Vacarme 10

hiver 1999

Vacarme 10

À nos lectrices et lecteurs

Ce numéro, Vacarme 10 (hiver 1999), est désormais archivé et tous ses articles sont accessibles dans leur intégralité. Vacarme aime la gratuité, mais une revue existe grâce à ces abonné·es.

Éditorial

le plus grand chanteur à roulettes du monde

par

Le plus grand chanteur à roulettes du monde se nomme Robert Wyatt. Il est anglais, a cinquante-cinq ans, une barbe un peu plus longue que celle de feu Kubrick, mais un cottage moins spacieux. Sa musique est profonde et subtile, inattendue, mélodies folk très simples brusquement emportées vers la dissonance, escalades d’accords déplaçant de proche en proche la tonalité initiale. Éléments de base désuets (piano, guitare, saxophone). Sans doute la seule rencontre du rock et du jazz qui ne (…) Lire 

Entretien

Giorgio Agamben

Chantier

prisons : au pied des murs

arsenal

la promesse jospinienne du plein emploi

par

Le plein emploi de papa, c’était, soit la version hard : les femmes à l’usine d’armement et les hommes au front, les camps de rééducation par le travail ou les porteurs de lunettes dans les rizières, histoire de leur apprendre ce qu’être productif voulait dire... ; soit la version soft, où les charmes de la production en série de bagnoles et autres merveilles interchangeables, fabriquées en masse, permettaient à un fordisme défunt d’assurer au plus grand nombre la garantie de perdre sa vie à (…) Lire 

interdiction de penser et de l’écrire sur les murs de Paris

par

Prenez une réforme législative en apparence anodine, votée sous Giscard d’Estaing, réforme normalement destinée à réguler dans les villes l’usage des murs des immeubles comme support de publicités. Motif ? L’environnement. Vous êtes contre l’amélioration de l’environnement ? Non, bien sûr.
Prenez le mot publicité, interrogez-vous sur son sens, et déduisez que l’on peut démocratiquement estimer qu’il existe d’autres supports que les murs de l’immeuble du voisin pour vanter les mérites des (…) Lire 

l’étrange cas du docteur Anatrella

par

Le texte qui suit répond à un article publié il y a plus de six mois dansLe Monde à l’occasion de laLesbian & Gay Pride. À Vacarme, on a l’esprit de l’escalier et la périodicité paresseuse. Mais on n’en est que plus opiniâtre et entêté. Si la réponse est tardive, elle est aussi actuelle. Si elle prend prétexte d’un article de Tony Anatrella, elle renvoie aussi à tous ses livres, qui tricotent inlassablement la même idée : l’homosexualité serait une négation de l’altérité. Mais elle (…) Lire 

processus

la fin de Babel

par

Le doublage remonte au début du parlant — le muet était universel, le parlant ne l’est plus — quand il s’est agi, pour bénéficier d’une diffusion internationale, de remplacer le dialogue original d’un film par un dialogue dans une langue étrangère. Les solutions les plus variées fleurissent. Bénéficiant d’une situation hégémonique dès 1918, les États-Unis en profitent pour attirer à Hollywood le gotha du cinéma européen. Certains viendront séduits par des conditions de travail qu’ils croient (…) Lire 

frères de colère

par

Je suis revenu en terre arabe inch’Allah. Cela fait maintenant la troisième fois et déjà les habitudes reviennent doucement  : le café à la cardamome dans les petits verres Duralex, le pain rond et frais à 37 centimes, les rencontres impromptues dans les magasins ou sur les trottoirs, les amis devenus frères, les femmes arabes, les plus belles du monde, la musique. Partout, la musique, partout même dans la nuit la plus profonde au sommet des collines de Ramallah, dans les taxis, les (…) Lire 

Brecht metteur en scène

par

L’arrivée du Berliner Ensemble à Paris en 1954 est une sorte de mythe fondateur. Mais on peut relire Barthes et Dort autant qu’on veut, on ne voit plus bien ce qu’il s’agissait de fonder. Tout le monde semble s’accommoder aujourd’hui du ronronnement du théâtre littéraire-psychologique à la française. Heureusement, Brecht avait prévu le coup. De 1949 à 1956, les assistants du Berliner Ensemble ont tout noté des répétitions qu’il dirigeait, et quand ces centaines de pages seront enfin éditées, (…) Lire 

kaki

par

Parfois un album photo disparaît. Didier Doumergue le reconstruit par écrit.
Tentative de reconstitution de mémoire d’une photo me représentant aux côtés d’un soldat durant la guerre d’Algérie. Il m’avait pris en affection parce que son fils, du même âge, portait le même prénom que moi, ou bien — ai-je oublié ? — lui-même, père d’un fils de mon âge.
calot kaki le corps kaki replié les joints des cuisses le torse les aplats des biceps les os les attaches entoilés parés de toile kaki (…) Lire 

