Bonnes conduites ? / 2 petite histoire du « politiquement correct »
par Philippe Mangeot
Dans la première partie de cette enquête, on abordait trois des fronts les plus importants de la « bataille du politiquement correct » — l’enseignement, la « discrimination positive » et le lexique. On voudrait poser ici la question plus épineuse des représentations. Et récuser une fois pour toutes la fausse alternative entre correction et incorrection politique.
Un mot pour un autre, « dites/ne dites pas » : c’est le jeu d’enfant auquel on veut réduire, sous l’appellation commune de « correction politique », tout un travail de questionnement du vocabulaire employé pour désigner les minorités. Dans le premier numéro, je disais que cela procédait d’une confusion entre lexique et discours. Les contempteurs du pc ne connaissent que les squelettes du langage.
Au mieux, ils pèchent par ignorance. Ou par esprit de sérieux. Qu’auraient-ils à dire, en effet, du travail incessant sur les discours et les représentations produit dans les mouvements a priori les plus suspects de correction politique ? Chez ces derniers, une volonté affichée de contrôle des discours tenus sur leur compte va de pair avec l’élaboration de contre-discours qui feraient frémir les adeptes les plus fervents de l’incorrection politique.
Au moment où le port du ruban rouge s’est imposé comme le signe d’une compassion obligatoire à l’égard des malades du sida, des militants d’Act Up ont inventé un humour d’un incontestable mauvais goût. Un humour séropositif, comme il y a un humour juif. Rira qui pourra. Dans leur journal, un sottisier — « C’est le sida qui l’a sauvé de la dépression. » — des conseils — « Les nouveaux chandeliers de chez Habitat font des porte-perfs épatants. » — un manuel de savoir-vivre — « Pour rire un peu, dites à votre fiancé séropositif que vous avez longuement réfléchi et qu’il vous semble que votre relation n’a pas d’avenir. »
Ces plaisanteries étaient publiées dans Cosmopolitan ou Le Figaro, elles étaient immédiatement sanctionnées par une action d’Act Up. C’était un humour irrécupérable, qui s’autorisait à la fois du combat et du désespoir, à l’encontre des discours sentimentaux et réconciliateurs qui fleurissaient alors sur les plateaux de télévision.
Depuis quelques années, des artistes de l’extrême gauche israélienne pratiquent un théâtre qui présente la Shoah d’une manière grotesque et drôlatique. La troupe Gesher joue Adam’ Zirkus dans un cirque dont la piste est traversée par des rails. A la manière d’un Monsieur Loyal, un SS de pacotille annonce aux spectateurs que ceux qui seront resté sages gagneront un savon. Et dans Arbeit macht frei de Dudi Mayan, un Palestinien, qui ouvre la pièce en faisant visiter un musée de la déportation, invite à la fin du spectacle le public à quitter son siège pour le rouer de coups. Dans la ligne de mire de ces deux productions, la façon dont l’Etat d’Israel a pu instrumentaliser la Shoah à des fins d’unité nationale.
Cet humour inconvenant brouille les frontières de la correction et de l’incorrection politique, au point de les rendre aussi illisibles qu’inutiles. Il est le fait de ceux qui se montrent le plus intransigeants en matière de correction politique ; mais il renvoie ceux qui se réclament de l’incorrection politique, au mieux à la vanité d’une ironie de bon aloi, au pire à l’obscénité d’un comique de troupe : passez la tirade du SS de Adam’ Zirkus aux « Grosses têtes ». Juste pour voir.
Qui parle ?
Ils rappellent une vérité simple : qu’il ne suffit pas que deux discours soient formellement identiques pour qu’ils aient le même sens ; que chaque discours est un événement singulier, lié à une situation qui ne se répète pas. On dira peut-être qu’ils jouent avec le feu. Pour prendre la parole, il faudrait d’abord montrer patte blanche et décliner son identité ? Ne risque-t-on pas de retomber sur un présupposé identitaire qui ne reconnaîtrait qu’aux noirs le droit de parler des noirs, aux femmes celui de s’exprimer sur les femmes, aux séropositifs celui de tenir un discours sur le sida ? C’est l’une des lignes de front des adversaires du pc : ils invoquent une liberté de parole et de pensée qui n’exigerait aucune autorisation préalable ; faute de quoi, on s’acheminerait vers une culture de plus en plus morcelée, inconciliable, irrassemblable.
