en connaissance de cause entretien avec Daniel Beaumont et Guy Dardel
Daniel Beaumont est sorti de prison en mars 1998. Il y est entré pour la première fois en 1967, début d’une carrière de détenu longue et intermittente. En février 1981, il s’évade de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, en hélicoptère. Une première, qu’il a payée cher : rattrapé en Espagne par la police française, deux balles dans les reins l’ont laissé paraplégique. Rapatrié, libéré, repris, puis incarcéré à l’hôpital de Fresnes, une grève de la faim et l’appui d’un comité de soutien lui ont permis d’en sortir. Figure du grand banditisme des années 1960, évadé prestigieux, il incarne une certaine génération de détenus, et un certain rapport au « métier ». Guy Dardel connaît bien les prisons, lui aussi, mais pour d’autres raisons : militant, fondateur de Fréquence Paris Plurielle , il est l’un des animateurs de l’émission Parloir libre , qui a participé au mouvement pour la libération de Daniel Beaumont. Nous les avons rencontrés, l’un et l’autre, grâce à Marion Lary, qui a réalisé un premier documentaire sur Fréquence Paris Plurielle , puis un autre, à partir de cette expérience, sur la vie de Daniel Beaumont. Précieuse entremise, dont nous la remercions : c’est « pour faire plaisir » que Beaumont a accepté ; pas pour nos beaux yeux de « journalistes », dont il se méfie, ni pour transmettre une parole qu’il ne juge pas exemplaire. Cet entretien croisé entre deux amis, nous ne l’avions pas pensé comme une confrontation. C’est pourtant ce qu’il est devenu. Beaumont, c’est la délinquance à l’ancienne et la morale de l’évasion ; Dardel, c’est l’action collective, contre une prison qui a changé. Deux manières d’en sortir.
Vacarme : Vous étiez réticent, paraît-il, pour faire ce documentaire sur vous ?
Daniel Beaumont : Parce que pour moi, tout ce qui avait été interview ou documentaire sur les prisons, c’était du bidon. Tout ce que j’ai pu voir, tout ce que j’ai pu lire, on se marre tellement c’est des conneries. La plupart des gens qui étaient interrogés ne disaient pas la vérité, parce que c’étaient des gens que l’intérieur de la prison choisissait pour répondre aux journalistes, aux visiteurs, quand ils voulaient faire un coup de cinéma dans la prison. Jamais des gens qui auraient dit ce qu’ils pensaient. Quand un journaliste veut faire un sujet sur la prison, sur la détention, sur les délinquants, on doit pas lui dire : tiens, on vous emmène là, on va vous montrer ça. Non, le mec il doit choisir : où il veut, comme il veut. Ouvrir n’importe quelle porte : il tombe bien, il tombe bien ; il tombe mal, il tombe mal. Alors que ça se passe pas comme ça. On leur prépare tout par avance. Vous allez à tel endroit, on vous accompagne. Vous entrez dans une cellule, on vous accompagne. Et puis on choisit les mecs à l’avance : la plupart du temps, c’est des indics, c’est des pointeurs, c’est des mecs qui diront jamais rien.
Vacarme : Est-ce que par ailleurs, quand on a été, comme vous, interrogé par des dizaines de juges, des dizaines de flics...
D. B. : De toutes façons, je leur parle pas. Ça règle le problème.
Vacarme : Mais est-ce qu’être interrogé ça vous énerve aussi pour cette raison-là ?
D. B. : Des fois ça me gonfle un peu. C’est vrai que ça m’énerve un peu. Mais bon, quand je veux faire plaisir, c’est pas pareil...
Guy Dardel : Il y a deux écueils que Daniel veut éviter. Le premier, c’est le côté vitrine de l’administration pénitentiaire : on choisit toujours le détenu qui veut parler de sa capacité de réinsertion, pour montrer que c’est une possibilité. En vérité, il y a un sur mille.
D. B. : De toutes façons, la réinsertion, ça n’existe pas.
G. D. : L’autre écueil, c’est le vedettariat. Il a raison. Parce qu’il y a des gens dans la grande délinquance qui se sont pris pour des vedettes, et ça les a complètement desservis. Jacques Mesrine, qui faisait la couverture des journaux, même Paris Match, grimé dans toutes les manières dont il pouvait se grimer, quelques mois après, il s’est fait arrêter.
