Vacarme 07 / Documenta X

Documenta X : activités esthétiques, processus critique et globalisation entretien rétrospectif avec Catherine David

VACARME : À partir de quel cadre de contraintes objectives avez-vous élaboré cette dixième édition de la Documenta ?

Catherine David : Les contraintes étaient attendues : elles procèdent de l’évolution historique de la Documenta, depuis l’époque de sa création en 1955. Si chaque « bonne » Documenta fut assez unique en son genre, on serait fondé à considérer que l’édition de 1982 (Documenta VII), dirigée par Rudi Fuchs, marque la fin du règne des « Documenta de papa », qui se faisaient avec des moyens moins importants financièrement, et n’avaient pas encore fait l’objet d’une forte institutionnalisation. Ensuite, durant les années 1980, la Documenta n’a été en mesure de résister ni à l’industrialisation ni au tourisme culturels, à la médiatisation à outrance et à l’instrumentalisation presque complète de l’art qui s’est effectuée un peu partout à cette époque. Alors que le seuil de visibilité de cette exposition quinquennale de dimension internationale devenait maxima dans le champ de l’art occidental (l’événement le plus regardé, « le » grand rendez-vous), il s’est de plus en plus agi d’une sorte de festival des paradoxes et des malentendus. Dès lors,
accepter d’assumer la responsabilité d’organiser cette Documenta X impliquait, pour mon équipe et pour moi-même, la nécessité de prises de décisions rapides quant à la configuration des événements.

Mais ce qui est demeuré inaperçu dans les comptes-rendus de presse ou a donné lieu à de nombreux malentendus, c’est qu’un comité de sélection a choisi de nommer une directrice sans qu’à aucun moment cela n’implique la moindre interférence avec la politique locale. Ce comité avait une mission, mission dont je n’étais pas informée. Or, parmi les personnalités, disons... les plus « fortes », de ce comité de sélection, nombreux étaient ceux qui étaient conscients des problèmes du monde de l’art contemporain et de la situation de la Documenta en particulier. Trop bien établies dans des stratégies de pouvoir, ces mêmes personnalités n’avaient aucune envie d’aller se compromettre dans le marigot de Documenta. Tout cela pour dire que si j’ignore et continuerai d’ignorer l’essentiel de ce qui a motivé ma propre nomination (ce qui, d’ailleurs, ne m’intéresse guère), les parti pris que j’ai ensuite choisi d’assumer n’auront pas été sans susciter un certain malaise — si j’en juge par l’absence de réaction de ces mêmes personnalités.

VACARME : Parmi les éditions précédentes de Documenta, certaines vous ont-elles paru exemplaires, ou bien votre perspective d’approche relevait-elle d’un tout autre régime de préoccupation ?

C. David : L’un et l’autre. Ce qui m’importait prioritairement, c’était de mettre en équation le cahier des charges qui nous était imparti (à savoir les problèmes, les enjeux et les possibilités qui s’y attachent), en même temps que la nécessité de penser l’actuel statut de Documenta, au regard de son histoire, bien sûr.
À cet égard, il est indispensable de considérer que Documenta, à l’origine « vitrine culturelle » du plan Marshall, fut un projet qui participait de la possibilité d’une unification de l’Europe, au sortir de la seconde guerre mondiale(et à l’heure de la Guerre Froide, alors que s’établissait un axe de relations prioritaire entre l’Europe et les U.S.A.). Mais en aucun cas les enjeux liés aux conditions historiques de surgissement de cette manifestation ne peuvent aujourd’hui être pensés dans des termes identiques. La situation géopolitique et géo-culturelle est aujourd’hui évidemment tout autre, et les enjeux qui s’attachent à l’éventuelle pertinence d’un projet public tel que Documenta se sont aujourd’hui presque entièrement déplacés. Une grande exposition qui ne se poserait pas la question dumappinget de l’écriture de la modernité, dans ses conditions globales contemporaines, n’est simplement plus tenable.Aussi, si c’est bien à partir du modèle historique de l’Exposition Universelle (mais également des biennales, comme celle de Venise) que s’est élaboré le projet de Documenta à l’époque de sa naissance, un tel modèle est manifestement devenu complètement obsolète. C’est pourquoi je m’étonne de voir surgir avec une telle régularité, ici et là en Occident, des projets de biennales internationales ou d’autres expositions de mêmes dimensions, qui semblent faire l’entière économie d’une déconstruction de ce modèle universaliste, surgi à l’autre bout du siècle. Mon projet pour Documenta X a d’abord résulté de ce constat d’obsolescence et des problèmes majeurs qui en résultent, mais surtout de la nécessité où l’on se trouve de repenser aujourd’hui, à nouveaux frais, les conditions historiques de possibilité d’une pareille manifestation. De là procèdent les choix de reconfiguration de cette dixième édition : à l’heure de la médiatisation à outrance, et alors que les espaces culturels sont de plus en plus des espaces de consommation dénués de qualités distinctives, il me semble que si Documenta X a pu prétendre à quelque pertinence, cela a d’abord tenu au fait que mon équipe et moi-même aurons été « les mauvaises personnes au mauvais endroit » — au regard des stratégies qui régissent habituellement un projet d’une telle portée en tout cas.

VACARME : Aviez-vous, avec votre équipe, des comptes à rendre à quelque instance que ce soit ?

C.D. : Non, aucun, sinon l’obligation de travailler dans le cadre d’un budget établi en amont de ma nomination. Ce budget est de 20 millions de marks (environ 80 millions de francs), soit le double de celui du Festival d’Avignon, mais aussi l’équivalent du budget annuel du Wiener Festwochen ou de la Kunsthalle de Bonn, soit, aussi, moins que le budget annuel de certains grands opéras allemands... Les chiffres n’ont ici de sens qu’à être comparés à d’autres cadres analogues. Il s’agit, avec cette somme qui finance cinq ans de travail, de payer une équipe nombreuse.

Par ailleurs, si les commanditaires de cette manifestation (ville de Cassel et Land de Hessen) comptent, au-delà de l’impact prestigieux de Documenta, sur son incidence en termes économiques, les malentendus qui en résultent nécessairement en termes de priorités sont paradoxalement très propices à une grande liberté intellectuelle de fait.
Car ma priorité était là : garantir la liberté de notre espace de pensée et d’action, mais aussi nous extraire des pressions médiatiques parfois considérables, tout comme de celles du marché (qui sont en fait bien plus contournables que certains se l’imaginent).

VACARME : Quels ont été les différents axes prioritaires à partir desquels vous avez articulé votre projet pour cette dixième Documenta ?

C.D. : Il y a d’abord la topographie propre à Documenta (cette multiplicité d’espaces éclatés dans la ville, et les problèmes d’écriture spatiale, ou encore de pensée des circulations qui en résultent). Nous avons choisi d’en tenir compte prioritairement — j’y reviendrai.