chroniques

Bâton-rouge

par

Les minutes de l’entretien entre Batha-suna la contralto et le recteur du Choir collegium de Bâton-rouge forment pour peu qu’on les relise avec méticulosité un panégyrique de la délicatesse d’âme et de la pénétration des affaires musicales qui, j’en suis désormais convaincu, devaient caractériser cet homme et qui ont travaillé, ainsi que des esprits soupçonneux envers le monde tels qu’il s’en rencontre parmi mes ascendants le lui auront sans doute fait comprendre, à le tenir durablement (…) Lire 

defixio

par

Organes provisoires, bouche, dents, nez, langue, bras
sectionnés bûcherons
sang, table, repos, soir, table, repos, soir, table,
soulever, pas de bouche, de dents, de nez, langue, bras
sectionnés bûcherons,
sang, rétable armé, soir Lire 

ovalisation du paradoxe

par

Il existe un sport qui se joue avec un ballon ovale. Qui inscrit dans la forme même de son instrument sa tolérance à l’aléatoire. Un jeu où il s’agit de faire franchir à la balle la ligne d’embut adverse sans être autorisé à la passer vers l’avant. Une fois cette ligne franchie, on n’atteint pas un but, mais un essai qui demandera à être transformé. Un sport donc, qui demande un acharnement extrême pour atteindre un but qui n’en est pas un.
Il existe un sport pour la pratique duquel aucun (…) Lire 

un menu pour quand l’enfant paraît

par

Depuis quelques neufs mois que votre dernier mari en date vous quitta, vous devez bien convenir que vous n’avez pas fait grand chose de votre vie, et qu’elle eût été fort vide si d’autres ne s’étaient chargés de pourvoir aux événements. Force vous fut de constater, avec quelque ébahissement, qu’autour de vous toutes les hétérotes de sexe mâle ou femelle qui vous sont les plus proches se mettaient subitement à procréer plus qu’à leur tour. De tous côtés, l’on vous faisait obligeamment, sans (…) Lire 

Perfect blue, de S. Kon

par

Si on allait, pour tromper une attente, voir un dessin animé ? Mais alors ce qui se fait de plus parfait dans le genre, de plus branché : Perfect blue. Deux ou trois scènes et l’on a capté son message : vanité des vanités, nos gloires sont délétères. On y souscrit sans réserve. On espère qu’il ira plus loin que le lieu commun. Car nos gloires sont délétères, oui, au point que seuls des porcs peuvent y trouver le bonheur. Pour être adulés, les anciens devaient remporter une victoire navale, (…) Lire 

Le paresseux / ne pas

par

Le paresseux ne vit pas en Australie, il habite les zones boisées d’Amérique centrale et du nord de l’Amérique du Sud. C’est l’un des derniers représentants de la famille des Xénarthres - l’ordre des édentés - laquelle réunit les mammifères les plus primitifs d’Amérique : tatous, paresseux et fourmiliers (seuls à être réellement dépourvus de dents). La rare lenteur du paresseux lui coûta toutes sortes de quolibets, on la prit pour un signe de faiblesse voire de bêtise, ce qui ne fit que (…) Lire 

ex nihilo

par

Le monde qui, celui-ci, est ici donné et rien d’autre, et qui ci-gît (cliquez ici pour ouvrir ce monde), tombé là d’une exhalaison noire d’énergie instantanée, onde élémentaire, déflagration de photons dans la densité d’un vide abîmé, en soi retourné sombre et sonore citerne : pur dehors de soi, large étalement craquant, déchirure de quarks, scansion métrique pulsée, jet sans projet, projection tous azimuts, création d’éclats, jection.
De rien fit poussée, fut poussé, excroissance à cru (…) Lire 

mie claire et blanche farine : Pétra Werlé

par

Pétra Werlé s’en tient là : comme les plus éminentes magiciennes, elle vous donne sa formule, se retire et sourit, laissant le mystère entier. Oui, juste de la mie, quelques croûtes, de la salive... Le tout premier visage était déjà là, dans la mie, vous connaissez bien cela, ces visages que les enfants débusquent dans les veinures d’un tronc ou d’une pierre, ces petits êtres contorsionnés qui donnent fugitivement un esprit à la matière. Arthur-Toujours-Là.
Vous-même... qu’avez-vous fait (…) Lire 

l’équipement

par

Ça ne va pas fort du côté des adultes depuis une bonne quinzaine de jours. Pourtant, il fait doux ; le temps n’a plus rien à voir avec la fraîcheur féroce des premières semaines. Peut-être redoutent-ils le retour des grosses chaleurs, et ses conséquences pour nous ? C’est en tout cas l’opinion méprisante de Nilja, mais je crois qu’elle se trompe. C’est bien de son âge, cette morgue. Tous les adolescents sont comme ça. Moi, je suis encore trop jeune, je me contente de la regarder ricaner, ça (…) Lire 