D. B. : Nous, on est quand même obligés de se faire un peu oublier, même s’ils nous oublient pas. Je parle des flics et des juges. Sinon, on s’en sort pas. Il y a des choses que je peux dire, parce que c’est du passé, c’est payé. Ou les gens sont plus là, sont morts. Disons que j’ai aussi des amis qui sont dehors et qui sont avec moi. Je ne vais pas m’amuser à parler de trucs en cours aujourd’hui. C’est normal. Ça serait un peu comme ces mecs que j’ai entendus, encore au placard, et qu’on interrogeait sur la drogue en prison, et qui disaient : oh mais en prison, on a ce qu’on veut, on fait ce qu’on veut ; tout rentre, il y en a plus que dehors. Même si c’est vrai, il faut fermer leur gueule. Parce que qu’est-ce que ça fait ? Ça fait un tour de vis en plus. Voilà les conneries que je supporte pas. Parce que tout ça, c’est des conneries, c’est du char. C’est vrai qu’il y en a un petit peu qui rentre, mais faut pas croire que tout le monde se came. C’est des trucs que je veux pas entendre. Tout ça c’est des conneries des mômes des cités, qui prennent trois mois ou six mois de placard : c’est vraiment des trucs à la con. À les écouter, en prison c’est vraiment l’Amérique. Ça tient pas debout.
Vacarme : Avez-vous un devoir de réserve ou une obligation à la discrétion, à cause de votre liberté provisoire ?
D. B. : Non, pas du tout, et d’ailleurs si on me l’avait demandé, je les aurais envoyé chier. Souvent ce sont des gens de l’extérieur qui font pression sur les détenus pour qu’ils ne se mettent pas en avant, que ce soit par des critiques ou par des actions. Ils ont peur qu’on leur supprime un parloir ou que le détenu soit pénalisé. Pourtant, c’est de l’extérieur que nous vient la plus grande force. Si vraiment ils veulent, on peut même pas faire sortir une lettre, on peut vraiment rien faire. Mais moi, quand je dis des choses, je les dis, et puis c’est tout. Des fois je devrais même fermer ma gueule...
G. D. : Oui, quand tu fais ton réac moyen.
Générations
Vacarme : C’est-à-dire ?
G. D. : Daniel, il a une vision très particulière qui correspond à son statut de grand délinquant. C’est le grand voyou des années 1960. Je pense que c’est différent de la majorité des petits délinquants qui forment la prison, notamment en banlieue parisienne. Il a une approche de la taule qui est bien particulière. C’est une question de génération. Il y a un rapport récent qui est sorti sur le CJD, le centre des jeunes de Fleury. Un texte alarmiste écrit par des éducateurs, qui expliquent que l’administration laisse tout faire tant que les jeunes ne s’en prennent pas directement à elle. Or ils reconstruisent à l’intérieur les dynamiques de violence de leurs quartiers : règlements de compte, etc.
D. B. : Pour foutre une merde en prison, les jeunes des cités ils sont bon. Mais malheureusement, des fois, ils foutent la merde pour rien, et ils emmerdent les autres pour des conneries. Ils regroupent les mecs qui sont déjà ensemble dans les cités. Et comme ils n’ont plus de respect pour rien, pour personne... L’éducation qu’ils ont, il y en a pas. Moi je les supporte pas. Beaucoup de gens comme moi ne les supportent pas. Notre génération à nous, personne craignait rien dans la rue : femmes, vieilles, etc. Moi je me souviens chez nous dans notre zone — et pourtant c’était vraiment la zone — j’ai jamais vu personne fermer sa porte. Il y avait les blousons noirs, mais ils se battaient entre eux. Il y avait pas ce mouvement de jeunes qui vont dans la rue et qui vont tout casser.
G. D. : Voilà, c’est ça, son côté réac.
D. B. : Non, mais Guy, c’est normal, putain de merde ! Ils ont aucun respect pour rien, ils ne comprennent rien. Ils comprennent qu’une seule chose, c’est la force. En plus ils agressent pour rien, ils agressent pour cinquante balles, pour cent balles. Je peux pas comprendre ça.
G. D. : C’est pas du travail, ça !
D. B. : Ben non. Je peux pas comprendre ça. Je ne peux pas comprendre qu’on agresse une petite vieille pour lui prendre cent balles. C’est impossible ! Faut pas déconner quand même ! Ou alors il y a l’excuse de tout. Faut appeler un chat un chat. Vous, vous trouvez toujours des excuses : « Mais c’est pas de leur faute, c’est la famille, c’est parce que le père est au chômage... » Attends, nous, on avait pas une tune. C’est des conneries, tout ça.
Vacarme : Mais vous pensez que ces gens méritent la prison ?
D. B. : Personne ne mérite la prison. Un mec qui vole un autoradio, si on le met au placard, il est cuit, il est mort. Il va en prison une fois, il y retournera tout le temps. Jeunes ou moins jeunes, c’est comme ça : tu vas en prison une fois, tu y retournes. La prison ne sert à rien. La prison, tu ne peux pas la supporter, c’est pourri.
G. D. : Bon, ce qui est intéressant chez Daniel, malgré son côté réac, c’est qu’il n’a pas le poids de la culpabilité, comme beaucoup de délinquants qui, à un moment, sont pris dans une espèce de remords vertigineux. Il ne cherche pas de justifications à son parcours.