Cette question traverse tous les groupes, toutes les expériences minoritaires. Je me souviens qu’à Act Up, elle a été un moment réglée par la formulation du concept ambigu de « séropositivité politique » : dans un discours public, quel que soit son statut sérologique, on est malade. C’était une réponse locale et instable. Mais c’est peut-être la qualité de cette question que de se reposer sans cesse sans jamais trouver de réponse définitive : sa réflexion systématique est sa seule « réponse » possible. Rien à voir, en tous cas, avec l’épouvantail de la « dictature des minorités » : cette réponse-là est un coup de massue qui prétend arrêter la question en imposant le silence. Elle est le fait de ceux qui ont déjà la parole et qui entendent la garder. Ils avancent comme mot d’ordre le droit pour tous à parler de tout — c’est le mot de leur ordre.
Reposer la question, justement, au moment où on lance un journal. Dans le dossier sur les sourds de ce numéro, Bachir Saïfi regrette que des entendants prétendent parler au nom et à la place des sourds.
Vade-mecum pour Vacarme : privilégier ce qui se dit et ce qui se parle à la première personne ; y voir toujours un événement, qui tranche sur la rumeur des « on dit » : le café du commerce et le savoir distant des spécialistes — la pensée de gare ou celle de l’académie. Parler à la première personne, c’est ne pas faire double emploi : les clichés et les poncifs relèvent toujours d’une raison anonyme. Cela ne dispense ni de la critique, ni du débat : on ne peut répondre qu’à quelqu’un qui prend le risque d’une parole ou tout lui est compté. Encore faut-il avoir commencé par la lui laisser.
En grammaire, les partitifs « du » ou « de la » déterminent les substantifs par lesquels on désigne ce qui ne se dénombre pas par unité. S’il y avait une grammaire pour les représentations, c’est le partitif qui déterminerait les minorités. Comme quand on dit « casser du noir ». Qu’on le veuille ou non, un noir, une lesbienne ou un beur, représenteront toujours autre chose qu’eux-mêmes dans un film ou un texte : c’est la figure imaginaire du Noir, de la Lesbienne ou du Beur qu’ils viendront compléter. Question de fréquence : un personnage minoritaire est, plus immédiatement qu’aucun autre, symbole et symptôme. Il faut préférer au partitif une autre figure : la première personne du singulier. Parce que c’est du fond de cette singularité que pourra s’inventer une communauté, se forger une autre conscience. L’usage de la première personne est contagieux.
Quelles images ?
Parler à la première personne, pour objecter aux images dominantes, aux stéréotypes et aux clichés, à tous les processus de normalisation qu’ils opèrent. Au coeur de la problématique minoritaire, il y a la question des représentations, qui est aussi l’un des points cruciaux de la querelle du pc. Toutes les minorités sont confrontées à la façon dont des représentations majoritaires, produites et colportées par des discours politiques, scientifiques ou artistiques, leur assignent une identité préalable et préconçue. Sachez reconnaître un juif. Ou un pédé, ou un séropositif — il y a quelques années, on discutait dans Le Parisien de l’opportunité de les tatouer. Pour les femmes ou les noirs, il paraît que cela se voit davantage. L’inventaire des scénarios disponibles est vite fait : un pédophile est un tueur en série ; un homosexuel a la trahison chevillée au corps et la mort est la vérité de son désir ; une femme est une putain à moins qu’elle ne soit une idiote ; un Arabe est voleur et chafouin ; quant aux vieux, ils sont fatalement teigneux. Tout le monde sait cela.
En face, une autre série, tout aussi pauvre : le pédophile est un malade, le gay fait un confident cultivé, une maman sommeille en toute femme, un arabe est fin et un vieux souvent sage. Le revers de la même médaille. Les stéréotypes vont toujours par deux : le cliché et le chromo, trop de fiel ou trop de miel. La série « positive » donne également la nausée. Elle est connue d’avance, soigneusement balisée et rigoureusement inhabitable. Nous n’avons que faire de ces images. On peut aimer les contes de fée pour leur part d’utopie, pas ces mystifications qui décrivent un monde apaisé et réconcilié, pourvu que chacun y joue son rôle et y garde sa place. On peut être également friand des monstres et de la catastrophe : parce que le monde n’est, justement, ni apaisé, ni réconcilié. De ce point de vue, la question de savoir si la femme est une fois de plus une salope castratrice, le pédé une folle sinistre et l’arabe un escroc minable est peut-être mal posée. La seule question qui compte est celle de la surface d’accueil ménagée par le personnage, l’invitation faite ou non au spectateur ou au lecteur à résider dans son voisinage. Le problème est qu’ils sont souvent aussi hospitaliers que des inclusions de plastique.
