Vacarme 25 / chroniques

le cormoran / un souffle d’âme

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Deux yeux rouges fichés sur un bâton de suie scrutent l’horizon. Plongent d’un seul coup. Et la mer se referme. Rien ne reste, pas un pli, pas un son. A peine a-t-on vu se dresser ce bout d’observatoire coudé en cintre, qu’il ne nous regarde plus. Il part avec son tuba faire la surprise aux poissons. Mener sa vie sous-marine / Ne dit-on pas que c’est là, justement là, quelque part dans le cou, que l’âme tient au corps ? C’est la fin de la saison. Et te voilà chaussé de grandes phrases, t’est-il si difficile de rentrer simplement ? Comment faire face, comment garder la tête sur les épaules ? Dans la vallée, les pavillons dévalent la pente pour s’agglutiner autour de la route principale. Heureusement tu m’as dit que les arbres retiennent le bord des sentiers / Le cou du cormoran est arme autant qu’outil, flèche et tuyau. Il émerge et renverse la tête pour avaler sa pêche. Au bas de sa gorge une cuve pleine d’acide la décompose. Avant, il lui faut s’assurer du bon sens du poisson / Entre tes allées et venues je distingue mal. Ne faudrait-il pas que quelque chose reste sur le seuil ? Mais quoi ? Les enfants dessinent sur la lande des raccourcis et des rallongis. Ils posent de petites pierres à chaque croisement. J’ai un mot sur la langue / Le cormoran réapparaît seul. Tantôt comme un totem, planté sur un rocher, les ailes écartées pour sécher sa lessive. Tantôt comme un skieur hors-piste, un danseur virtuose que sa figure précède / Il y avait sur le talus le corps d’un passereau sans vie. Est-ce l’été qui l’a tué ? Avant qu’il ne soit raide, la tête dodeline. La mort vient juste de prendre son chant dans le cou. Dites-moi, reste-t-il une patère, un petit crochet, un souffle d’âme  ? J’entends dans votre voix s’ouvrir de toutes petites bouches inutiles qu’il ne faut pas nourrir, qu’il ne faut pas nourrir.