Vacarme 18 / Processus

Règlements de compte à OK Canal

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Depuis que Canal + est tombé dans l’escarcelle d’une multinationale, Vivendi-Universal, les milieux du cinéma ont quelques raisons d’être inquiets. Depuis sa création au milieu des années 1980, Canal + est, par le pré-achat, le premier financier des films produits en France. 80 % en bénéficient ; l’apport moyen avoisine les 8,5 MF, soit plus de 20 % du budget de ces films. Derniers chiffres : de 140 films financés en 1999, on est passé à 115 en 2000, malgré une relative augmentation des sommes investies par la chaîne dans le cinéma. En un an, Canal + est passé du financement de 80 % du cinéma français… à 70 %. B. Delmas et E. Mahé, dans Western médiatique ou les mésaventures du cinéma au pays de Vivendi (Mille et une Nuits), s’inquiètent de l’avenir de la chaîne (et par conséquent du cinéma français) après 2004, date de renégociation des obligations imposées à la chaîne par le législateur. Les auteurs commentent : « Le paysage cinématographique français serait-il la seule industrie à échapper aux lois de l’économie ? Pourquoi peut-on produire autant avec si peu de résultats ? (…) Le système est tel que le cinéma français peut se payer le luxe de n’avoir aucun résultat probant en salles. L’illusion est de croire que cela va perdurer. » Et de décrire un paysage cinématographique français sinistré où trois films ont fait des bénéfices conséquents en 1999 (Astérix, Taxi 2, Le goût des autres). Selon les auteurs se dessine un avenir où les très grandes productions engloutiront la plupart des subsides des chaînes, et surtout de Canal +, avec un risque moindre quand ces productions seront tournées directement en anglais, afin de pourvoir le marché américain. Jurassic Park 3 ou Le retour de la momie (aux bénéfices supérieurs à tout le cinéma français coproduit par Canal +) font de Universal le studio américain le plus rentable du moment. Qu’attendre alors du grand boss Messier ? Qu’attendre d’une chaîne qui renonce à son département développement et recherche ? Conclusion pessimiste et provocatrice des auteurs de Western médiatique : « La redistribution des cartes sera d’une telle ampleur que le cinéma français risque de vivre ses pires années. Il aura sa part de responsabilité dans un Waterloo version 2002. » Et de poursuivre : « Si l’on continue à ne rien faire, la société américaine du spectacle dominera à plus ou moins long terme le monde des idées et de la création. (…) Les politiques français doivent s’emparer de ce dossier (…) Face à la logique économique d’une firme d’envergure internationale, évitons la politique du fait accompli. (…). Si Canal + venait à disparaître, 60 % des maisons de production mettraient la clé sous la porte. » Si le trait est poussé, l’inquiétude née de l’absorption de Canal + par Vivendi est elle bien réelle.