Quelle critique ?
La question de la représentation des minorités est une bonne perspective critique. Question de la valeur, qui recommande de penser ensemble l’art, le politique et l’éthique. Que penser d’une œuvre si elle se laisse aller à l’éternelle reprise des mêmes poncifs, sinon qu’elle est un académisme, un rituel funèbre, les yeux tournés vers le passé ? A moins de mettre l’art dans une case à part, de n’y voir qu’un simple divertissement de société — et de le disqualifier. Combien vaut une œuvre, à l’inverse, quand elle fait craquer des catégories considérées comme intangibles, qu’elle rend notre relation au réel à la fois plus problématique et plus intelligible et qu’elle fait grincer la machine idéologique.
Cette critique de l’art est politique, mais elle n’est pas une politique pour l’art. Ce que les contempteurs du pc ne veulent justement pas savoir. Alors ils hurlent au néo-jdanovisme. Ils seraient pourtant bien en peine de trouver une communauté capable d’énoncer d’une seule voix une image d’elle-même à la fois correcte et juste. Pas de charte en effet, sinon par défaut, mais un travail critique, un débat jamais tout-à-fait arrêté ni résolu. Je m’étonne souvent que des féministes aient vu chez Fassbinder de la misogynie après Les Larmes amères de Petra von Kant, des homosexuels de l’homophobie dans Le Droit du plus fort et des juifs de l’antisémitisme au moment de L’Année des treize lunes. J’aime au contraire que ces films adoptent le point de vue le plus minoritaire, celui de la minorité dans la minorité, et qu’ils n’aient eu de cesse de désigner, depuis ce point de vue, le fonctionnement majoritaire de certaines communautés quand elles sont rattrapées par les fantasmes du pouvoir, du contrôle et de l’exclusion. Je connais aussi par ailleurs des femmes particulièrement vigilantes sur les questions féministes, qui n’ont pas été contrariées comme je l’ai été par le traitement des figures féminines dans le dernier film d’Arnaud Depleschin. L’existence de ces débats à l’intérieur de toutes les minorités n’en laisse pas moins intactes la légitimité et la nécessité des questions qui les suscitent.
Quelle censure ?
Restent tout de même en mémoire quelques affaires retentissantes, entre le sordide et le ridicule : aux Etats-Unis, l’appel manqué d’associations lesbiennes au boycott de Basic Instinct ; le tournage du Silence des agneaux perturbé par des groupes gays ; et dans un registre plus inquiétant, l’ouverture compromise d’une exposition sur Freud organisée il y a un peu plus d’un an par la Bibliothèque du Congrès américain, sous prétexte qu’il présentait une image dégradante de la condition féminine. La colère libératrice s’échoue dans le fantasme d’une moralisation des discours et des œuvres. Difficile de ne pas songer aux agissements d’intégristes catholiques au moment de la sortie de La Dernière tentation du Christ, ou à l’interdiction par le sénateur Helms de l’exposition de Robert Mapplethorpe
Pas question ici d’exonérer ces pratiques et ces groupes ; mais pas question non plus de céder trop longtemps à la tentation de l’amalgame, qu’a justement servie l’invention du politiquement correct pour mieux disqualifier les mouvements minoritaires. D’abord, ce ne sera pas la première fois qu’un bel élan libérateur s’effondre dans le moralisme dogmatique et le ressentiment. Mais ici encore, on se gardera d’aller trop vite en besogne. Ce serait en effet confondre, comme le font systématiquement les anti pc, une forme spécifique d’action et les questions qui la motivent. En d’autres termes, ce n’est pas parce que quelques activistes gays, noirs ou féministes emploient parfois les mêmes méthodes que les groupes intégristes qu’on peut les renvoyer dos à dos. Un soldat ressemble toujours au soldat de l’autre camp. Les croisés de l’extrême droite savent bien tout le profit qu’ils peuvent tirer de cette confusion, largement entretenue par le concept trop vaste de correction politique. Eux aussi défendraient des minorités menacées ; eux aussi seraient victimes d’incitations à la haine raciale. Il y a urgence aujourd’hui à renouer avec la notion de lutte minoritaire, que la vogue du pc a largement contribué à dévaluer. Au contraire du pc, elle ne se confond pas avec les formes ; elle est la contestation de ces normes et de ces pouvoirs dont l’extrême droite réclame au contraire l’affermissement.