Et puis il y le contexte historique actuel, qui n’est pas moins important. Nous approchons de la fin d’un siècle. Cela n’implique pas de se lancer dans des jérémiades apocalyptiques, mais plutôt de penser là où nous en sommes aujourd’hui de la modernité et, par voie de conséquence, où nous en sommes des pratiques critiques qui constituent, en tant que telles, le projet moderne. Ces deux priorités sont solidaires l’une de l’autre. Et à l’heure où nous ne sommes plus dans un moment historique d’utopie ou de révolution, pas plus que nous ne sommes dans un moment d’« avant-gardes », comme le furent les années 1910-30 ou les années 1960, il s’agit d’évaluer ce que sont les conditions de possibilité de pratiques critiques contemporaines. J’entends le terme « pratiques critiques » non pas dans le sens dévoyé qui est devenu le sien, c’est-à-dire comme une sorte de label qu’emploient aujourd’hui les magazines ou les stands des foires pour désigner une catégorie spécialisée de la consommation d’art contemporain, mais plutôt comme un régime de production historique qui
s’articule à la fois avec la culture et la société d’une époque. Quelles sont, aujourd’hui, les stratégies esthétiques/critiques pertinentes ?

VACARME : Philippe Lacoue-Labarthe, dans Figures de Wagner, écrit que peut être qualifié de modernetout projet qui questionne ou thématise explicitement ses conditions de possibilité. En ce sens, on ne saurait estimer que le « projet moderne » appartiendrait à une époque close, qui serait derrière nous. Comment vous situez-vous par rapport à cette considération ?

C.D. : Je suis d’accord avec cette position de Lacoue-Labarthe, qui me semble très proche de celle du Foucault qui considérait, à l’époque du débat avec Habermas à propos de l’Aufklärung, que la modernité constitue plus une attitude qu’une période de l’histoire, un ethos en somme : « un type d’interrogation philosophique qui problématise à la fois le rapport au présent, le mode d’être historique, et la constitution de soi-même comme sujet autonome », pour le dire dans ses termes.

Que je sache pas, on n’est pas sortiaujourd’hui de cet espace de questionnement.

C’est ce qui nous a conduits à tenter d’élaborer une mise en perspective de la situation du champ artistique depuis 1945, grâce à différents seuils de stratégie (qu’ils concernent le choix de projets esthétiques, les modalités d’exposition, ou également le recours à certains textes anthologiques ou contemporains publiés dans le livre qui accompagnait cette Documenta — j’y reviendrai). Parallèlement, nous avons choisi de faire apparaître certaines périodisations de l’histoire contemporaine, en discutant différents découpages qui nous semblaient sujets à caution. Pour prendre un exemple, si 1989 est effectivement à bien des égards une date symbolique et historique charnière, certains effets dits de la « globalisation » sont repérables bien antérieurement — sans que l’on ait besoin pour autant de remonter à cette « mondialisation du monde » qu’évoquait Braudel à l’époque de La découverte des amériques.

De même, nous nous sommes employés à activer un travail qui devra se poursuivre ailleurs, et qui consiste à déconstruire la vision téléologique de la modernité. À cet égard, ce qui est implicite dans l’élaboration du livre, mais qui est sans doute demeuré trop peu explicite pour ce qui touche précisément à l’exposition elle-même, ce sont ces différentes temporalités non superposables qui, dans l’histoire du siècle, demeurent massivement inaperçues, voire ignorées ou évacuées de l’historiographie dominante dans le champ de l’art. Par exemple, si 1917 constitue en effet une date décisive dans le champ politique et culturel en Europe, mais aussi au Mexique, il est probable que 1947 est une date beaucoup plus importante pour l’histoire et la culture de l’Inde. Ce qui est ici en jeu, ce sont des « praxis critiques », repérées avec pertinence par la critique indienne Geeta Kapur : l’histoire, la formation et la matérialité des cultures. Ces « praxis critiques » ne sont pas nécessairement synchrones.

VACARME : De quelles périodes de projets esthétiques avez-vous souhaité que cette « Documenta X » rende compte ?

C.D. : Je ne souhaitais pas faire basculer trop fortement cette manifestation dans un espace rétrospectif, historique. Par ailleurs, les conditions d’exposition des œuvres qui sont propres aux différentes localisations de Documenta à Cassel (il ne s’agit pas, pour la plupart d’entre eux, d’espaces muséaux au sens traditionnel du terme), ne permettaient pas de présenter des œuvres historiques matériellement fragiles. Ainsi, des œuvres telles que les dessins d’Artaud ou ceux de Strzeminski ont très vite été pensées pour le livre. À de rares exceptions près, les œuvres historiques exposées pour cette Documenta furent donc réalisées à partir des années soixante. De surcroît, les conditions de travail et les contraintes logistico-économiques qui sont celles de la Documenta n’ont rien d’analogue à celles d’un musée, et le parti pris ici était plutôt d’ouvrir ce que je nommerais des « rétro-perspectives », dénuées de toute prétention à l’exhaustivité. De ce point de vue, nos choix de présentation ont privilégié des œuvres pour ce qu’elles signifient aujourd’hui, pour leur pertinence au regard de l’espace critique contemporain.

VACARME : Par exemple ?

C.D. : Gordon Matta-Clarck, Oyvind Fählström, ou encore Helio Oiticica, Aldo van Eyck, Ed van der Elsken, en passant bien sûr par des trajectoires que le public repère peut-être mieux, comme celles de Michelangelo Pistoletto ou de Marcel Broodthaers, Dan Graham, Art& Language,Vito Acconci, et Hans Haacke. Il faudrait entrer dans les détails de chacune, mais on remarquera qu’elles ont en commun d’avoir explicitement contribué à ce moment radical de discussion et de redistribution des espaces de l’art et de la culture. Bien sûr, si l’on travaille plus finement par rapport à toutes ces problématiques, on repère vite des antécédents. Il est difficile d’isoler par exemple les productions des années soixante d’autres, qui les précèdent : Fluxus, Situationnistes, etc... Mais là encore, le propos de Documenta X n’était pas de prétendre à
l’exhaustivité, et je suis la première à regretter certains manques inhérents à nos partis pris de configuration. Cela posé, il y a des absences qui valent pour des présences, et réciproquement...

Tout récemment, j’ai entendu formuler quelques critiques extrêmement intéressantes à cet égard, lors d’une invitation qui m’avait été adressée par l’Université d’Austin, au Texas. Marie-Carmen Ramirez, directrice du département Latino-américain, estimait que, dès lors que nous avions opté pour certaines postures radicales européennes, nous aurions dû choisir un équivalent américain radical, plutôt que, disons... quelqu’un comme Mike Kelley.
Ma réponse a été nuancée, dans la mesure où il me semble que Mike Kelley n’est pas le moins précis des artistes d’aujourd’hui, pour ce qui est de sa manière de questionner et de déplacer certains espaces de la culture américaine — le punk, en l’occurrence, dans l’œuvre qu’il a présentée à Documenta.

Il y a eu d’autres critiques, touchant par exemple à l’absence de certains projets Situ., notamment relativement à notre parti pris qui consistait à mettre en œuvre une lecture des espaces urbains, au sein de l’exposition tout comme dans le livre... Disons qu’il y a eu des imperfections, des imprécisions et des manques. Mais l’idée était moins de marquer des généalogies que d’articuler certaines postures historiques exemplaires à différents contextes plus récents.

