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Des lignes qui ne mènent nulle part, des lumières sur le rien Au bout du fil par Lukas Schrank, 15 minutes.

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Des lignes qui ne mènent nulle part, des lumières sur le rien

Au bout du fil par Lukas Schrank, 15 minutes, anglais sous-titré en français.

Film produit en 2015 en Grande-Bretagne. Titre original : Nowhere Line : Voices from Manus Island // Scénario : Lukas Schrank // Montage : Chris Ward // Musique : Ian King // Production, distribution : lukas@lukasschrank.com.

En accès libre pour les abonnés de Médiapart, et projeté au festival de Douarnenez entre le 19 et le 27 Août.

Avec les voix, les dessins racontent la violence arbitraire et clandestine d’un État qui disparaît. Dans un camp de rétention de migrants sur Manus, une des îles de l’Amirauté en Papouasie-Nouvelle-Guinée, jadis visitée par l’anthropologue Margaret Mead, aujourd’hui 43 000 habitants malgré sa végétation dense entre jungle et forêt tropicale, deux Iraniens narrent leur histoire par téléphone. Les dessins illustrent ces évocations de la vie des corps et de l’esprit. Par réflexe, je peux me garder des illustrations qui viendraient s’ajouter au récit comme pour le rendre plus vrai, mais pourraient aussi bien soit mentir soit noyer les mots. On peut aussi espérer des voix qu’elles incarnent toute de présence et de chair le récit. Dans Au bout du fil, (Nowhere Line : Voices from Manus Island), les voix sont enregistrées par téléphone, de chair il n’en reste presque pas. Une ligne venue de nulle part, un téléphone qui grésille et des dessins donc, qui pourraient n’être que des illustrations.

Des lits de fer superposés défilent, menaçants, évoquant ceux de nombreux camps de détention de par le monde. Plus de lits, plus gris peut-être. Mais le trait de crayon leur donne la qualité d’une fiction, imaginée par un artiste.

Un homme est assis dans un transat dans la nuit, une radio sur les genoux, il cherche à capter de la musique qui vient de loin comme un ailleurs serein. Le film relate une nuit où le camp a été ouvert à une horde en colère venue des villages avoisinants dans cette île de Manus où la population meurt de faim.

Il dénonce. Il donne à entendre aussi. Les images incarnent la souffrance, la peur, le désespoir, le doute, le répit et la détermination. Elles rendent à leur efficacité les mots qui sont employés par les deux protagonistes pour décrire l’atrocité des traitements qu’ils ont à subir. Les codes graphiques de la BD d’aventure obligent à s’interroger non pas sur la véracité des faits, mais sur la probabilité d’un monde réel qui dépasse en insoutenable l’imaginaire. Alors, une question s’impose, qui appartient aux codes de la fiction et que le témoignage vient compliquer. Est-ce un monde possible ?

Les lumières du camp de rétention sur l’île de Manus, les premières allumées dès la première image, sont les seules représentations graphiques évoquant les autorités australiennes, pourtant responsables de cet enfer sans issue. La surveillance, c’est toujours la lumière violente projetée sur du rien, sur de l’attente, sur de la vie quotidienne qui ne demande qu’à s’écouler, jusqu’à ce que l’image qu’elle produit enfin à force de surveiller soit une image de l’horreur. Cette nuit là apparemment les lumières sur le camp avaient été éteintes.