Rien d’aussi déprimant, cependant, que de voir des mouvement minoritaires adopter des méthodes aussi antipathiques qu’inadaptées à leurs marges de manœuvres réelles : la censure et le boycott n’ont d’efficacité, au moins pour un temps, que s’ils sont le fait d’un pouvoir préalable, suffisamment acquis et reconnu comme tel pour assurer à l’interdit un minimum d’étanchéité. Si des vieux, des gays, des noirs, des femmes, des arabes et des malades avaient pris le pouvoir à Hollywood et à la télévision, cela se saurait et cela se verrait. Il y a sans doute de l’erreur tactique dans cette façon qu’ont des groupes dont la parole est comptée et le droit de cité contesté de partir en guerre contre une machine idéologique toute puissante et inassignable : Don Quichotte contre les moulins à vent. Tout au plus risquent-ils d’auréoler les œuvres incriminées d’une gloire subversive qu’elles ne méritent pas.
Il faudrait toutefois rappeler à ceux qui, en France, hurlent à la chasse aux sorcière contre les velléités de censure pc, qu’ils semblent accepter sans discussion la sanction de la provocation à la haine raciale inscrite dans le Code pénal français, alors qu’il n’existe aucun dispositif de ce type aux Etats-Unis. C’est pourquoi, au-delà des caricatures, on doit essayer d’entendre ce qui se tente dans ces appels au boycott. Peut-être est-ce avant tout une façon de prendre une parole qu’on n’aurait pas donnée, de faire feu de tout bois et de toute occasion. Il y a toujours de l’opportunisme dans l’usage du droit de réponse. Au risque d’être mal compris, tant par ceux qui crient à la censure sans pouvoir raisonnablement y croire que par ceux qui y voient seulement de la bêtise stratégique. Chez les premiers, le tir est trop long pour être honnête ; chez les seconds, il est trop court pour se donner les moyens de comprendre.
Questions de rhétorique
Trop court ou trop long : au terme de cette enquête, on a le sentiment que le scandale suscité par une correction politique très largement mystifiée n’est jamais à la bonne distance critique. L’Amérique est vue d’avion, on prend au sérieux des pastiches, des affaires relativement marginales suscitent des pages de commentaires, mais on passe sous silence des pans entiers des pratiques politiques des minorités. Surtout, on pallie son ignorance par des trucs rhétoriques vieux comme le monde : du cliché en-veux-tu-en voilà (le puritanisme américain), des alliances de mots hardies (la dictature des minorités) des enfilades de paradoxes (les effets pervers de la discrimination positive), des formules choc (la « balkanisation » de la nation) etc.
Ouvrez n’importe quel numéro du Nouvel Observateur à la page de Jacques Julliard : il y parle forcément du pc — c’est sa guerre. Le 2 janvier 1997, sa chronique est intitulée « L’Oncle Sam et l’amour ». Elle est consacrée à la « sexual correctness », qui est une variante locale et moderne du pc. Julliard prend prétexte d’un best-seller idiot, The Rules, qui donne 35 recettes pour trouver un mari. Il feint d’ignorer que c’est un classique éculé des magazines féminins, sans doute écrit et toujours consommé au nième degré. Fine mouche, il y décèle au contraire le signe du mal qui ronge l’Amérique : l’amour. Il suffisait de le dire pour que la machine rhétorique s’emballe. Tout y est : le lieu commun (« le climat hystérique qui frappe tous les voyageurs »), le sophisme nauséeux (« la banalisation de l’amour, c’est-à-dire la libération des moeurs »), la métaphore obscène (« la solution finale, c’est-à-dire le féminisme à l’américaine »), sans compter la plaisanterie graveleuse : là bas, les filles sont « si bien parvenues à dissimuler leurs caractères sexuels secondaires » que « perpétrer dans ces consitions les agressions dont elles se prétendent menacées relève, non de la transgression, mais de l’héroïsme ». Vu, les gars ?