VACARME : Parmi les projets élaborés par ces artistes que vous venez d’évoquer, certains ont, en France au moins, un degré de visibilité bien moindre que d’autres. Si l’on considère par exemple qu’un Broodthaers a fait l’objet d’une rétrospective au Jeu de Paume il y a quelques années et que, toujours dans ce même lieu, certains travaux d’Oiticica ont pu être présentés (pour la première fois en Europe), au même titre que les films de Gordon Matta-Clarck (avant qu’une rétrospective de son œuvre ne soit organisée à Marseille), il n’en va pas du tout de même pour un artiste comme Fählström...

C.D. : Ce n’est pas tout à fait exact. Le MNAM du Centre Pompidou, possède une sélection remarquable d’œuvres de Fälhström, récemment augmentée des très belles pièces de la Donation Cordier. Pourtant, il est exact que l’on perçoit mieux aujourd’hui, à la faveur d’une relecture critique nécessaire, la dimension politique et dramatique de son projet, alors qu’on l’avait jusqu’ici trop limité au Pop’Art. Et j’ai le sentiment qu’en France, ce travail d’information, de lecture ou de relecture ne se fait pas, ou peu, et que le courant dominant garde, en cela comme à d’autres égards, une tendance monolithique...

VACARME : Comment, et à partir de quelles priorités, avez-vous structuré l’équipe de collaborateurs avec lesquels vous avez élaboré Documenta X ?

C.D. : D’abord à partir de certaines contraintes objectives : je ne suis pas germaniste, et je ne parle pas allemand non plus. Il était donc
indispensable de travailler avec une équipe capable de faire face à cette situation. Par ailleurs, étant conservateur des Musées Nationaux et non directrice d’institution, je ne disposais pas d’une équipe toute faite de collaborateurs français que j’aurais pu annexer à la Documenta — ce qui fut le cas de tous mes prédécesseurs. J’ai donc opté pour la solution qui consiste à recourir à de nombreux « consultants », susceptibles d’intervenir sur des thèmes très variés. Avec eux, j’ai travaillé ponctuellement ou de façon plus durable, au gré des nécessités du projet. Quant à la définition de la configuration elle-même de Documenta X, il s’agissait surtout de ne pas voir sombrer toute
exigence de sens dans les lourdeurs logistiques du projet, et de penser une configuration à la fois forte, souple et rapide — ce qui ne va pas sans s’accompagner de contorsions parfois douloureuses, liées par exemple aux contraintes des cadences budgétaires.

À ce sujet, la collaboration avec Jean-François Chevrier [ndlr : théoricien français, spécialiste de l’histoire de la photographie] a été importante, pour la conception de l’exposition, et plus encore pour celle du livre, tout comme ont
compté certaines discussions avec Benjamin Buchloh [ndlr : théoricien allemand des arts plastiques, vivant et enseignant aux États-Unis, dont les Essais historiques ont paru en traduction française, Art édition, 1992], ou encore Stefano Boeri, et bien des auteurs du livre — dont certains sont des complices de longue date. La synergie produite par cet ensemble de compétences spécifiques aura permis, me semble-t-il, de rendre repérable le va-et-vient voulu entre le livre et l’exposition. Mais pour revenir aux contenus comme aux enjeux de ce projet, il est certain que la dimension trop peu explicite que j’évoquais tout à
l’heure à propos de certains partis pris que nous avons assumés s’articulerait sans doute différemment aujourd’hui, eu égard notamment à cette notion de « praxis critiques » qui me semble décisive, en relation avec ce que je nommerais volontiers des « contemporanéités globalisées ». Pour aborder de telles problématiques, il est certain que l’on ne peut pas faire l’économie de collaborations avec différents spécialistes, non-européens et non-occidentaux cette fois, qui apparaissent encore minoritaires au sein de Documenta X — même si la manifestation des « 100 jours » a permis certaines mises au point indispensables à ce sujet, grâce à l’attention très forte portée à des discussions, des analyses et des discours extra-occidentaux.

VACARME : Vous venez de faire usage d’un terme, « minoritaire », qui est à bien des égards décisif pour le projet et pour l’équipe de VACARME. Diriez-vous qu’il y a eu une considération particulière de différents phénomènes minoritaires, au moment de l’élaboration de cette dixième Documenta ?

C.D. : Je ne me suis pas posé la question en ces termes. Pourtant, explicitement, il y avait cette relecture de la modernité que j’évoquais, cette reconsidération du grand axe téléologique dont nous avons formulé la critique depuis différentes
perspectives d’approche. À cet égard, la présence de l’œuvre d’un artiste comme Helio Oiticica me parait évidemment exemplaire, même si elle était insuffisante à elle seule  : tout d’abord dans la mesure où l’œuvre d’Oiticica relève d’une culture qui est celle de l’Amérique Latine, culture très liée à celle de Europe — il faut le rappeler, à l’heure des grands « packages » médiatiques, qui tendent à assimiler grossièrement l’Amérique Latine à l’Asie et l’Afrique, dans cette vaste soupe que constitue justement la notion, pour le moins problématique aujourd’hui, de « Tiers-Monde ». L’Amérique Latine est si proche de l’Europe, à la manière d’un miroir qui nous renvoie depuis longtemps une image qui n’est pas nécessairement celle que nous aimerions nous voir
renvoyer. Mais elle est surtout un continent d’une extrême complexité, qu’il n’y pas lieu d’essentialiser ou de réessentialiser. Certaines de ses cultures comportent d’ailleurs une histoire des avant-gardes à la fois très complexe et très longue — c’est le cas de l’Argentine, mais aussi du Brésil ; d’autres, comme celle du Mexique, ont vu cette histoire brutalement « empêchée » par une dictature institutionnelle. Ces observations participent du souci qui fut constamment le nôtre d’élaborer ce que j’appelle une « relecture du moderne », à l’écart de toute pulsion négationiste ou relativiste — relecture qui tente d’intégrer de plus en plus de niveaux de complexité, mais aussi des temporalités différentes.

Par ailleurs, et pour revenir sur la posture à mes yeux exemplaire qui est la sienne, il y a dans l’œuvre d’Oiticica une dimension anthropologique constamment œuvrée, tous ses questionnements touchant à des espaces en permanente tension entre art et culture. Et puis il s’agit d’une œuvre qui s’élabore à partir de stratégies critiques multiples, visant les espaces culturels propres au contexte dans lequel elle s’inscrivait, c’est-à-dire le Brésil. Le projet d’Oiticica me semble un parfait exemple de cette autre epistèmè, qui fut proposée par quelques artistes de ces années-là. Documenta X a non seulement tenté d’indiquer précisément ce qu’il en est de cette autre epistèmèet de ses enjeux, mais aussi de la prolonger jusqu’à nous, à la fois à partir de différents projets d’artistes d’aujourd’hui, mais aussi au travers de multiples textes publiés dans le livre, ou encore de conférences données dans le cadre des « 100 jours ».

VACARME : Un autre des partis pris les plus repérables de cette Documenta X, d’ailleurs ouvertement revendiqué, c’est l’accent mis sur des projets esthétiques différents, qui ont toutefois en commun de privilégier la dimension de procès à l’œuvre (processus, processivité), plutôt que l’érection d’objets (fétiches, marchandises). Qu’en dites-vous ?