D. B. : Non, je ne peux pas en chercher, parce que je n’en ai pas.
G. D. : Si, tu en as, mais ce n’est pas de l’ordre de la culpabilité.
D. B. : Je ne vais pas m’amuser à dire : j’ai des excuses parce que ci, parce que ça. J’en ai pas, j’en ai pas. Chez moi on est cinq enfants : ma sœur était secrétaire de direction, mon frère professeur, mon autre sœur infirmière et mon autre frère avait une entreprise de nettoyage.
Vacarme : Pas d’excuses, mais pas de honte non plus ?
D. B. : Ah non, pourquoi j’aurais honte ? Pour avoir pris de l’oseille ? Sûrement pas. Je ne l’ai pas pris à une vieille ou à un retraité. J’ai travaillé, j’ai essayé. Moi j’ai commencé là-dedans pour l’argent. Mais je n’aurais pas volé n’importe qui. J’ai pris des sous dans les postes, dans les banques, dans les perceptions.
Vacarme : Est-ce que pour les braqueurs de l’ancienne génération, il y avait une raison politique, un refus de l’exploitation par le travail ?
D. B. : Vous parlez comme ça maintenant parce que vous avez fait des études, mais à notre niveau... Bien sûr, si j’avais réussi à travailler en gagnant quatre à cinq plaques par mois ! Et puis il y a aussi la façon de vivre : les restos, les boîtes, les filles et tout. Après c’est un enchaînement : au début t’y vas pour prendre des sous, après c’est pour des vacances tous les jours. Des fois, on faisait trois ou quatre affaires dans la même journée.
Vacarme : C’était votre travail à plein temps ?
D. B. : C’était de l’amusement. Ce que je leur reproche aux jeunes, c’est le n’importe quoi. Maintenant, par leur faute, on nous emmerde encore plus. Avant, à Paris, une fois qu’on avait tapé, pour pas être emmerdé on repartait en métro, tranquillement. Quand ils ont commencé à agresser les gens dans le métro, c’était mort pour nous. C’est important ça. Quand ils agressent des petits commerçants, brûlent des voitures, toutes ces petites conneries nous amènent des contrôles en plus. C’est pas bien, ça ne rapporte pas, et ça fout tout le monde dans la merde, nous et eux.
Vacarme : Vous êtes tombé à cause de ça ?
D. B. : Non, mais ça fait plus de danger pour travailler. On est obligé de leur reprocher ça, de leur dire : vous faites des conneries, faites pas comme ça.
G. D. : Que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de la prison, la répression gagne. Et la jeune génération est une population qui est assez docile à la répression, parce qu’ils sont soumis à des tensions internes. Ils ont aussi un autre rapport au judiciaire. Pour l’ancienne génération il fallait se taire en garde-à-vue, et respecter les autres ; tout ça a explosé, maintenant tout le monde se balance à tour de bras.
D. B. : 80% de ces jeunes se mettent à table. Ils font plein de roulades dans les cités, ils sont prêts à faire n’importe quoi, mais quand ils prennent deux mois de prison, ils pleurent. Il faut assumer : quand je vais au placard la première chose que je fais, c’est pas de pleurer, c’est réfléchir à comment je vais leur faire la malle.
G. D. : Chez beaucoup de gens de l’ancienne génération, il y avait l’idée de ne pas faire sa vie en prison. Or, maintenant, chez les récidivistes, il y a comme une espèce d’effacement entre l’intérieur et l’extérieur, ils n’arrivent plus à discerner l’un et l’autre, et leur insertion dans la prison se fait comme dans un milieu naturel. Ils s’installent comme chez eux, ils mettent des photos au mur. Tout ceci en dit long non seulement sur la prison, mais sur l’état de la société.
La télé et la malle
Vacarme : Est-ce que le confort en prison a changé la donne, ou pas ?
D. B. : Quand ils ont mis des télévisions, ce n’était pas pour nous faire plaisir, mais pour leur tranquillité. Avant, il y avait régulièrement des émeutes — tous les ans — et maintenant ça fait combien d’années qu’il n’y en a plus ? Si tu retires sa télé au détenu, là il va foutre la merde.
G. D. : La télé est arrivé en 1985, et ça coïncide avec la fin d’un cycle d’affrontement. Il y a eu d’autres événements par la suite, mais ponctuels — Châteauroux, St Maur, Moulin. À l’origine on a une revendication des détenus pour avoir la télé, ce qui est assez légitime, et une expérimentation de l’administration pénitentiaire, à Versailles, dans la prison des femmes, où tout un staff d’intervenants devait tester les coûts et les bénéfices de la télé pour l’administration pénitentiaire. Elle n’y perd pas du point de vue du contrôle sur les détenus : la majorité des jeunes la regardent toute la journée. Et elle y gagne financièrement parce que c’est extrêmement cher : 260 F par mois.
D. B. : Effectivement c’est bien, parce que ça permet de se tenir au courant de ce qui se passe, mais il ne faut pas se laisser envahir par la télé.
Vacarme : Vous avez vu une différence rapide dans le comportement des détenus ?
