avant-propos

sur les quais : marins en quarantaine

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L’abandon de navires par des armateurs endettés — ou prétendus tels — est devenu une pratique courante depuis vingt ans. De Rotterdam à Gibraltar, de Sète à Istanbul, les ports européens abritent ces « bateaux orphelins » sur leurs quais. En France, on a dénombré 29 bâtiments « oubliés » entre 1997 et 2000. L’extension des pavillons de complaisance, sous lesquels naviguent aujourd’hui 20% de la flotte mondiale et plus de 50% des gros tonnages, a permis la généralisation de ces pratiques (cf. l’article de François Lille).

Les marins sont les premières victimes de l’abandon des bateaux par leurs armateurs. Leur séjour prolongé dans les ports les réduit à la mendicité et laisse leurs familles sans ressources. La plupart sont obligés de refuser leur rapatriement - quand il est organisé -, parce que le navire demeure le seul gage du paiement des salaires, et parce qu’il faut bien l’entretenir pour des acheteurs potentiels.

Le navire reste le seul élément du patrimoine de l’armateur qui soit facilement identifiable. La vente forcée des navires est organisée par la loi du 3/1/1967 ; or son articulation avec certains textes de droit commun conduit à des délais de procédure abusivement longs. Le Kifangondo est ainsi resté six ans le long d’un quai du Havre, avant que les marins angolais ne rentrent dans leurs droits.

Pourtant les marins abandonnés sont toujours des cas d’urgence : pendant toute la durée de la procédure, ils sont confrontés à l’épuisement inéluctable des ressources en nourriture et en gasoil, à la dégradation de l’état de santé de l’équipage et ne peuvent survivre que grâce à une aide humanitaire. Les organisations syndicales et les collectifs qui défendent les marins abandonnés demandent depuis longtemps une simplification des procédures de ventes judiciaires de navires.

Il faut savoir aussi que la législation française ne donne pas aux marins les pouvoirs nécessaires pour conduire la procédure, bien qu’ils soient parmi les principaux créanciers de l’armateur. Par ailleurs, les droits et frais de port bénéficient d’un privilège supérieur à celui des marins.

Les avancées sont lentes ; si les créances salariales ne sont toujours pas placées au premier rang, un arrêt de la Cour de cassation du 18/7/2000 a admis que les tribunaux français sont compétents pour juger de la créance salariale d’un marin lorsque son navire est saisi en France.

Depuis deux ans, des « collectifs de marins abandonnés » se sont organisés dans plusieurs ports français (cf. l’article d’Olivier Aubert). Ils ont pour but de relier localement tous les acteurs de ces drames maritimes, de veiller à ce que les juridictions saisies n’aggravent pas la situation des marins oubliés, d’organiser des systèmes de veille efficaces autour des côtes françaises pour prévenir les navires en difficultés, etc. Ils réclament la création d’un droit social du monde maritime qui, depuis des décennies, s’est transformé en laboratoire de la réglementation sociale. La communauté européenne a bien émis diverses recommandations visant à améliorer la sécurité du transport pétrolier, mais celles-ci ne concernent pas les conditions sociales des marins.

reportage photo : Olivier Aubert (disponible uniquement dans la revue)