C.D. : Oui. Nous avons été particulièrement attentifs à tout ce qui ressortit au procès, à l’activité. Le « bel objet » — je n’en ai jamais fait mystère — ne m’intéresse guère... Une œuvre, c’est une constellation souvent extrêmement complexe de toutes sortes de matériaux, de gestes et d’activités. Or, ces dernières années, on a assisté à une instrumentalisation croissante des œuvres, et, conjointement, à une nette tendance à la systématisation — ce qui a eu pour effet premier de faire perdre à nombre d’entre elles beaucoup de leur impact et de leur tension, au profit de productions tout à fait discutables. Pour le dire plus frontalement, il n’était pas envisageable que Documenta X s’inscrivît autrement qu’à l’écart du registre des Beaux-Arts. Et si adopter cette posture n’est pas une nouveauté, si l’on peut même à certains égards considérer que la cause est entendue depuis longtemps — confère différents projets esthétiques des dernières décennies —, dans le climat conservateur (pour ne pas dire réactionnaire) qui domine aujourd’hui, il me semble plus indispensable que jamais d’y insister. Notre époque n’est plus, depuis longtemps, conforme aux conditions historiques de validité d’une catégorie comme celle des « Beaux-Arts » : cette catégorie n’est plus tenable aujourd’hui.

À cet égard, il était important que la première salle du parcours de l’exposition introduisît deux œuvres qui ne ressortissent nullement à une telle catégorie : le projet iconique et textuel de l’architecte Rem Koolhaas, d’une part, et, d’autre part, le projet de « traduction culturelle » élaboré, sur le mode de la métaphore culinaire, par Matthew Ngui afin de rendre compte de la complexité des tissages culturels contemporains et des
difficultés qui en résultent. Nous avons également insisté sur la nécessaire historicisation des signes et des procès esthétiques, en privilégiant des œuvres qui le mettent en évidence. Cet aspect a d’ailleurs été remarquablement repéré et analysé par Étienne Balibar dans le texte de sa conférence à Documenta, publié ensuite par la revue Lignes et repris dans son dernier livre [ndlr : Droit de cité, culture et politique en démocratie, Ed. de l’Aube, 1998]. Cette dimension d’historicisation peut évidemment être tout particulièrement repérée dans des œuvres comme l’Atlas de Gerhard Richter, les travaux de Gordon Matta-Clark, ou encore dans la présentation du travail d’Aldo van Eyck{{}}par lui-même. Ces différents travaux manifestent avec netteté qu’une œuvre, c’est avant tout la somme de ses occurrences, et non une « chose » ou un objet.

À un autre niveau, on retrouve cette tentative qui consiste à ouvrir, à confirmer, à élargir une autre epistèmè, et cela, jusque dans les structures de l’événement Documenta. Car si j’ai parlé d’« événement culturel », c’est bien du fait de l’inévitable situation de l’exposition, dans et à Cassel — c’est-à-dire cette ville précise, dans ce moment précis de son histoire et de son contexte géo-
politique difficiles. J’aurais aimé amorcer une possible dé-localisation de cette exposition, procéder à son étoilement dans des villes ou des lieux multiples. Mais ç’aurait été le clash garanti avec les commanditaires. Il est encore trop tôt pour cela — ou trop tard... Dès lors, il s’est agi de penser, d’assumer et d’articuler explicitement les spécificités qui s’attachaient à cette situation-là, de la même manière qu’il était de
notre responsabilité d’assumer une stratégie en cercles concentriques successifs, concernant la conception générale de l’événement, ainsi que la réception médiatique de ce que j’appellerai « l’effet Documenta ». Car, au-delà du public de plus de cinq cent mille personnes attendu à Cassel et nécessaire à l’équilibre financier de la manifestation, il s’agissait également de ne pas ignorer un autre public potentiel : celui qui ne se déplace pas jusqu’à Cassel, mais qui peut recevoir autrement une partie du projet de Documenta X.
À cet égard, il est certain que le livre que nous avons publié joue un rôle déterminant, et plus encore les cent clips réalisés par Arte, ou la transmission quotidienne et presque simultanée sur Internet des interventions présentées pendant l’opération des « 100 jours » (ce qui nous a
valu, chaque jour, un public supplémentaire de vingt à quarante mille personnes). Tous ces relais étaient importants, à condition bien sûr de penser la spécificité des medium et de ne pas aller « balancer » l’exposition sur Internet — cet espace privilégié d’informations et de discussions, accessible à des publics très hétérogènes. Ces différents seuils d’inscription du projet lui ont valu la réception large qui en constitue l’une des caractéristiques. J’en prends pour exemple le fait qu’en Inde ou dans certains endroits du monde où je me suis récemment rendue, et où les gens n’avaient jusqu’alors jamais entendu parler de Documenta, ou encore n’avaient tout simplement pas les moyens de s’y rendre, un débat devenait possible, sur la base et du livre et des contenus, aujourd’hui encore présents sur Internet, des « 100 jours ». Débats qui portent d’ailleurs moins sur telle ou telle œuvre, que sur des problèmes cruciaux de culture, d’esthétique et de politique contemporaines. C’est sans doute la première fois dans son histoire qu’une Documenta suscite ce type de débats en des lieux si éloignés et si divers, et cela me semble important. Ceux qui estiment à courte vue que ce n’est plus d’« art » qu’il s’agit n’ont, je pense, rien compris.

VACARME : Il est, à ce sujet, un autre aspect caractéristique des choix auxquels vous avez procédé pour cette Documenta : cet intérêt marqué pour des champs de pratiques, de savoirs et de questionnements extra-occidentaux. Or, en France, la dernière exposition « grand public » qui a tenté d’articuler une certaine réception de projets étrangers aux cultures d’occident a été « Les Magiciens de la Terre ». Et il est manifeste que la perspective qui fut la vôtre pour cette Documenta X est d’une autre nature, et relève de partis pris résolument différents. Qu’en diriez-vous ?

C.D. : En effet, Documenta X ne se situe ni dans la perspective des « Magiciens... » , ni dans celle qui fut présentée au MOMA de New-York pendant l’hiver 1984-85, intitulée « Primitivism in XXth Century Art : Affinity of the Tribal and the Modern ». Aucune de ces deux expositions ne remettait sérieusement en question la vision occidentale, ethno-centrée, de la modernité. « Magiciens... » ne considérait pas la modernité comme un phénomène global, comprenant, bien entendu, des intensités et des manifestations très diverses, mais lui supposait au contraire des « extériorités », toutes localisées dans le Tiers-Monde... Où l’on retrouve « l’exotique » dans toutes ces catégories, avec ce que cela véhicule de dangereux, idéologiquement : d’une simple posture romantique jusqu’à celle d’un néo-colonialisme qui tait son nom. Cette exposition évacuait systématiquement ces avant-gardes et modernités non-occidentales que j’évoquais tout à l’heure, au profit d’objets ou de productions qui portaient très directement les marques supposées de la Tradition (couleurs, pigments, plumes, etc.). Cela me semble d’autant plus pervers que la modernité se révèle de plus en plus comme un projet bien plus complexe qu’on ne l’a longtemps pensé — notamment à travers les diverses temporalités que j’évoquais. Et cette vision de la modernité envisagée comme une sorte de partie de ping-pong privilégié entre Paris, Berlin, Moscou, New-York etc., quand d’autres espaces seraient condamnés à la Tradition — selon une logique très justement analysée par l’anthropologue américain James Clifford [enseigne à Rice University, auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Malaise dans la culture : l’ethnographie, la littérature et l’art au XXème siècle,trad. Française aux Ed. de l’ENSB-A, 1996/ndlr], cette vision n’est pas seulement incomplète : elle est aujourd’hui intenable.