D. B. : Ah oui ! On en a vu une avec les permissions. Déjà quand tu voulais faire quelque chose, certains disaient : ah, mais moi je vais avoir ma permission bientôt. Mais maintenant, c’est dingue, même un vieux routier de la prison commence à calculer en entrant au placard : j’ai pris tant, il y a tant de grâces par an, il y a les permissions, donc au bout de tant de temps, j’aurais ma conditionnelle. Quand ils entrent, ils sont déjà dehors, alors que c’est des conneries. Ils rentrent en prison comme ils rentreraient ailleurs.
G. D. : Avec la télé il y a une banalisation du temps de prison. Pour celui qui regardait la télé tous les jours dans sa cité, il n’y aura pas une grande diffé-rence.
D. B. : À Fleury, avant qu’on s’arrache, on me prenait pour un fou. Je touchais les grâces tous les ans, comme tout le monde, j’allais signer le papier, et puis je le roulais et je disais : maintenant tu te le mets dans le cul. Ils ne comprenaient pas. Moi, je savais que je leur ferai la malle.
G. D. : Les permissions ou les grâces fonctionnent comme une carotte ; c’est-à-dire que ça n’existe pas. Il y a des grâces et des remises de peines obligatoires, mais les conditionnelles et les permissions, on les donne au compte-gouttes, et seulement à 5% de ceux qui les demandent ; c’est infime.
Vacarme : C’est un moyen de contrôle supplémentaire ?
D. B. : C’est ça. Ce sont des améliorations, bien sûr, mais dans le sens de la tranquillité de l’administration. En 1977, j’étais à Melun, il me restait un an à faire, j’ai eu une permission de trois jours : je ne suis pas revenu. Il me resterait un mois à faire, ce serait pareil. Cela ne sert à rien, puisque je vais recommencer dehors, et quand je serai en prison, je me referai la malle. J’approuve celui qui dit je fais ma prison, et puis après j’arrête ; d’accord, comme ça il est tranquille. Mais personne n’arrête, personne.
Vacarme : Vous reprochez aux petits jeunes d’avoir durci les techniques de contrôle, mais vous aussi avec vos évasions ?
D. B. : Nous, on a contribué à plus que ça : aux filets au-dessus des cours de promenade. Mais c’est normal, et ça ne me gêne pas de faire huit jours de mitard pour quelqu’un qui se fait la malle.
Vacarme : On a l’impression, vu de l’extérieur, que l’administration développe plus les petites techniques de contrôle qu’elle n’essaie d’empêcher l’évasion ?
D. B. : Elle essaie, seulement il y a toujours une petite faille. Mais cela ne se fait pas tous les jours. Ça dépend des amis que tu as dehors, et de leur capacité à prendre des risques. Mais regarde R., on a toujours essayé de l’arracher de là où il était, mais on n’a pas pu, c’était impossible.
Vacarme : L’évasion, c’est vraiment l’atteinte à la puissance de l’État. Aux Baumettes, il y a deux mois, tout le monde — directeur de la prison, matons et journalistes — était soulagé que les types se soient fait descendre, parce qu’il y avait là comme un sacrilège.
D. B. : On morfle toujours quand on passe avec un ami, parce qu’on a eu la première évasion en hélicoptère, et qu’il y en a eu d’autres par la suite.
G. D. : Quand tu t’es évadé une fois, tu es dans la peau d’un fugitif. Chaque amélioration des conditions de vie amène un contrôle supplémentaire. Dans le contrepoint judiciaire à cela, une espèce de suivi du détenu par les commissions de l’application des peines, on fait sentir au détenu qu’il y a une possibilité théorique de réinsertion. Il y a aussi la mise en place de contrôles psychiatriques — qui est également une arme de répression. Maintenant ils demandent beaucoup d’expertises psychiatriques, même pour les petites affaires. Prenons le cas de M., enfermé dans les quartiers d’isolement depuis quatre ans ; il fait une grève de la faim pour en sortir : pendant des mois il ne voit que le psychiatre qui vient lui expliquer qu’il lutte contre lui-même en faisant cela et qu’il se détruit. Cela peut aller jusqu’à la psychiatrisation complète des détenus ; on a le cas d’un type entré pour cinq ans, qui a été enfermé dans les cellules de force, qui n’a vu personne pendant des mois, qui est sorti dans un état... Ne supportant pas la détention, il s’était révolté, alors il est descendu d’étage en étage, jusqu’à l’obligation de prendre des médicaments et le placement en unité renforcée. Le contrôle psychiatrique s’exerce ainsi en permanence en détention.
D. B. : Les psychiatres que tu vois au placard, ils sont à moitié malades, ils te font des rapports dingues. C’est toujours contre le mec, de toutes façons. La seule psy bien que j’ai rencontrée, elle a été voir en pleurant le juge d’instruction : « Il faut laisser sortir monsieur Beaumont, il n’est pas bien. », et elle s’est fait jeter.
G. D. : On considère que tout sentiment de révolte en prison est de l’ordre de la pathologie.
Vacarme : Et quand c’est une révolte collective ?
