à quoi ça tient — onze manières de perdre un post-it.
Note préparatoire : Un arrangement peu glorieux (APG) est un ensemble stable de dispositions destinées à rendre une faiblesse (durable ou passagère) vivable et, autant que possible, pas trop humiliante pour un moi qui ne s’est pas encore résigné à s’avouer effondré. Des formules de la vie courante telles que « j’arrive », « je sais bien » ou « on fait aller » en constituent d’assez bonnes approximations. Noter que la description d’un APG est elle-même un APG. Comme telle, elle n’exclut donc ni la facilité, ni une certaine complaisance envers soi ; ne pouvant prétendre à la beauté un peu raide de qui regarde sans ciller son état, elle se résout à n’être qu’à moitié drôle.
Le post-it est sans doute le plus coriace de nos ennemis. Par sa fonction : parent de Jiminy Cricket, il partage avec lui le souci de rétablir en tous lieux la souveraineté de la conscience et du devoir (sans compter la détestable manie de grimper le long des murs). Par son format, pas assez petit pour être illisible, pas assez grand pour noter toutes les excellentes raisons que l’on aurait de ne pas faire ce qu’il mentionne. Par sa couleur enfin, ce jaune qui eût sans doute fait opter définitivement Van Gogh pour le macramé. Le macramé fait aussi partie de nos ennemis, mais là n’est pas pour l’instant la question. Il importe donc d’organiser la résistance. Photocopiez, faites circuler les méthodes qui suivent.
1. Préférez les multiples imitations, en vente dans la plupart des papeteries de seconde zone. La colle, de qualité inférieure, résiste peu au temps.
2. Divisez le paquet de post-it en autant de parties qu’il sera nécessaire à ce que la feuille placée en-dessous de chaque petit bloc ainsi constitué s’enduise du mélange de cendres de cigarette, poils, cils, poussière, résidus de taille-crayon, qui ne manquera pas de recouvrir la surface de votre bureau. Bien sûr, cela ne règle pas tout. Il reste les feuilles intermédiaires. Mais chaque victoire compte.
3. Oubliez d’en racheter.
4. Faites, lors de chaque conversation téléphonique, de petits dessins obscènes sur la feuille du dessus, la rendant impropre à toute exposition prolongée aux regards d’autrui.
4 bis. Si vous dessinez très bien, l’excitation peut aller jusqu’à vous faire oublier le contenu du message.
5. Mâchonnez votre stylo, après en avoir retiré d’un coup de dents l’embout protecteur, de façon que l’encre en devienne humide et baveuse. Le post-it détrempé est un objet tellement répugnant que nul ne vous en voudra de ne pas l’afficher.
6. Installez votre bureau le long d’un mur exposé au nord, donc humide et froid, sur lequel vous collerez vos messages. De toute façon, le soleil ralentit votre travail.
7. Collez le post-it sur la page de garde d’un livre qui, s’il se trouve bien sur votre bureau, a peu de chances d’être ouvert dans les six mois. Il y en a sûrement : par exemple un beau-livred’art, ou votre agenda.
8. Collez deux post-it l’un sur l’autre, nierk, nierk.
9. Ne développez de relations qu’avec des correspondants dont les messages, à la fois précis et interminables, dépassent forfaitairement la surface disponible et obligent à entamer une seconde feuille. Souvenez-vous que le post-it est un solitaire, qui résiste peu à la mise en séries. Pour les correspondants intarissables, je tiens une liste à disposition (écrire au journal).
10. Écrivez en pattes de mouches les messages dont vous savez que vous ne pourrez les coller qu’à bonne distance de votre poste de travail.
11. Collez le post-it directement sur le répondeur. Ce choix témoigne, en apparence, d’un véritable souci de ne pas oublier (vous pourrez dire, maintenant une délicieuse ambiguïté : « écoute, le message est sur mon répondeur »). Cela permet, en fait, de n’accéder que difficilement au bouton play du répondeur. Plus précisément, à chaque manipulation, vous courrez le risque soit d’effacer les messages en glissant les doigts, à l’aveugle, sous le post-it, soit de froisser la feuille en tentant de passer outre. Deux problèmes se trouvent ainsi résolus en un seul. Économie.
Post-scriptum
Les méthodes qui précèdent, pour être éprouvées, ne sont sans doute pas les seules. Un réseau actif se constitue déjà sur internet : www.postit.fr. Non, je blague.