VACARME : Je vous propose d’entrer plus avant dans les détails de ce propos. Quels sont, parmi ces avant-gardes historiques non occidentales et encore mal repérées, celles qui ont particulièrement retenu votre attention pour Documenta X ?

C.D. : Celles que je connais le mieux ne sont pas exactement non-occidentales : ce sont celles de l’Amérique Latine, qui rencontrent aujourd’hui un autre problème qui est celui, éminemment politique, de la légitimation culturelle. Pour ce qui concerne d’autres modernités, en Asie et en Afrique, il conviendrait d’être beaucoup plus attentif aux medium privilégiés de l’excellence et de la radicalité, notamment en ce qui concerne les stratégies d’émancipation post-coloniales. Car ces medium ne sont pas nécessairement ceux des arts visuels, mais souvent la littérature, la musique et le cinéma.

VACARME : Comment avez-vous articulé des champs de pratiques et de projets extra-occidentaux à cette configuration générale de la Documenta X ?

C. D. : En mettant l’accent sur la dimension d’activité, plus que sur celle de la production d’objets, on se dispose d’emblée à accueillir ces pratiques et ces projets non occidentaux, dont certains échappent encore aux stratégies du régime marchand. Dans l’epistèmè et la discursivité de l’exposition, des espaces qu’on pourrait dire de « transparence » voisinaient avec des espaces « d’opacité ». De cela résultait une tension dont je considère qu’elle doit être maintenue. Il s’agit à cet égard d’interroger les limites de la forme « exposition », qui demeure finalement, qu’on le veuille ou non, assez proche de
l’espace de la tragédie classique : unité de temps, de lieu et d’action (ou d’histoire). Un tel questionnement devra être de plus en plus activé à l’avenir, afin de donner lieu à d’autres types d’événements, qui seraient susceptibles d’articuler au plus juste ces espaces de discursivité hétérogènes. Mais, pour cela, il faudra d’abord se résoudre à tenir compte de cette situation historique qui va en s’aggravant : les cultures s’écrivent aujourd’hui dans une relation de dépendance les unes aux autres, aux États-Unis notamment, et les relations transversales sont de plus en plus négligées. On a ainsi plus de chances d’être informé de l’existence des formes critiques d’activité artistique, contemporaines ou historiques, à New-York ou dans d’autres grandes villes occidentales, beaucoup plus que si l’on circule d’une ville à l’autre hors d’Occident, où l’on constate que s’ignorent souvent, avec beaucoup de superbe, les productions d’autres pays, alors qu’elles sont parfois seulement à quelques centaines ou milliers de kilomètres les unes des autres. Car ce n’est que par ce détour occidental que ces projets peuvent enfin s’inscrire dans leur contexte d’invention. Ce qui produit des situations de schizophrénie culturelle considérables. Cela posé, il est important d’attirer l’attention sur ce qui motive de tels blocages, dans chacun des contextes où ils se manifestent. Et, à cet égard, il est certain qu’un travail de pensée historico-critique se développe fortement depuis quelques années, qu’il s’agirait aujourd’hui de diffuser, mais aussi de promouvoir et de questionner. Une nouvelle génération des jeunes intellectuels non occidentaux engagés dans un travail d’activisme culturel et politique, autant que je puisse le remarquer au fil de mes voyages, me semble heureusement très impliquée dans ce débat. Pourquoi ? Parce que l’enjeu est celui de la redistribution des savoirs aujourd’hui dans le monde.

VACARME : Comment vos régimes de priorité se sont-ils définis en ce qui concerne le choix des œuvres exposées lors de cette Documenta ?

C.D. : La plus grande difficulté, ici, concerne évidemment la frange la plus contemporaine des œuvres exposées. Il a donc fallu que je rencontre beaucoup de jeunes artistes, et que je considère attentivement leurs travaux respectifs. J’ai tenté de privilégier la définition cohérente du projet de cette Documenta, plutôt que de favoriser telle ou telle œuvre en particulier. Cela m’a conduite à mettre l’accent sur un mapping parfois un peu « carré », afin de rendre manifeste le fait que la donne de ce que l’on nomme « art contemporain » n’a cessé de connaître des mutations au fil de l’histoire, en déplaçant ou en critiquant ce qui s’entend majoritairement par « centres » et « périphéries ». Aussi nous avons procédé à un
montage des œuvres entre elles, de façon à ce qu’on se pose moins la question de leur provenance que celle des effets de sens qu’elles engendrent, dans un rapport de confrontation
active — à l’écart de toute prétention à l’exhaustivité. À ce sujet, j’insiste sur le fait que, pour un artiste, envisager la Documenta comme un lieu de légitimation constitue une posture problématique, souvent sous-tendue par une demande inavouée de protectionnisme paternaliste. Il me paraît autrement plus urgent d’attirer l’attention sur le fait que la structuration générale du champ de l’art contemporain correspond massivement à un schéma de type colonial, où les lieux de représentation et de légitimation de certaines cultures sont situés hors d’elles-mêmes.

VACARME : L’un des reproches récurrents parmi ceux qui vous ont été adressés concerne le faible nombre d’œuvres picturales présentes au sein de cette Documenta. Sur ce point précis, il est notable que ces reproches se sont souvent exprimés agressivement — on serait donc fondé à considérer qu’ils font symptômes. C’est peut-être à ce motif que vous avez le plus souvent répondu de façon, disons... un peu rapide. Je vous propose ici d’y revenir.