G. D. : C’est à cause de la chaleur. Ils ont aussi parfois considéré que les émissions de radio avaient appelé à l’émeute. C’est arrivé en 1985, on avait l’antenne depuis trois mois. Il y a très longtemps qu’il n’y a pas eu de mouvement collectif. Il s’en dessine un sur la question des suicides, qui prennent des proportions importantes. Il y a des suicides réels et il y a des tabassages qui finissent mal, depuis toujours. Il y en a un qui fait référence, parce qu’on sait qui a fait quoi, et qu’il n’y a jamais eu de procès ; c’était à Fleury dans les années 1970, un type tabassé au mitard a été tué. En ce moment on sait qu’il y a des violences extrêmes à Fresnes, parce que c’est un flic qui a été tabassé, un flic détenu. Depuis plusieurs mois il y a des gens qui font sortir des lettres alarmantes de Fresnes, racontant comment des matons, dès que le chef de détention est sorti du couloir, tabassent n’importe quel mec qu’ils croisent dans les couloirs.
Juge et partie
D. B. : Fresnes, c’est la plus pourrie, on y met exprès les élèves matons. Et comme dans toutes les écoles, ça marche à la hiérarchie et au zèle. Quant aux matons qui sont punis disciplinaires, dont la faute a été reconnue, eh bien ils sont mutés à l’hôpital de Fresnes. Ils te mettent les plus empafés, alors qu’ils devraient mettre les mecs les plus psychologiques.
Vacarme : Vous pouvez nous en parler de cet hôpital ? Quelle est la différence entre la détention ordinaire et celle à l’hôpital ?
D. B. : C’est un hôpital fermé, un hôpital avec des cellules. Et avec un peu de personnel féminin. Il y en a qui préfèrent l’hôpital, pour trois raisons : l’eau chaude dans les cellules, le chauffage l’hiver et la bouffe un peu meilleure.
Vacarme : Il n’y a pas de mitard ?
D. B. : Ah si, il y a un mitard. Pour les soins un coup ça va, un coup ça va pas, ça dépend sur qui tu tombes. La plupart du temps, les médecins ne veulent pas prendre le pas sur l’administration pénitentiaire. Depuis 1994, normalement, c’est le ministère de la Santé qui doit s’en occuper, mais c’est toujours l’administration pénitentiaire qui commande. Les matons punis disciplinaires sont toujours mutés à l’hôpital.
Vacarme : Mais il n’y a pas plus de contrôle ?
D. B. : C’est selon la maladie du détenu. Pour les soins, c’est un peu léger, les médecins ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, mais aussi ne veulent pas se mouiller pour faire ce qu’il y a à faire. Si tu prends l’exemple des gars qui ont le sida en phase terminale, les médecins n’arrivent pas à les faire sortir, ils attendent deux ou trois jours, quand ils sont sûrs qu’ils vont claquer, pour qu’ils ne claquent pas dedans.
Vacarme : Vous, on vous a affecté à Fresnes à cause du fauteuil roulant, ou de votre état de santé en général ?
D. B. : Au départ un peu pour le fauteuil et pour ma santé, et aussi parce qu’à Fresnes il y a tellement de gens handicapés qu’il n’y a plus assez de place à l’hôpital. Donc ils ont fait des cellules spéciales, au rez-de-chaussée de la prison. Ils se sont arrangés pour que l’hôpital se débarrasse des malades et des handicapés, et là, bien sûr, il n’y a pas de soins.
Vacarme : Pour revenir à la psychiatrisation : il y a beaucoup de gens qui sont là pour troubles mentaux ?
G. D. : Normalement quelqu’un qui a des troubles mentaux lors du délit doit échapper à la peine, d’après l’ancien article 164. Donc ils ont modifié cet article qui spécifiait que les gens en état de démence au moment des délits ne sont pas passibles des tribunaux, mais doivent être soignés. Depuis la réforme de 1994, les structures médicales des prisons sont passées sous le contrôle de l’assistance publique, et chaque prison est couplée avec un hôpital. Mais Fresnes est une exception à cela ; on juge que certains malades doivent être gardés à l’intérieur de Fresnes ; comme Daniel, par exemple. Fresnes a une autre particularité : c’est le centre national d’orientation, là où passent les détenus qui vont être répartis en centrale. Les hôpitaux interviennent donc en prison, mais n’arrivent pas à gérer les problèmes particuliers de la détention, comme ceux de la toxicomanie, par exemple. On est en conflit avec l’administration pénitentiaire sur le fait qu’on amène en prison des toxicomanes accrochés au crack ou à héroïne, alors que justement l’accès aux structures médicales externes est long ; donc on ne sait pas gérer les gens en manque, on les met systématiquement dans les cellules d’isolement ou dans les cellules de punition.
Vacarme : On a l’impression qu’en prison, l’alternative c’est soit la discipline pure, soit la psychiatrisation...