Il y a des gifles qui se perdent
Un autre exemple, qu’on pourrait lire comme un apologue de la querelle du pc. Il y a un peu plus de deux ans, le chorégraphe Bill T.Jones a présenté sa dernière création, Still/Here, dont il puisait la matière dans des ateliers qu’il avait montés avec des personnes atteintes de maladies incurables. Dans un article du New Yorker, la critique Arlene Croce annonçait qu’elle n’en parlerait pas, pour la bonne et simple raison qu’elle n’irait pas le voir. Elle n’en avait pas moins une idée très précise d’un spectacle qui relevait d’un genre tout neuf : le « victim art » : Est-ce encore de l’art, demandait-elle, « quand les acteurs ne se contentent pas de jouer la comédie de la mort, mais sont vraiment mourants ? » Il faudrait souligner tous les termes, qui disent sans détour ce que Croce entend par l’art : un « jeu » de société, dont le principal mérite eût été de la laisser tranquille. D’autant qu’à défaut de critiquer le spectacle, elle parlait de l’homme, qui est noir, gay et séropositif, auquel elle réduisait l’œuvre. C’est elle qui assignait d’avance des identités que l’œuvre avait peut-être pour fonction de brouiller et de faire bouger. Mais au moment où elle faisait cette confusion entre l’homme et l’œuvre, elle demandait leur séparation.
Avez-vous remarqué que quand on demande des comptes aujourd’hui à ceux qui rééditent Drieu et Morand, on est immédiatement suspect de correction politique ? Le style, dit-on. Pas l’homme. Comme si le style n’était pas de la pensée.
L’affaire Croce parle de tous ceux qui ont fait de la lutte contre le pc une affaire personnelle. Il dit leur peur d’être pris en otage, leur mépris pour l’art, leur haine de l’expérimentation politique, leur passion de la stabilité, leur goût pour les identités solides. Il raconte aussi un aveuglement revendiqué : je veux plus rien savoir, plus rien entendre. C’est en cela que la signification octroyée par ses adversaires, depuis la fin des années 80, au pc est, littéralement, réactionnaire : elle est dirigée contre tous les mouvements, sociaux politiques ou intellectuels, qui, pendant les vingt-cinq années qui avaient précédé, avaient, au contraire, contribué à ébranler les certitudes du sens, ouvrir des perspectives et contester des pouvoirs établis.
Mauvaises conduites
Les contempteurs du pc ne décrivent peut-être finalement qu’eux-mêmes. C’est eux qui énoncent de codes de bonne et de mauvaise conduite, des règles de savoir vivre qu’ils confondent avec le politique. Quitte à prétendre les transgresser, ce qui revient au même : il faut bien qu’il y ait un code à transgresser.
Est-ce une stratégie ? Sans doute pas. La lutte anti pc procède de la rencontre entre des traditions politiques et culturelles trop diverses : des républicains fervents, de francs conservateurs, une gauche traditionnelle qui croit que les questions minoritaires détournent l’attention des vrais problèmes économiques, une droite familialiste qui voit de la décadence dans toute montée en puissance des minorités, des anarchistes de droite qui confondent l’exercice de la liberté de parole avec l’expression de leur seule vulgarité et des « aristocrates » (des femmes, des gays, des noirs etc.) qui ne comprennent pas la nécessité d’une solidarité communautaire. Mettez des noms sur chacune de ces catégories. Entre eux, pas de front commun ; mais une petite musique partagée, un air du temps et de l’époque. On croit se distinguer et on chante la même chanson ; on veut différer à tout prix et on ne s’est jamais tant ressemblé.
A défaut de stratégie, des effets communs. Il y a un parti qui ne manque jamais d’en profiter, qui parle lui aussi de lobbies, d’interdits et de prises d’otages. Le parti de Jean-Marie Le Pen est résolument, et de moins en moins patiemment, politiquement incorrect.
On l’aura compris ; il ne sera plus question dans Vacarme de correction politique, mais des minorités et de leurs luttes. Sachons mieux, en attendant, connecter l’Europe et l’Amérique : de nouveaux champs de résistance et d’invention politique nous seront offerts.
Post-scriptum
Je remercie Didier Eribon pour les documents précieux qu’il m’a permis de consulter.
A ceux que quelques unes des questions abordées au cours de cette enquête intéressent, il faut conseiller le beau séminaire d’Éric Fassin et Michel Feher, Différents sexuels et histoires amoureuses, qui se tient le mardi de 18h30 à 20h30 dans la salle Beckett de l’ENS — 45, rue d’Ulm, Paris Vème. Les prochaines séances auront lieu les 22 et 29 avril, 6, 13, et 20 mai 1997.