C. D. : Il est important d’opérer des distinctions au sein des critiques que vous évoquez. Il y a d’abord eu une sorte de réaction épidermique très forte de la part des critiques allemands, s’agissant d’un contexte dans lequel la peinture constitue encore une catégorie essentielle du marché de l’art, et de surcroît un espace idéologique très solidement établi — et non un espace discursif et critique pertinent, exception faite bien entendu de projets tels que ceux d’un Gerhard Richter ou d’un Sigmar Polke. À cela s’ajoute un différend, touchant à la conception majoritaire de ce qu’est la picturalité en Allemagne, où le discours simpliste qui fétichise la Gestalt, la pâte, l’espace sensible et sensuel de la peinture, donne lieu à de graves malentendus. Je pense par exemple à une œuvre comme celle de Palermo, à la fois largement fétichisée et sous-
estimée, ou mal évaluée par rapport à ses enjeux. Par ailleurs, il serait temps de prêter attention au fait que sous prétexte de favoriser la Peinture avec une majuscule, on plébiscite en fait la résurgence d’arguments qui valaient pour un temps qui n’est plus le nôtre — ce temps où la Peinture était à la fois un espace historique, religieux, métaphysique, et sensible, espace qui fut déconstruit il y a déjà un long moment (mettons, depuis Manet et quelques autres). Et je ne suis pas disposée à cet égard à prendre très au sérieux toutes ces gesticulations récentes qui s’emploient à réinventer comme Peinture tout ce qui se passe avec un peu d’acrylique ou d’huile sur un bout de toile, de tôle ou de papier. Dans
l’absence de certaines œuvres, ce qui a fait manque, ce sont surtout certains travaux critiques d’iconographie contemporains, essentiels à la réécriture de l’histoire coloniale et post-coloniale, comme l’a remarqué avec beaucoup de justesse la critique indienne Geeta Kapur. Par ailleurs, il me semble que l’on n’est pas passé tout à fait à côté de la plaque, en présentant ce que j’appellerais plus volontiers des « images peintes », comme celles, différentes entre elles d’ailleurs, élaborées par des artistes comme l’afro-américain Kerry James Marshall — chez lequel ce qui fait sens, c’est par exemple
ce montage de moments et de qualités de culture afro-contemporains (ce qui le rend plus proche de l’écrivain James Baldwin que du peintre Jean-Michel Basquiat, d’ailleurs). Or je constate que ces partis pris valent à son travail moins de considération qu’à beaucoup d’autres ; parce qu’il n’est pas une accumulation de clichés culturels, et qu’il n’entretient pas un rapport essentialiste à LA culture noire. Mais il faut également citer ici le travail de l’israélien David Reeb, et celui du chicano-américain Lari Pittman. Si beaucoup n’ont pas jugé bon de remarquer que de tels projets problématisent explicitement ce qui s’entend habituellement sous le nom de « peinture » (en procédant par exemple à des montages d’éléments hétérogènes dont la mise en tension procède d’une visée critique), cela témoigne plus des attentes insues ou inavouées de certains publics, me semble-t-il, que de la possible pertinence d’une lecture attentive, à proprement parler, des œuvres...

Quant à Richter, si nous n’avons pas montré de lui de travaux picturaux, cela tient d’abord au fait que ces œuvres-là sont très régulièrement présentées en divers lieux d’Europe. En optant pour son « Atlas », qui est un projet photographique, il nous a semblé (en accord d’ailleurs avec l’artiste), qu’il s’agissait d’un moment crucial de son projet, et qu’il faisait tout particulièrement sens par rapport au contexte allemand (tant artistique que social et politique) de l’après-guerre. L’« Atlas » présente, de manière exemplaire, sans doute, ce qu’en peintre moderne de l’après 1945, Richter a su qu’il ne pouvait plus peindre. Dès lors, l’« Atlas » nous permet de considérer de manière déployée ce qu’est la pensée picturale de la seconde moitié du siècle, et, bien sûr aussi, ce qu’est la peinture de Richter, à partir de cette conscience historique remarquablement aiguë qui la caractérise. Et tous ceux qui sont intéressés à ne rien voir là de ce qui s’y trouve en jeu entretiennent, je pense, un rapport à la peinture très superficiel...

VACARME : Outre l’espace de l’exposition et celui du livre, Documenta X s’est également déployée à partir d’un troisième espace : celui de cette opération dite des « 100 jours ». Pendant cette durée en effet, chaque jour, un invité intervenait sur un sujet spécifique. Anthropologues, critiques ou théoriciens, artistes, philosophes, politologues, etc. J’aimerais que vous nous parliez des options qui vous ont conduite à assumer un pareil choix.

C. D. :Il y eu d’abord cette nécessaire introduction à des commentaires, ou à des positions culturelles et politiques présentées lors de cette Documenta, et qui ne venaient pas nécessairement d’Europe ou des États-Unis, comme je l’ai dit. Le champ de questionnement qui était au cœur de Documenta X visait les effets de la globalisation dont nous sommes les contemporains. En ce sens, il s’agissait de manifester de diverses manières que l’acte esthétique contemporain se donned’aborddans un rapport de discursivité aux différents contextes où il s’inscrit.Les projets qu’il suscite ne sauraient se limiter à une collection d’items — comme on a trop souvent tendance à le penser, et surtout à le montrer. Par ailleurs, si certains ont vécu l’existence de ce projet des « 100 jours » sur le mode de la frustration (faute d’être en mesure
d’assister à l’ensemble des interventions qui y étaient présentées), il nous permettait du moins de témoigner explicitement de ce que sont les limites intrinsèques d’un dispositif tel que Documenta. Ces limites, il s’agit moins de les nier que de les faire travailler . Enfin, et de manière plus décisive, ces « 100 jours » auront aussi rappelé très judicieusement que, contrairement à ce que beaucoup voudraient nous faire croire, une très large part du public est non seulement très curieuse des différents seuils discursifs susceptibles d’accompagner, d’éclairer ou de relayer l’acte esthétique, mais aussi que ces mêmes publics sont tout à fait en mesure d’organiser eux-mêmes leur visite et de préciser leurs intérêts...
Ces « 100 jours » constituaient un pari loin d’être gagné d’avance, puisque les exposés des différents intervenants étaient tout, sauf des prestations télévisées. Et le succès de cette opération a pour preuve le nombre considérable
de gens qui y auront assisté : entre cinq cents et mille personnes chaque jour. Il semble que les publics soient désireux de bénéficier d’autres informations, d’autres éléments de repères, d’autres espaces d’interrogation, et pas uniquement de ce que l’on appelle les « œuvres ». Alors une telle tentative marque à mes yeux un départ, l’ouverture d’une possibilité qui paraît être de plus en plus dans l’air du temps.

VACARME : Quelles étaient vos intentions déclarées, au regard de ces « 100 jours » ?

C. D. : D’emblée, il y avait cette nécessité de rappeler concrètement que les créations esthétiques ne se déploient pas dans la pure transcendance, qu’elles ne tombent pas du ciel, mais s’articulent à un
espace politique et culturel contemporains
. Ensuite, il s’agissait d’indiquer, depuis différents champs de références (historique, philosophique, anthropologique, politique, esthétique...), que ce double espace est aujourd’hui plus que jamais complexe, et que ce qu’on nomme « la globalisation » n’est pas simplement une tarte à la crème conçue pour des articles bâclés. La globalisation, cela correspond très précisément à une réalité, d’abord économique, impliquant de très fortes conséquences aux niveaux politique et culturel. Il me paraissait amplement souhaitable que des spécialistes de l’urbanisme, du champ social, mais aussi des artistes, des écrivains, des cinéastes, des activistes et des scientifiques viennent exposer leurs interrogations à la Documenta. Et que leurs champs de compétence respectifs s’articulent à différents axes à partir desquels l’exposition a été pensée .

VACARME : Outre les noms déjà très repérés de certains philosophes, la liste de vos invités à ces « 100 jours » comportait de nombreux intervenants dont les recherches ne font l’objet de presque aucune réception en France...

C. D. :Oui, et, pour la plupart de ceux-là, il s’agit de spécialistes souvent impliqués dans des praxis critiques et des espaces culturels non-européens, voire non-occidentaux. Cela vaut par exemple pour Akhbar Abbas [professeur de littérature comparée à Hong-Kong, ndlr] , comme pour Yang Lian [poète chinois, ndlr], Paolo Mendes da Rocha [architecte brésilien, ndlr], Masao Miyoshi [professeur de littérature comparée à San Diego University, ndlr], Suely Rolnik [psychanalyste, exerce à São Paulo, Brésil, ndlr], Edward Saïd [américano-palestinien, théoricien du post-colonialisme, historien de la littérature, comparatiste, enseigne à New-York University, ndlr], Wole Soyinka [écrivain et dramaturge nigérian, en exil entre Londres, Atlanta... ndlr], et beaucoup d’autres encore, dont les points de vue divergent ou convergent selon les thèmes abordés. Il était ainsi important de voir des images et d’entendre des discours différents, et de mettre l’accent sur l’hétérogénéité et la complexité du phénomène de la globalisation, ainsi que des stratégies de résistance qu’il suscite aujourd’hui dans le monde.