G. D. : La prison est le lieu de l’arbitraire ; il y a là des gens en mal de pouvoir qui exercent un travail sans aucun contrôle. Aujourd’hui Guigou dit qu’elle va mettre en place une commission de contrôle, parce qu’ils se sont aperçu qu’à Beauvais un directeur défilait en habits SS dans les couloirs, frappait les gens, leur crachait dessus et pelotait les surveillantes. Quand ils s’en sont aperçu, ils l’ont viré, mais un an et demi après, il avait encore sa maison de fonction. Ces commissions de contrôle existent déjà, mais à partir du moment où c’est l’administration qui se contrôle elle-même, l’arbitraire peut régner : n’importe quel maton peut frapper un détenu ; il le prend tout seul dans un couloir, le fracasse contre le mur, et il ne s’est rien passé. La parole des détenus ne vaut rien. Il y a bien le prétoire. Là, les revendications des détenus se retrouvent dans un tribunal, entre le juge et la partie, or c’est la même personne. C’est l’inquisition. C’est vraiment un lieu de non-droit.
D. B. : Il suffit que tu dises un truc à un maton, qu’il le prenne de travers : il dit que tu l’as insulté et là, c’est fini.
G. D. : Au niveau européen il y a des conditions de détention et de contrôle très différentes. En Italie par exemple, un parlementaire a le droit d’aller frapper à une prison et de demander à voir tel détenu, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
Vacarme : Il y a des projets de loi similaires en France ?
G. D. : Pas du tout, ce qui est en train de se mettre en place avec un certain nombre de gens, dont malheureusement l’OIP, c’est une structure étatique de contrôle des prisons, c’est-à-dire de nouveau un juge, des éducateurs et des flics. Ça ne peut pas fonctionner : la seule revendication viable, ce serait, par exemple, qu’en cas de suicide, il puisse y avoir une commission d’enquête extérieure, et qu’on puisse entendre tous les détenus qui étaient là lors de l’incident.
D. B. : Interroger qui ? Tu ne peux interroger que des matons ; les autres sont enfermés, ils ne savent pas ce qui s’est passé.
G. D. : Il peut y avoir eu des événements dont les détenus auraient été témoins ; parfois dans des contre-enquêtes des détenus témoignent.
D. B. : Mais neuf fois et demi sur dix tu ne peux rien savoir.
Vacarme : Est-ce que les matons se comportaient d’une manière particulière à votre égard ? Est-ce qu’ils vous fliquaient plus qu’un autre, ou au contraire est-ce que vous aviez une sorte de prestige... ?
D. B. : Oui, ça existe. Ils fouillent un peu plus souvent, mais par contre gentiment. Ils sont plus polis, plus cools avec nous.
Vacarme : C’est lié au statut d’évadé, ou à la nature des évasions ?
D. B. : Cela vient de ce que vous avez fait, de ce que vous êtes connu.
Vacarme : Et les matons savent tout cela ?
D. B. : Oui, bien sûr.
Vacarme : Est-ce que la hiérarchie des prestiges a changé ? On nous a dit les braqueurs sont au sommet de l’échelle, les pointeurs tout en bas.
D. B. : C’est toujours pareil, et si tu as un nom connu, ça va tout seul. Pour ça, c’est des enfoirés : pourquoi ils sont meilleurs avec moi qu’avec mon voisin ? C’est vrai qu’on est moins casse-couilles aussi ; on les fait moins chier, sauf quand on veut vraiment quelque chose. Comme eux veulent déjà éviter les conflits avec nous, ça s’arrange tout seul.
Vacarme : Et ceux qui sont tombés pour des histoires de stups, ils sont où dans la hiérarchie ?
D. B. : Tout dépend du mec, moi je suis tombé aussi pour du shit ; tout dépend du personnage. S’ils savent que vous êtes tombé pour les stups et qu’en plus vous avez les moyens, que vous pouvez cantiner — c’est des conneries bien sûr —, ce sont des valeurs pour eux. Nous, c’est vrai que...
Vacarme : Mais qui est ce « nous » ?
D. B. : Parce qu’on a parlé de vous à la télé, dans les journaux, que certaines personnes ont parlé de vous. C’est du cinéma, mais c’est vrai qu’une fois que vous êtes connu, le comportement n’est pas pareil, et chez les condés aussi. Quand j’arrive dans leur bureau, c’est :
« Dis-nous ce que tu veux nous dire. » ; c’est tout, ça s’arrête là.
Des fois des matons venaient me voir : « Tiens il y a untel qui a demandé si vous étiez là. », « Oui c’est un ami à moi. », « Ah bon, très bien. »
Vacarme : Vous vous en serviez de ça ?
D. B. : Bien sûr, obligé.
Vacarme : Est-ce que vous travaillez en prison ?
D. B. : Je travaille pas dehors et je travaillerais dedans ! ? Alors là, faut pas charrier. Si c’est pour travailler, autant que je travaille dehors. Je trouve que c’est de la connerie. Tu travailles pas dehors et tu vas travailler là, et pour rien. Ils t’exploitent à 200%, ou à 500%.
