approprier en l’assimilant à sa propre civilisation agraire…
Absolument, c’est l’extrême méprise qui indique que l’on n’est pas chez soi. Du coup, c’est qu’ailleurs on y était, donc on peut rentrer. De la même manière, peut-être faut-il connaître, ou au moins flairer, deux langues pour savoir qu’on en parle une, que c’est une langue que l’on parle.
D’Ulysse à Énée, écrivez-vous, on passe de la nostalgie à l’exil : qu’est-ce qui est sensible dans l’exil qui ne l’était pas dans la nostalgie ?
La nostalgie est désir et souffrance du retour. Avec l’exil, on quitte pour de bon, sans retour. Et on s’installe ailleurs, si l’on peut. Tant que l’on cherche un même, un « comme avant », cela ne marche pas : c’est la grande leçon de l’Enéide. Chaque fois qu’Enée veut fonder quelque chose « comme » Troie, que cela ressemble par le paysage, le site, le nom, les femmes, c’est impraticable, une peste, un prodige, va l’en chasser. Il doit même laisser les Troyennes derrière lui (sa femme, elle, a disparu la nuit de la fuite parce qu’il allait trop vite), les laisser se poser quelque part et partir pour pouvoir fonder vraiment autre chose avec d’autres mariages, d’autres nœuds, d’autres liens, une autre langue.
Qu’est-ce que cela dit de l’origine, et du rapport au territoire ?
Là c’est particulièrement compliqué, et sournois. Parce que voyez-vous les Troyens étaient des Latins, à l’origine… Et d’ailleurs les Latins étaient eux-mêmes des Grecs ! Tout se croise de manière à montrer que l’origine est là où l’on veut qu’elle soit, là où c’est le plus utile. L’origine est une fiction stratégique. Cela s’appelle le symbolique, peut-être.
Pourquoi Hannah Arendt, « naturalisée » en son exil américain, refuse-t-elle à toute force de se désapproprier de sa langue maternelle, en cultivant son accent et en creusant dans ses écrits l’anglais par l’allemand ?
Arendt dit tout le temps qu’elle ne s’est jamais sentie appartenir à un peuple, à un État si l’on veut, mais pas à un peuple. Et c’est comme cela que la langue allemande peut lui être à nostalgie, alors que ni l’Allemagne d’Hitler ni le peuple allemand ne peuvent lui apparaître comme un objet de nostalgie. En revanche, la langue allemande qui est déliée du peuple, qui n’appartient pas au peuple allemand, elle en est nostalgique, parce que c’est celle dans laquelle elle a appris à parler, à chanter, à penser, à rêver, à vivre, dans laquelle elle a appris des poèmes qui sont « in the back of my mind », dit-elle bizarrement en anglais. De la langue déliée du peuple, déracinée, ou plutôt sans racine, d’une langue maternelle dénaturalisée, elle peut être nostalgique, et la trimballer partout avec elle.
Cette résistance de Arendt, vous lui attribuez une signification singulière. Si elle agit différemment d’autres réfugiés qui cherchent à obéir aux exigences du pays d’accueil en « rematernalisant » tant bien que mal l’autre langue, si elle s’accroche à sa langue maternelle, c’est pour conserver la possibilité d’inventer dans sa langue… Qu’est-ce qu’une langue « maternelle » ?
Cela, c’est lié à ce que j’ai cru comprendre qu’Arendt voulait dire par « banalité du mal » quand j’ai lu de près ce qu’elle dit d’Eichmann : qu’il ne parlait que par clichés, que la langue allemande n’arrêtait pas de lui jouer des tours. Parler par clichés, c’est cela je crois le vrai sens de la banalité du mal. C’est déjà, d’une certaine manière, être dans la banalité du mal que d’accepter de ne plus inventer dans sa langue, d’accepter d’être dans les « éléments de langage ». Bien sûr, tout cela est lié à l’imparable perception philologique de Victor Klemperer dans Lingua Tertii Imperii, titre par lequel il désigne la langue du Troisième Reich. Destitué de sa chaire de littérature française à l’université de Dresde, Klemperer a tenu depuis sa « maison de Juifs » un Journal d’un philologue, dans lequel il a noté d’heure en heure, de 1936 à 1945, la manière dont le nazisme infusait et transformait la langue allemande. On voit très bien comment une langue peut être modifiée de l’intérieur par de petites doses d’arsenic qu’on avale sans y prendre garde, et sans que l’effet toxique se fasse sentir sur le coup [3]. Il y a là toute une tradition depuis Thucydide, qui analyse la stasis, la « guerre civile » de Corcyre, avec les mots de la peste d’Athènes, comme une maladie qui va jusqu’à changer l’usage normal de la langue : on devient étranger à sa propre langue, on est obligé de la transformer à l’intérieur de soi. Et puis l’autre exemple beaucoup plus proche que je prends très souvent, c’est la commission Vérité et Réconciliation mise en place à partir de 1995 en Afrique du Sud pour tenter de mettre fin au régime d’apartheid. Il y a de longs passages où le président de la commission Desmond Tutu commente les témoignages de gens à qui on disait de tuer mais sans utiliser le mot « tuer ». C’est comme la solution finale, on le voit dans la Conférence de Wannsee [4]. Ce film est magnifique parce que jamais rien n’est dit. Or c’est la transcription exacte des notes qui ont été prises, et je crois que les notes ont été extrêmement fidèles, simplement on n’entend jamais qu’il s’agit de tuer des Juifs. C’est une espèce de magnifique équation feutrée, et qui a l’air tellement transparente, tellement limpide ! Tout régime totalitaire propose une langue tordue, une langue de bois. C’était très clair dans les actes d’apartheid, qui sont des textes complètement tordus où l’on définit ce qu’est une white person, a native, a black, a colored person de manière absolument aberrante par rapport au sens normal des mots et à l’évidence. Ce qui s’est passé pendant l’apartheid, c’était ce type de choses. Les appelés disaient combien c’était terrible pour eux d’être obligés d’appeler « terroristes » des gens qui se défendaient. Comment on change le sens des mots : « terroristes », « combattants de la liberté », qui est quoi ? De quel côté de la feuille de cigarette est-on ? Du coup on a très peur pour l’usage que l’on fait soi-même des mots, et on a raison.