VACARME : Abordons maintenant, si vous le voulez bien, le troisième espace d’inscription de cette Documenta X : le livre publié par l’éditeur allemand Cantz. Quels motifs vous ont fait privilégier cette conception-là plutôt que celle d’un catalogue — comme c’est traditionnellement le cas ?

C. D. : Vous savez, la forme catalogue a beaucoup évolué ces dernières années. Et il me semblait intéressant d’élaborer un espace
parallèle de questionnement, indépendant, jusqu’à un certain point, de celui de l’exposition — qui ne soit pas l’exposition « en résumé »  ; c’est-à-dire aussi qui soit exempt de tout rapport de type illustratif, entre les textes qui s’y trouvent, et les œuvres des artistes. Ce livre peut maintenant être lu et circuler, sans qu’il ait fallu pour autant voir l’exposition avant de le consulter. Grâce à cela, il touche aujourd’hui des publics que les partis pris de cette Documenta X intéressaient, mais qui n’avaient pas la possibilité de s’y rendre. Les textes théoriques ou historiques qui y sont publiés s’articulent à des positions critiques et politiques précises, qui ne sont pas dans un régime de dépendance avec les œuvres — et réciproquement. C’est pour ce même motif que les artistes ont été invités à intervenir dans l’espace du livre de telle façon qu’ils puissent s’intéresser à sa spécificité, à ses possibilités propres. Ce qui est regrettable, c’est que Cantz n’ait guère fait d’efforts pour faciliter la diffusion du livre hors d’Europe. Enfin... il a tout de même beaucoup circulé, grâce à d’autres réseaux, et je suis heureuse de voir qu’il donne lieu aujourd’hui à de nombreux débats, et parfois dans des contextes improbables, ou en tout cas jusqu’à présent très éloignés de l’horizon Documenta.

VACARME : Outre les pages consacrées à des projets d’artistes, le livre contient de multiples seuils d’intervention, dossiers historiques et
philosophiques, dialogues, entretiens, etc. Pouvez-vous les évoquer ?

C. D. : Il y plusieurs axes chronologiques à partir desquels le livre s’est pensé. De 1945 à aujourd’hui : l’après-guerre, puis l’année 1968, mais aussi la fin des années 1970, qui correspond précisément à ce changement d’epistèmè que j’ai déjà évoqué et qui demeure mal repéré — et enfin 1989. Par ailleurs, en faisant l’impasse sur les discours post-
structuralistes (qui sont devenus majoritaires dans le champ universitaire américain récent), nous avons privilégié une posture de type marxiste hétérodoxe. Cela se lit dans certains textes de la fin des années 1960 que nous avons repris dans ce livre (Foucault, Clastres...), mais aussi dans certaines filiations contemporaines, critiques chacune à leur manière à l’égard de ce legs historique (Harvey, Clifford, Miyoshi, Saïd...). Ce livre se clôt, comme vous l’aurez remarqué, sur deux entretiens : l’un avec Étienne Balibar, l’autre avec Jacques Rancière, exemplaires de la posture qui fut la nôtre.

VACARME : Quel enjeu, à vos yeux, dans le choix de cette stratégie liée à un marxisme hétérodoxe, aujourd’hui ?

C. D. : L’enjeu ? Politique, évidemment. Regardez. Face à la déferlante néo-libérale, où voyez-vous aujourd’hui un discours qui « se tienne », autre que marxiste hétérodoxe ?

VACARME : Et le titre même du livre, Politics / poetics ?

C. D. : Il permettait d’abord d’indiquer combien ces deux dimensions sont solidaires l’une de l’autre. Mais d’indiquer aussi que l’acte poétique s’inscrit dans un espace radicalisé, qui n’est pas nécessairement dans un rapport d’immédiateté avec LA politique. C’est ce que beaucoup refusent de considérer : un texte poétique n’est pas un slogan, et n’est pas dans un rapport d’instrumentalité à la gestion politique (pensons ici à Blanchot, de manière exemplaire). Cela devient de plus en plus difficilement perceptible, dans une époque qui privilégie massivement les rapports économiques et instrumentaux.

VACARME : Il y a tout un ensemble de discours profondément réactionnaires qui se sont tenus ces dernières années, en France en particulier, visant directement ce qu’on nomme le champ de « l’art contemporain ». L’un des motifs récurrents de ces discours réside dans l’idée selon laquelle les pratiques esthétiques contemporaines ne seraient accessibles qu’à des élites ultra-privilégiées, et non au grand public. Comment avez-vous problématisé ce type de discours, et ce qu’il suppose de ressentiment populiste, au moment de penser Documenta X ?

C. D. : Certains, qui connaissent pourtant parfaitement l’histoire des avant-gardes, produisent un discours qui n’est sous-tendu par aucun travail sérieux, ni par le moindre souci du peuple, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes donné d’emblée les moyens pour que le « grand » public — c’est-à-dire : non pas un troupeau de veaux, mais au contraire un ensemble de publics très hétérogènes, différents et parfois minoritaires — ait une possibilité d’accès aux œuvres, le plus intelligent possible (mise en vente d’un guide comprenant des textes clairs, qui présentaient chaque artiste exposé, visites quotidiennes, individuelles ou en groupes, rigoureusement élaborées, dispensées par des conférenciers que nous avions spécialement formés pour cette occasion). Par ailleurs, tout a été fait pour faciliter l’orientation et les circulations relatives au parcours d’exposition. À cet égard, les équipes d’accueil ont fourni un travail extraordinaire. Mais, pour revenir à votre question, concernant ces attaques régressives contre l’acte esthétique contemporain, s’il y avait un réel souci du peuple, un souci correspondant à un projet politiquement innovant, il me semble que cela serait manifeste et que cela se saurait. Au contraire, j’ai le sentiment que le non-discours politique est corrélatif du défaut de discours esthétique et théorique charriés par les mêmes. Cela me paraît d’autant plus grave qu’il y a de moins en moins d’alternatives et de résistances à cela. Car que l’on considère la télévision « culturelle » ou France Culture, on a toujours les mêmes quatre ou cinq pleureuses, et jamais le moindre projet. Sans même parler des revues et des magazines d’art français... la situation est consternante. Heureusement, on peut encore lire des revues comme Futur Antérieur, Lignes, et quelques autres. Mais aucun « magazine d’art », dont le format n’est en lui-même plus tenable.

VACARME : Quels ont été vos partis pris, concernant l’inscription du champ cinématographique au sein de Documenta X ?