G. D. : Oui mais tu tombes et t’as personne pour s’occuper de toi à l’extérieur, comment tu fais ?
D. B. : Je boufferais la gamelle, et je te jure que je ne travaillerais pas pour eux ; ils t’exploitent à 500%, faut pas déconner. En plus ils disent : si t’es pas content, on te jette. Le gars, il travaille, il n’est pas casqué, et en plus il faut qu’il ferme sa gueule. Attends, c’est quoi ça ? Je ne suis pas d’accord. Ceux qui veulent, ils le font, c’est pas mon problème, mais...
G. D. : Il y en a aussi qui bossent parce qu’ils se cassent les couilles.
D. B. : Je préfère me casser les couilles et pas leur faire gagner quoi que ce soit. Il n’a qu’à faire des études le mec qui s’emmerde...
La malle et l’émeute
G. D. : Toi tu penses que tu vas sortir le lendemain, mais il y a des gens...
D. B. : Ils n’ont qu’à faire comme ça et penser qu’ils sortent le lendemain. Je vais déjà t’expliquer une chose. Dans une prison, si les détenus refusaient de travailler, tous, on a ce qu’on veut. Parce qu’une prison sans les détenus, elle ne tourne pas du tout, du tout, du tout. Tu ne te figures pas que ce sont les matons qui vont nous faire la cuisine, nous servir la gamelle, laver par terre, laver les draps, qui vont tout faire, la comptabilité ; tout, tout passe par les détenus. Imagine-toi que tout le monde dise un jour : on fait plus rien. On veut ça, on veut ça : sinon on ne fait plus rien. Ils l’ont dans le cul. Moi c’est ce que j’ai toujours dit.
Vacarme : Il y en a eu des grèves générales ?
D. B. : Penses-tu ? Les mecs ils vont se battre pour aller gagner dix balles, ils vont se battre, ils vont te balancer. Voilà la mentalité.
G. D. : Pourtant, dans les émeutes, les ateliers c’est ce qui brûle en premier...
D. B. : Oui, oui, c’est vrai. Mais les mecs ils vont te jeter, faut pas rêver. Il y a des mecs qui essaient, mais ils vont se retrouver tous seuls, avec cent cinquante lascars qui vont venir prendre leur place.
G. D. : Pour qu’il y ait un passage au mouvement collectif, il faut passer...
D. B. : Boh, ça existe pas !
G. D. : ... y a un poids de l’extérieur qui joue beaucoup.
D. B. : Ça existe pas. Écoute, des mouvements de grève, on en a fait, on se retrouvait à dix, on se faisait défoncer, on allait au mitard pour quatre-vingt-dix jours. Et les mecs ils recommençaient à diabler et à manger pendant que toi tu faisais ton mitard. Moi j’ai dit : maintenant vous allez tous vous faire sauter, et le premier qui vient me parler d’une grève ou d’une manifestation, je le tue. Ah non, non, attends, y a aucun solidarité, y a rien. Il y a une solidarité avec dix-quinze mecs, mais sinon, c’est tout. Les mecs ils commencent, et puis deux jours après ils arrêtent.
G. D. : Ça fait des années qu’il n’y a pas eu de mouvement. Les derniers qu’il y a eu, c’était surtout pour des problèmes de centrale.
D. B. : En centrale c’est plus facile, parce qu’il y a beaucoup de longues peines.
G. D. : Les gens sont ensemble depuis longtemps...
D. B. : Oui, ils se connaissent bien, c’est pas pareil.
G. D. : Là, visiblement, ce qui se passe, c’est qu’il y a un problème assez important sur la violence, à Fresnes notamment. Je crois qu’il faut que l’administration aille loin pour que ça bouge. Ce qui se passe à Fresnes est totalement alarmant de ce point de vue-là.
D. B. : Oui, mais ça bougera pas. Il va y avoir un tout petit mouvement de quelques personnes.
G. D. : Non mais ça commence à...
D. B. : Non mais tu verras, Guy, moi je te dis en connaissance de cause...
G. D. : Je veux pas dire que ça va forcément bouger, mais je pense que... Toutes les tentatives qui ont été faites depuis le milieu des années 1980 pour construire quelque chose d’interne ou d’externe à la taule ont été des échecs. À l’extérieur, on l’a vu, si on prend l’exemple de la Butte — avant, on était à la Butte-Rouge, à Chatenay — il y avait cinquante mômes en prison. Les gens de la cité qui avaient une voiture n’emmenaient pas les autres au parloir. Les gens ont le poids de l’opprobre. Ils ont honte de dire que leur môme est en prison, alors qu’il y en a beaucoup dans ce cas-là. Ça n’a jamais permis de générer des solidarités, parce que les gens sont effondrés.