Enquête

Gaza : la forme d’une capitale

la capitale échouée

par

« ... je retrouvais Gaza telle que je l’avais toujours connue, vieil escargot enfermé dans une coquille que la mer avait jeté, par hasard, sur le sable. Encore plus recroquevillée sur elle-même que l’âme d’un dormeur en plein cauchemar. Dans ses minuscules ruelles, toujours cette odeur faite d’un mélange de déroute et de pauvreté, ces maisons avec leurs balcons endormis. C’était Gaza... ce réseau de fils inextricablement enchevêtrés qui nous ramène vers nos familles, nos foyers, nos (…) Lire 

Gaza : un espace et un temps fermés

par

Le coeur historique de la vieille ville de Gaza se situe en retrait de la côte, autour de la grande mosquée, à plus de deux kilomètres du rivage. À partir de la fin du siècle dernier, le bâti s’est étendu ; il a gagné d’anciennes régions rurales et tout l’espace qui séparait le centre de l’emplacement du port antique (le quartier de Rimâl, qui doit son nom aux dunes de sable qui le recouvraient jadis). Après 1948 et l’arrivée des réfugiés dont certains se sont installés en ville et d’autres, (…) Lire 

Yech licha âvôda bichfili ?

par

Hossam Al Madhoun est un des rares acteurs de théâtre de Gaza. Autodidacte, initié au théâtre alors qu’il était prisonnier, pendant l’Intifada, dans un camp israélien dans le Neguev, il anime des ateliers et essaye d’introduire à Gaza un théâtre en prise avec la société (théâtre-forum, représentations dans des écoles...) - dans un contexte économique et politique difficile.
« Yech licha âvôda bichfili » : en hébreu « Il y a du travail pour moi ? »
Quand j’ai découvert que la mer, (…) Lire 

Minorités

ceux qui ne lisent et n’écrivent pas

alpha, et cetera

par

La Plaine-Saint-Denis, cité les Frammoisins, Stains, Paris Xe : quand lire et écrire est bien plus que cela.
Jeudi. La Plaine Saint-Denis, maison de quartier, impasse Saint-Just
Laurence Lagarde travaille depuis cinq ans à la maison de quartier de la Plaine Saint-Denis où, depuis six ou sept ans, une seule formatrice (faute de moyens), financée par le FAS (le Fonds d’action sociale, qui s’occupe de « l’insertion et de l’intégration du public étranger »), donne des cours (…) Lire 

illettrisme : dispositifs de lutte

par

L’illettrisme est un concept récent, il date des années 1970. On n’en parlait pas, avant cette date, pour se concentrer sur l’analphabétisme qui concernait le Tiers-Monde ou les travailleurs immigrés pour lesquels des structures et des campagnes furent mises en place, sous l’égide notamment de l’UNESCO. Au début des années 1980, le mouvement associatif français repère une carence grave parmi la population la plus défavorisée et lui donne un nouveau nom : l’illettrisme. C’est dans ce (…) Lire 

raisons graphiques

par

De quoi parle-t-on au juste quand on souligne la nécessité de l’apprentissage de l’écrit ? D’une technique de codage, ou de tout autre chose ? Faut-il que le caractère indispensable du recours à l’écrit tombe sous le sens pour se dispenser de la question du sens ? Et si c’était ce sens qui échappait à ceux qui ne lisent et n’écrivent pas ?
1. La vie d’un homme infâme
« John Corcoran, de Los Angeles, qui, pendant dix-sept ans, a enseigné l’anglais et la sociologie dans des lycées (…) Lire 

acide de batterie

par

Démarrage
Noir, hiver. Vroum, vroum fait le moteur, des animaux, leurs yeux perçant l’opacité de la nuit froide. Profonde déprime. Hans ne veut pas aller travailler. Sur la ligne torve de l’horizon, une lueur annonce l’arrivée du jour, mais c’est encore bien trop loin. Une descente s’amorce lentement, les pneus glissent dans un silence caoutchouteux. La pente se fait plus dure, s’enfonce peut-être vers un enfer limitrophe. Bien sûr que oui ! se vocifère Hans à lui-même. Ce sont les (…) Lire 

Vacarme 10

Vacarme 10 / hiver 1999

Rédaction en chef la revue Vacarme

Parution le 11 janvier 1999 Édition Vacarme

Pages 104 ISBN 9782915547818

Diffusion en librairies Difpop

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