Vacarme 25 / chroniques

c’est très intéressant de regarder courir les athlètes

par

C’est très intéressant de regarder courir les athlètes, ou sauter, ou lancer des trucs. J’adore regarder les athlètes des journées entières. Et Marie-Jo Perec aussi a regardé des athlètes, parce qu’on l’a retrouvée pas très longtemps avec ses grands yeux désabusés elle nous a dit comme d’habitude que non, ce ne serait pas possible cette fois—ci mais bientôt sûrement.

Claude Serrière fit brusquement irruption dans ma vie, c’est-à-dire qu’il courut en soufflant brusquement au-dessus du jardin. Le village, quand j’avais sept ou huit ans, réunissait en une sorte de mini-pôle administratif la poste et l’école. Donc la grande cour de récréation se trouvait en léger surplomb du jardin d’où j’entendis souffler brusquement. Il courait à côté de la mobylette de Guy Serrière, son frère, lancée à toute allure comme un entraîneur mécanique qui ajoutait au fracas. C’était plutôt un sprinter.

Jon Drummond était couché dans son couloir, abattu par la détonation du pistolet du starter. Dans une série des éliminatoires, la veille, je suis certain de l’avoir vu mimer le suicide après un faux départ, mimer le pistolet du starter sur la tempe et s’écrouler sur la piste. Il a passé son temps à se suicider. En partant un peu trop tôt, bien sûr, ensuite en faisant son cirque. La caméra qui s’attardait sur son dépit le montrait même se jetant dans le bassin du steeple-chase et simuler la noyade. J’adore le mot steeple-chase. C’était très troublant et très morbide. D’autant plus impressionnant qu’il a emmené toute l’équipe américaine dans sa chute. L’incroyable désagrégation d’une équipe hégémonique dans la discipline. Pourtant les Etats-Unis envoient des sprinters dopés en général. C’est vraiment incroyable. Il faudrait leur demander ce qui leur est passé par la tête mais c’est impossible, ce sont de trop grandes vedettes.

Claude Serrière profitait certainement de la cour d’école grâce à une autorisation spéciale du directeur eu égard à ses performances. Il était bien plus âgé que moi et semblait briller dans je ne sais quelle discipline étant donné qu’il s’entraînait aussi à lancer le marteau, le disque et qu’il faisait des cross. Il était très gentil, m’expliquait tout, et m’emmenait faire des promenades à vélo. C’était le genre de type qui se sent bien dans l’effort et la souffrance physique. Il jubilait en me racontant qu’il gelait la nuit dans sa chambre et qu’il aimait bien. Plus tard il m’envoyait des lettres du service militaire dans lesquelles il me racontait comme il aimait se jeter sous des chars lancés à 80 km/h.

Une des concurrentes du 1500 mètres féminin s’appelle Sun. Et pas « Mademoiselle Sun » comme disaient les commentateurs avec une épouvantable condescendance. Sun est chinoise, elle a la particularité de courir les bras tout à fait raides le long du corps, les mains légèrement tournées vers l’intérieur. C’est très bizarre et comme elle a une petite foulée, bien qu’elle soit grande, on dirait qu’elle trottine en portant des paniers d’œufs invisibles. Sun est formidable, elle a fait flipper toutes les filles qui courent comme il faut et elle a ramassé la médaille de bronze à la fin. Et j’ai vraiment détesté le mépris des commentateurs de la deuxième chaîne pour cette championne. Et j’ai détesté qu’ils fassent tout un foin avec « la victoire du 9.3 sur ses terres », sous prétexte que nos athlètes sont noirs ou arabes. C’est vraiment dégueulasse. D’ailleurs, Mehdi Baala a fait la meilleure performance et il est de Strasbourg. Il ne s’agit pas du tout d’une revanche du ghetto mais d’une performance honorable des Français dans un stade de la banlieue parisienne. On a assez bouffé de cette soupe au même endroit en juillet 98.

Enfin, peut-être que Claude Serrière séquestre Marie-Jo Perec près de Senlis et que Jon Drummond va se jeter dans toutes les flaques d’eau qu’il rencontrera jusqu’à la fin de sa vie, et que Sun la Chinoise est la reine des fées et que tout n’est qu’illusion.