D. B. : Boh, il y a tellement de mecs en prison que je sais pas vraiment si...
G. D. : Si, pour la famille, ça reste un poids. Faut voir ce que c’est pour les familles françaises, mais pour les familles rebeu, c’est encore pire... Par exemple un jeune beur détenu ne verra jamais son père au parloir.
Vacarme : C’est intéressant, de vous entendre simultanément, parce que Daniel vous n’avez pas l’air de croire à l’action collective, contrairement à Guy.
D. B. : Non, mais Guy il rêve sans arrêt.
G. D. : Daniel, il ne croit pas à l’action collective, mais il n’a jamais braqué tout seul ! Donc il y a une certaine limite à sa mauvaise foi...
D. B. : Non mais attends...
G. D. : C’est pas vrai ce que je dis ?
D. B. : Si, mais je les ai vécus, ces mouvements, moi...
G. D. : Toi, tu portes un regard négatif avec ton expérience...
D. B. : Non, moi je les ai vécues ces choses. C’est un point de vue que j’ai vécu.
G. D. : Tu ne peux quand même pas nier que s’il n’y avait pas eu les émeutes du début des années 1970, les mecs ils en seraient encore à porter du rayé !
D. B. : Ah là non, dis pas de bêtises !
G. D. : La réforme elle a été obtenue...
D. B. : Ben non, pas à cause de ça, te casse pas la tête. C’était au moment où ils devaient le faire, au moment où ça les arrangeait. Ils en ont rien à foutre, rien à foutre.
G. D. : Je ne suis pas du tout d’accord avec toi. La réforme, elle s’est faite parce qu’il y a eu soixante taules qui ont brûlé en deux mois et demi.
D. B. : Non, non, j’ai trop vu comment ça réagissait. Attends...
Vacarme : C’était en 1974 ?
G. D. : Oui, c’était en 1972-74. Je pense que de toutes façons, il y a pas d’autre choix que la lutte, vu ce qui se passe dans la détention et ce qui s’y est toujours passé. Surtout qu’aujourd’hui, vu le manque de solidarité entre les mecs, ils se permettent des choses qu’ils ne permettaient pas avant. Ça c’est clair. Dans les années 1970, par exemple, s’il y avait eu une dizaine de suicides comme il y a en a ce moment, il y aurait eu une commission d’enquête, un truc, comme des intellectuels qui seraient montés au créneau pour dire : qu’est-ce qui se passe dans les taules ? Ça veut dire que les mouvements collectifs, au moins, ils permettaient d’éviter le silence. Là il se passe rien du tout, à part à Fresnes.
D. B. : Mais Guy, c’est qu’il y en a la moitié qui savent pas.
G. D. : Sur ces cas-là, bien sûr, parce qu’il n’y a plus de relais, plus d’investigation, plus personne qui s’intéresse à ça.
Vacarme : C’est une question qu’on se pose. Comment on fait pour agir, de l’extérieur, alors qu’il n’y a plus de mouvements collectifs ?
G. D. : Nous c’est un peu différent, parce qu’on a une antériorité importante. On est là depuis 1985, donc les gens qui sont des récidivistes, des longues peines, on a soutenu des mouvements, on a aussi soutenu des cas individuels, parce que beaucoup de cas individuels sont symboliques du reste. Là, sur Fresnes, nous on pousse à ce qu’il y ait une possibilité de mouvement collectif, parce qu’à notre avis, c’est le seul moyen pour qu’il y ait quelque chose : on est en train de monter une structure pour au moins faire se rencontrer les familles, pour qu’elles prennent un avocat ensemble. Si on prend la question des suicides, ce à quoi on peut arriver — c’est une petite revendication — c’est qu’il y ait un œil extérieur qui entre en prison, en permanence, une commission externe et indépendante avec Médecins du Monde ou X ou Y, qui ait le droit, à partir du moment où il y a un mort en détention, de vérifier comment les choses se sont passées. À Nanterre, il y a des mecs qui ont été pris dans la rue par les policiers alors qu’ils étaient en train de dealer de la came, et envoyés en taule. On les a retrouvés trois jours après : deux étaient en état d’hypothermie avancée ; le troisième était déclaré mort. Bon, heureusement, les toubibs de Suresnes ont fait en sorte de le réanimer. Mais pour l’administration pénitentiaire, il était mort. Ça c’est des actes de violence. Normalement il devrait y avoir un procès. Les jeunes, souvent, ne portent pas plainte, parce qu’on fait pression sur eux : vous sortirez vite fait, on ne parlera plus de cette affaire. Logiquement, quand il y a un homicide sur la voie publique, et dans n’importe quelle administration, il y a un procès.
D. B. : Non mais tu sais très bien...
G. D. : Nous on passe en procès pour diffamation et pour injure parce qu’on a dénoncé ces faits-là. Il n’y a pas de contre-pouvoir...
D. B. : Bon, c’est pas que je m’ennuie avec vous, mais je vais y aller.
G. D. : ... réel, ça n’existe pas. Ben vas-y, casse-toi.
D. B. : Ben oui.