C. D. :Documenta ne disposant pas de budgets de production pour des films, nous nous sommes associés avec Sony Allemagne, ainsi qu’avec certaines chaînes de télévision européennes (Arte, Z.D.F., W.D.R. ...), afin de commanditer des travaux à six cinéastes : Raoul Peck (Haïti), Charles Burnett (U.S.A), Abderrahmane Sissako (Mauritanie), Haroun Farocki (Allemagne), Antonia Lerch (idem) et Alexandre Sokourov (Russie). Il n’était pas question pour nous que ces commandes se soumettent à un moment quelconque au « formatage » télévisuel, qu’il soit de temps ou de thème, du type : « l’amour », « la ville », etc. (en 5mn, 25mn, 1 heure, etc.). Par ailleurs, certains cinéastes, dont le travail nous paraît considérable, n’ont pas besoin du soutien financier que nous étions en mesure d’apporter (c’est le cas de Godard, des Straub, d’Oliveira, de Moretti, et de quelques autres). Nous avons donc adressé cette proposition à des cinéastes plus jeunes, pour la plupart, qui ont presque tous en commun de travailler à la frontière du documentaire et de la fiction, et n’ont guère l’opportunité de travailler pour la télévision, faute d’être connus. Il y a eu une exception à notre règle : le cinéaste russe Alexandre Sokourov, dont le sujet était déjà défini, la production montée et le budget très au-dessus de nos moyens. Nous savions qu’il tournerait en 35mm, quand la règle du jeu que nous avions proposée était de tourner en vidéo. Mais lui et ses producteurs berlinois, Zero Films, ont accepté avec enthousiasme de présenter son film à Cassel, dans un cadre qu’il considère comme privilégié, celui d’une exposition.

VACARME : En plus de ces six commandes, d’autres films étaient présentés à Cassel...

C. D. :Oui, plus ponctuellement, dans le cadre des « 100 jours ». Pour les citer dans le plus grand désordre, nous avons été ravis de recevoir Elia Suleïman, avec Chronique d’une disparition, que j’avais vu à Rotterdam et que j’avais trouvé exceptionnel dans le panorama du cinéma moyen-oriental ou arabe contemporains ; il y a eu aussi cette soirée assez extraordinaire consacrée à Johan Van Der Keuken, sorte de jam session pendant laquelle Keuken a présenté un montage de séquences de ses œuvres, qu’il a commentées en compagnie de François Albera. Il y en a eu d’autres, et le fait sur lequel il me paraît important d’insister, c’est qu’il ne s’agissait pas plus de faire pour le cinéma ce que nous nous sommes refusés à faire pour les autres medium, en le constituant comme catégorie isolée, mais bien plutôt de s’interroger sur l’actualité de certaines images, de certaines écritures et de certains engagements relatifs à des situations géo-politiques
précises.

Et puis il y avait aussi dans le livre un examen attentif du cinéma d’avant-garde historique, de Pasolini à Santiago Alvarez, les Straub, Glauber Rocha, etc. Les films de ces cinéastes engagent chaque spectateur à faire une expérience de l’image. C’est en ce sens qu’ils peuvent être dits expérimentaux, au sens élargi du terme : tout film qui ne propose pas une telle expérience de l’image n’avait pas sa place dans notre perspective. Le problème que j’ai avec la catégorie « cinéma expérimental », c’est qu’elle exclut des œuvres contemporaines fondamentales, sous prétexte qu’elles impliquent un recours à la fiction. À mon avis, il y a là un malentendu...

VACARME : Benjamin Buchloh est le seul théoricien de l’art auquel le livre consacre un long entretien, qui retrace les grandes lignes de son propre parcours historique d’intellectuel européen, en le resituant étape par étape dans ses contextes successifs. Pourquoi lui avez-vous accordé cette prépondérance ?

C. D. : Il nous a semblé, à Jean-François Chevrier et à moi-même, que Buchloh était sans doute le
critique le plus cohérent sur l’art produit à partir de la fin des années 1950. Il est allemand et a fait sa carrière aux États-Unis, et le livre permettait de présenter le caractère exemplaire de sa biographie intellectuelle, en précisant des points qui ne l’avaient encore jamais été. Mais, en dernière instance, cet entretien à certains égards « bute » à partir des années 1980, en particulier sur la question des modernités dites « périphériques » (du fait de la difficulté à repenser les différentes séquences du « moderne », et ce que cela implique quant à la lecture de nombreux projets contemporains, en Occident et ailleurs).

VACARME : À partir de quels partis pris avez-vous choisi les travaux des « jeunes artistes » qui ont été exposés lors de la Documenta X ?

C. D. :Il est toujours difficile d’évaluer la pertinence de ce qui émerge à l’aune de ce qui est déjà constitué, structuré, achevé. Aujourd’hui, il me paraît important de constater que les jeunes artistes ne travaillent plus dans les mêmes conditions que dans les années 1960-70, ni à partir des mêmes paradigmes, pas plus qu’ils ne s’inscrivent dans le même moment social, culturel et politique. J’ai donc privilégié des artistes dont le projet travaille de manière particulièrement critique certains espaces culturels et sociaux contemporains difficiles ou douloureux. Là, on retrouve ce que nous avons évoqué au sujet de cette « autre epistèmè ». Il est très difficile d’anticiper sur l’avenir de certains projets, mais beaucoup de ceux dont le travail m’intéresse se questionnent sur l’acte « d’art » en tant que tel.

VACARME : Par exemple ?

C. D. : Quelqu’un comme Johann Grimonprez fournit, à partir du mediumvidéo, un travail d’ethnographie contemporaine critique (« Kowarbang, where is your helicopter ? »). Son travail sur les images touchant à la représentation du terrorisme me paraît très salutaire, même s’il comporte des zones d’ambiguïté. Je suis également très sensible au travail de Martin Walde, qui vient manifestement après l’époque de l’enregistrement cinématographique ou télévisuel, et mêle des registres hétérogènes de textes, de bribes de représentation, d’écriture théâtrale (didascalies), de codes issus de la B.D....

Mais la question que vous me posez est extrêmement délicate, dans la mesure où il est difficile d’évoquer telle œuvre plutôt que telle autre, et, plus largement, parce que les œuvres les plus importantes du moment ne s’incrivent plus dans les registres ou les catégories de medium antérieurs. Elles travaillent souvent des problématiques anthropologiques
complexes où ce qui est en jeu, c’est la discussion et l’appropriation de certains espaces, via des formes de dramatisation qui posent plus ou moins explicitement la question de leur propre lisibilité, ce dans un contexte qui reste très largement dominé par des procédures non seulement très repérées, mais surtout très attendues et, finalement, devenues obsolètes ou inopérantes aujourd’hui. À tel point qu’un jeune critique de théâtre français a pu décrire beaucoup des interventions proposées sur le parcours comme un travail de camouflage stratégique... Ces œuvres qui me paraissent les plus pertinentes, précisément du fait des difficultés de lecture qu’elles posent, sont souvent peu compatibles avec le régime d’exposition propre au musée ou à la Galerie. Ou alors, lorsque ça n’est pas le cas, on constate souvent que les œuvres empruntent le chemin d’une sur-
formalisation, souvent loin d’être nécessaire ou de se justifier.

VACARME : Quels sont vos projets, à court ou long terme ?

C. D. : Je travaille actuellement à plusieurs projets de rencontres et de publications trans-culturels, qui me permettent de prolonger, en les précisant, bien des questions que nous venons d’évoquer...