Quand dire, c’est vraiment faire
L’originalité du geste de Barbara Cassin, philosophe et spécialiste de la Grèce ancienne, consiste à jeter un pont entre pensée antique et monde contemporain. Geste qui l’a conduite de Si parménide (1980) et L’Effet Sophistique (1995) au Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles (2004) qu’elle a dirigé et à Jacques le Sophiste (2012), sur J. Lacan. Elle revisite les « inventions de la tradition » à l’œuvre dans la lecture dominante de l’histoire de la philosophie, mais aussi dans notre philosophie spontanée du langage… et dans la construction de fictions comme celle d’identité nationale. Sans jamais avoir peur de faire crier au loup, le nom le plus commun du loup d’aujourd’hui étant « relativisme ». Car si l’ontologie ou discours sur l’être est pour de bon une « logie », c’est-à-dire un discours en langue, ou plutôt en langues, entendues avec Humboldt comme visions du monde, que reste-t-il de nos certitudes fermes sur le monde ? Peut-être plus qu’on ne croit, et surtout un regard neuf porté sur le pouvoir performatif du langage, et sur les modes de subjectivation dans la langue — ou plutôt dans les discours. Car c’est bel et bien d’inventer qu’il s’agit toujours.
Bibliographie
- Si Parménide : le traité anonyme « De Melisso, Xenophane, Gorgia », édition critique et commentaire, PUL-MSH, 1980.
- L’Effet sophistique, Gallimard, 1995.
- Aristote et le logos : contes de la phénoménologie ordinaire, PUF, 1997.
- Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles (dir.), Robert/Seuil, 2004.
- « Vérité, réconciliation, réparation » (dir. avec O. Cayla et Ph.-J. Salazar), Seuil, « Le Genre humain », 2004.
- Avec le plus petit et le plus inapparent des corps, Fayard, 2007.
- Google-moi. La deuxième mission de l’Amérique, Albin Michel, 2007
- Heidegger. Le nazisme, les femmes, la philosophie (avec Alain Badiou), Fayard, 2010.
- Il n’y a pas de rapport sexuel. Deux leçons sur « L’Étourdit » de Lacan (avec Alain Badiou), Fayard, 2010.
- Jacques le Sophiste. Lacan, logos et psychanalyse, Epel, 2012.
- Plus d’une langue, Bayard, 2012.
- La Nostalgie, Paris, Autrement, 2013.
- Derrière les grilles. Sortons du tout-évaluation, Mille et une nuits, 2014.
- Quand dire, c’est vraiment faire. La troisième dimension du langage, Fayard, 2014.
Notes
[1] Pour un développement sur le globish, voir Barbara Cassin, Google-moi. La deuxième mission de l’Amérique, Paris, Albin Michel, 2007 ; et Plus d’une langue, Paris, Bayard, 2012.
[2] M. Heidegger, De l’essence de la liberté humaine, Introduction à la philosophie [1930], tr. E. Martineau, Gallimard, 1987, p. 57 sq.
[3] Victor Klemperer, LTI, la langue du iiie Reich. Carnets d’un philologue, trad. Élisabeth Guillot, Albin Michel, 1996. Voir aussi « Politiques de la mémoire. Des traitements de la haine », Multitudes, n° 6, septembre 2001, p. 176-196, et « Amnistie et pardon : pour une ligne de partage entre éthique et politique », in Vérité, Réconciliation, Réparation, dir. Barbara Cassin, Olivier Cayla et Philippe Joseph-Salazar, Seuil, 2004, p. 37-57.
[4] Téléfilm allemand de Heinz Schirk (1985) sur la conférence de Wannsee, qui réunit le 20 janvier 1942 une quinzaine de dignitaires et hauts fonctionnaires du régime nazi, dont Adolf Eichmann, dans l’objectif de résoudre les problèmes logistiques posés par la « solution finale » de la question juive, décidée par Hitler l’année précédente.